1972- 2012 Alan Stivell à l'Olympia : un parcours plus qu'un retour !

Reportage publié le 24/02/12 22:42 dans Cultures par Gérard Simon pour Gérard Simon

Le 23 février 1972, un jeune Breton de 28 ans, flanqué de sa harpe magnifique, embrasait « l'Olympe de la musique française » lors d'un « Musicorama » mémorable, en ces temps, légendaire émission d'Europe 1.

Le « tout Paris », abasourdi, découvrait Alan Stivell, musicien virtuose et ardent défenseur d'une culture qui semblait sombrer, peu à peu, dans les ténèbres de l'oubli.

Quarante ans plus tard….Il s'imposait de célébrer cette date anniversaire.


16 février 2012 - 20 h :

Déjà de très nombreuses personnes se pressent dans le hall de l'Olympia.

Ce soir, de visu, pas de drapeau Breton... Il s'agit d'un public discret et discipliné, probablement des admirateurs de très longue date. Les « cheveux gris » se mêlent aux chevelures juvéniles. La jeunesse est bien présente parmi les spectateurs.

En pénétrant dans la salle, je remarque, immédiatement, la toute nouvelle harpe de l'artiste aux courbes harmonieuses supplantant, désormais, la pure et blonde « Camac-Stivell 1 ».

Encore un instrument né de l'imagination et des coups de crayon de cet artiste insatiable en perpétuelle recherche acoustique.


20 h 30 :

La lumière feutrée laisse apparaître quelques silhouettes, celles des musiciens, qui se présentent sur la scène. Les applaudissements accueillent chaleureusement l'entrée d'Alan Stivell, tout de noir vêtu avec, sur sa poitrine, le fameux triskell qu'il arborait, à l'époque.

Alan descend dans la salle, au niveau du premier rang. Visiblement très ému, il s'adresse au public, parle de son père, Jord Cochevelou, de sa première harpe, du Bagad Bleimor dans lequel il fit ses premières armes.

Puis, Stivell remonte sur la scène. Le Bagad de Saint-Malo, « Quic en Groigne », aura l'honneur d'ouvrir le spectacle avec « Bleimor, le Bagad », figurant dans l'album d'exception : « Au-delà des mots ».

Il enchaîne avec la première chanson, entendue dans son enfance, une mélodie gaélique : « EibHlin ».

Suivra, a cappella, une composition du chantre de la culture bretonne, Monsieur Glenmor.

Une ovation salue vigoureusement cette exceptionnelle performance vocale, avant de retomber dans un silence de cathédrale.

L'artiste rompt ce calme revenu, et annonce : « Dan Ar Braz » !

Bien qu'arrivé, très discrètement, nous avions bien reconnu ce très talentueux guitariste. A juste titre, le public, applaudit chaleureusement, « le vieux compagnon de route » et heureux artisan de la seconde vague celtique, en France, dans les années 90.

Alan lui presse affectueusement l'épaule et l'embrasse :

« Nous allons interpréter une chanson de l'année 72… »

Les notes harmonieuses, le style limpide de Dan Ar Braz, à la guitare et le doigté de Stivell, à la harpe, font merveille. Rien ne semble avoir changé entre les deux musiciens, la virtuosité de l'un faisant corps avec celle de l'autre, comme par le passé. Le concert est bien lancé !

Le duo s'achève, mais cela n'est que temporaire, les deux hommes se retrouveront, un peu plus tard, pour d'autres morceaux.

« Nous devions faire une petite fantaisie à la fin du morceau, cela se finit par un petit chouya... Je ne dis pas ça pour me trouver des excuses… Bon, nous allons jouer une autre chanson datant de 1972 »…

Se tournant, de nouveau, vers les coulisses, il clame : « René Werneer » !

Un tumulte agite soudainement la salle. Werneer fait, à son tour, son entrée. Les griffes du temps ne semblent pas avoir eu de prise sur lui tant sa mince silhouette demeure intacte. Sa chevelure longue et blonde n'a guère changé. Quel bonheur de retrouver, ce soir, ce véloce violoniste auprès d'Alan Stivell. Les premières notes de « The trees they grow high » s'égrènent sous l'archet magique. Non, Werneer n'a rien perdu de son brio, il nous le prouve, ici, encore. Que c'est beau ! Nous ne pouvons que regretter de ne plus le voir en public, le musicien préférant, aujourd'hui, se consacrer pleinement à l'enseignement de son instrument de prédilection.

