Lors de cette nuit historique, Louis de Caradeuc de La Chalotais (1701-1785), procureur général au Parlement de Bretagne, est arrêté par ordre du roi Louis XV. Ce parlementaire était considéré par le roi comme le chef de la résistance à son autorité, à ce Parlement qui refusait obstinément de lui accorder le droit de lever les nouveaux impôts qu'il réclamait depuis des mois, et que les Etats de Bretagne lui avaient refusés.
Comme très souvent, le roi de France et de Navarre se trouvait dans une situation financière déplorable. Les dettes énormes laissées par Louis XIV (même si l'affairiste Law en avait éliminé certaines), les siennes, l'entretien d'une Cour de plus de 10 000 personnes, ses palais, surtout Versailles, ses maîtresses, coûtait très cher. Mais le pire était la guerre quasi permanente. Et les rois de la maison de Bourbon adoraient la guerre, à tel point que Louis XIV, Louis XV et encore plus Louis XVI pouvaient être considérés comme les souverains les plus puissants du monde. Le problème est qu'ils en perdirent beaucoup et la guerre, cela coûte cher. En 1763, le roi en perd une, la guerre de 7 ans, la première à être vraiment mondiale, et par le traité de Paris, il perd son empire colonial (des îles dans les Antilles, La Louisiane, le Canada, les Indes) et est au bord de la faillite. Et comme souvent, il lui faut augmenter les impôts et se tourner vers la Bretagne, riche, industrieuse, et en proportion qui paie moins d'impôts que ses autres provinces, du moins c'est ce qu'il se dit…
Mais il y a un obstacle, et important : les droits, coutumes et libertés de Bretagne. Le 21 septembre 1532, le roi François Ier signait l'Edit de Plessis-Macé (en Anjou) afin de réaliser ce que l'on nomme l'Union de la Bretagne à la France. En fait, il dut y aller en douceur car il avait besoin des Bretons pour mener ses guerres en Italie. Par ce texte, seuls les Etats de Bretagne pouvaient lever les impôts en Bretagne. La Justice ne devait y être exercée que selon les formes bretonnes. Tous les privilèges, droits et libertés accordés par les ducs étaient maintenus. Les évêques et abbés, souvent très riches et influents, ne pouvaient être que des Bretons. Toutes les institutions ducales étaient maintenues : Etats, Conseil, Chancellerie, Chambre des Comptes, sénéchaussées, etc… et bien sûr le Parlement, c'est-à-dire cette Cour de Justice d'appel qui non seulement jugeait les Bretons, mais aussi contrôlait les paroisses, s'occupait de la Police générale et surtout, surtout, enregistrait les décisions du roi. Si elle les refusait, le roi ne pouvait rien faire.
Et c'est ce qui se passa en 1765. Le roi décida de passer en force comme ses prédécesseurs l'avaient fait, sous Richelieu, sous Louis XIV bien sûr avec la Révolte des Bonnets rouges (ou du Papier timbré) en 1675, mais à chaque fois, ce fut un échec. En mars 1765, les membres du Parlement du Parlement furent convoqués à Versailles et se firent tancer par le roi en personne. A l'époque, on nommait cela une remontrance. Juste retour des choses car cela faisait des mois que les parlementaires faisaient des remontrances au roi, officiellement – par des textes juridiques – et discrètement – par des publications très critiques. Le duc d'Aiguillon, commandant en chef de la Bretagne, était particulièrement visé. En fait, il était traîné dans la boue… La Chalotais et le duc étaient ennemis, s'étant largement affrontés sur la question de l'enseignement des Jésuites et c'était La Chalotais qui l'avait emporté, avec l'aide de… Voltaire. Bref, les parlementaires rentrèrent en Bretagne et, coup de théâtre, décidèrent en mai de démissionner –ils se mirent en vacances- en masse bloquant ainsi tout le système judiciaire et même politique breton. Le roi forma avec les non-démissionnaires, une vingtaine, un nouveau parlement. La Chalotais, alors âgé de 64 ans, fut arrêté avec son fils, enfermés au château du Taureau, près de Morlaix. Trois autres parlementaires furent arrêtés et emprisonnés au Mont-Saint-Michel et à Nantes. La Chalotais sera transféré à Saint-Malo puis exilé à Saintes.
En Bretagne, le nouveau parlement fut très vite détesté et impuissant. Les justiciables n'eurent pas confiance et refusèrent d'être jugés par lui. Les membres de ce parlement furent considérés comme des parias par la bonne société. Il est vrai que depuis le XVIe siècle les parlementaires – depuis 1554 la moitié doit être bretonne et l'autre non-bretonne – appartenaient à la noblesse. Au XVIIIe siècle ce sont les plus riches, les plus cultivés de Bretagne. On y trouve des noms célèbres. Après les Fouquet et les Descartes du XVIIe siècle, on trouve les Boisgelin, Cornulier, Bourdonnaye, Talhouët, Le Gouvello, Kerouartz, Marboeuf (dont un membre a financé les études de Bonaparte), Kermenguy, Gouyon, etc. Et les rois de France ont besoin d'eux. Depuis Louis XIV et même auparavant, le régime politique s'appuie sur cette nouvelle noblesse. Le duc d'Aiguillon ne résista pas et démissionna. Mais les choses empirèrent lorsque les Etats de Bretagne, dominés par cette noblesse, en 1770 voulut faire un procès au duc d'Aiguillon alors très proche du roi et de sa nouvelle maîtresse la Du Barry. Le Parlement de Paris appuya cette demande et condamna le duc alors ministre du roi à l'indignité. Louis XV répliqua en fermant le parlement de Bretagne et celui de Paris en octobre 1771 et imposa une réforme administrative (celle de Maupéou) qui donnera des idées aux Révolutionnaires en 1790. Quant à La Chalotais, il revint en Bretagne pour enterrer sa femme et comme il n'en avait pas le droit, il fut arrêté et exilé à Loches en juin 1774. Le divorce entre la monarchie et l'élite était consommé. Il faudra la mort de Louis XV en 1774 pour calmer la situation, du moins un temps. Dès son avènement, Louis XVI restaura le Parlement. Le duc d'Aiguillon fut disgracié et exilé. La Chalotais revint en Bretagne en héros.
Source : Blog d'Erwan Chartier, La Chalotais. (voir le site)
Article de Barthélémy Pocquet du Haut-Jussé sur la Chalotais (voir le site)
Article de Alain Lemaître sur La Chalotais et l'Etat : question sur le despotisme (voir le site)
■Il y a t-il eu un projet de remise en taille de ces ½uvre ? Si non