Le spectacle se poursuit avec une sublime chanson : « Iroise », issue de l'album « Back to Breizh » que Stivell considère comme l'un de ses plus aboutis. Les spots projettent sur la scène les couleurs violentes de cette mer, à la fois dangereuse et fascinante de beauté.

L'azur se mêle au vert émeraude, des entrelacs mauves ornementent les grands voiles disposées au fond de scène. L'ensemble est chatoyant, harmonieux.

« Voici une chanson parlant de paix… Brian Boru »

Cette composition est, incontestablement, l'une des plus belles réussites de l'artiste. Alan chante avec ce phrasé si particulier qui rend sa voix inimitable. La ravissante Nolwenn Leroy le rejoint. Admettons, bien volontiers, que cette gracieuse interprète possède une tessiture agréable.

Soyons assurés que, si Brian Boru, légendaire roi celte, avait entendu chanter, de si belle manière, cet hymne à sa gloire, il en eut apprécié l'hommage.

Nolwenn reçut donc les applaudissements que méritait sa louable prestation.

Succèdera une toute nouvelle création qui devrait vraisemblablement paraître sur le prochain album. Une jolie ballade qui parle de mer, de marins, de pêcheurs, de retour en pays breton, bon vent et back to Brittany !

« Ok, on continue…. A présent, voici une chanson d'amour… »

« Te », intime complainte figurant dans le disque « Explore » où Alan, l'incorrigible explorateur, montre tout son novateur savoir-faire.

Nous refaisons un petit retour en arrière avec « Harpes de sang », en breton, « Telenn Gwad »,

« An Alarc'h », « Le cygne » en français. Si beaucoup connaissent sa musique entraînante, sans doute beaucoup de non Bretons ignorent-ils que cette chanson traditionnelle, issue du Barzaz Breiz, était considérée comme un chant patriotique. Toute la salle reprend en chœur :

Dinn, dinn, daoñ, d'an emgann, d'an emgann, o !

Dinn, dinn, daoñ, d'an emgann ez an.

Le prestigieux Bagad de Saint-Malo, l'un des plus innovants du moment, René Werneer au fiddle, Robert Le Gall au violon se joignent à l'actuelle formation de Stivell. Le morceau monte en puissance et s'achève en apothéose sous des sunlights aux teintes sanguinolentes. Effet garanti.

Nous avons parcouru, non sans une certaine nostalgie, quelques périodes phares de sa vie, écouté quelques titres majeurs de son répertoire. De : « Kost Ar c'hoad » à « King of the fairies ». Robert Le Gall a rejoint, une nouvelle fois, René Werneer. Les trois violonistes transcendent, particulièrement ce virevoltant traditionnel irlandais.

La salle se lève pour saluer la performances des musiciens. Alan remercie d'un grand sourire ses deux invités.

Il presse contre lui René Werneer dont l'émotion est perceptible. Il murmure quelques mots à l'oreille de cet autre héros de l'inoubliable et inoubliée épopée stivellienne.

« Trente cinq ans que l'on ne s'était pas revus, je n'en reviens toujours pas » !

Le spectacle continue. Le public gesticule un peu, certains ont très envie d'esquisser quelques pas de danse, mais n'osent pas trop se lever, mais l'on sent bien une certaine impatience.

Rocker dans l'âme, Alan Stivell enchaîne bon nombre de ses succès. Des rayons lasers verts s'entremêlent aux fumigènes créent une atmosphère surnaturelle, surlignent les silhouettes des musiciens qui ne deviennent qu'ombres furtives. Le musicien nous montre toute la maîtrise de son art, que ce soit à la flûte irlandaise, à la bombarde, à la harpe, bien sûr, mais aussi à la cornemuse électrique, à la cornemuse écossaise, éblouissant « Penn Sonneur ».

Le harpiste déroule ces morceaux rythmés qui ont jalonné sa carrière : « Ne bado ket atao », « Miz Tu », « Brittany's », puis « Brezhoneg 'raok ».

Avec hargne, le constant défenseur de la langue bretonne lève le poing… A cet instant, comme par miracle, quelques Gwenn ha Du sortent d'une poche ou d'un sac et sont brandis avec fierté. Alan acquiesce de la tête.

De Bretagne il sera toujours question, car si Stivell demeure un fervent ambassadeur de la cause bretonne, l'homme n'en est pas moins ouvert aux cultures des autres. « Le monde est ma maison et la Bretagne est mon appart' ».

Toute l'assistance aimerait mais n'ose pas danser. Qu'importe, ce sera donc Alan qui viendra vers elle.

Il descend de la scène, prend la main d'une spectatrice, l'invite dans un An Dro. Ceci crée un beau moment de panique dans le service d'ordre… comme au bon vieux temps ! Un long ruban trépignant se déroule tout autour de la salle. Au balcon, on secoue les bras en se tenant par le petit doigt, mais les sièges bien trop serrés ne permettent pas de bouger davantage.

Puis Stivell continue avec une énième et divine version de « Kimiad », entre harpe et Bagad. Une marée humaine s'abat au devant de la scène. Les invités se succèdent sur la scène pour l'accompagner, la jolie écossaise, Joanne Maclver, et sa gaïta, l'échevelé Pat O' May et ses riffs de guitare nerveux, un efficace joueur de Uilleann Pipes.

Tous les spectateurs reprennent le célèbre refrain du « Pardon de Spezet », plus connu sous le titre de la « Suite Sudarmoricaine ».

L'on ne s'entend plus avec les « la la la la lé no »… Les murs du music hall doivent en trembler encore.

Je devine, plus que je n'entends, les mots que me susurre ma voisine. Il devient difficile de percevoir les accords de Dan Ar Braz, à la guitare ou les chapelets de notes ruisselant de la harpe d'Alan Stivell dans « Pop Plinn ».

« Son ar Chistr » met le feu à l'Olympia.

Les artistes sortent et regagnent les coulisses, mais nous ne sommes pas dupes. Personne ne souhaite qu'une telle soirée anniversaire s'interrompe de la sorte. La fête n'est pas finie, en tout cas, pas sans l'incontournable complainte des trois matelots de Nantes.

Alan invite le public à chanter avec lui le « Bro Gozh ma Zadoù » repris, en duo, avec Nolwenn Leroy. Tout simplement, magnifique !

L'artiste conclura par ces mots : « Tout ce que je vois, ce soir, me donne du courage pour continuer ! ».

Un tonnerre d'applaudissements salue celui qui a su réveiller les consciences voici quarante ans. Que d'émotion de part et d'autre. Merci Monsieur Stivell pour ce grand moment de partage avec votre fidèle public. Si nombre de médias titraient, ces jours derniers, à tort, « Alan Stivell, le retour », force est de constater que vous n'êtes jamais parti. Votre œuvre, vos centaines de concerts à travers le monde, vos vingt-trois albums originaux, tous aussi différents les uns que les autres, sont là pour en témoigner.

Vous déclariez, voici quelques jours, au Figaro : « Je veux pouvoir encore m'étonner !»

Etonnez-vous, Alan, mais n'oubliez pas de nous étonner… encore et toujours !


Texte et photos : Anny Maurussane


Vos commentaires :
Padrig
Jeudi 5 décembre 2024
tout cela donne chaud au cœur...

Maryvonne Cadiou
Jeudi 5 décembre 2024
Oui Padrig, magnifique compte-rendu. J'apprécie toujours beaucoup les articles de Culture et Celtie relatant les concerts de nos artistes bretons. Ici je retrouve beaucoup de la chaleur de celui auquel j'ai assisté à Saint-Herblain en octobre 2007, de moindre envergure mais quand même !
Vous avez vu qu'il va être retransmis sur France 3 Ouest «lienvoir» href=«article.php?id=25091»>(voir ABP 25091) mais malheureusement seulement sur la région Bretagne...
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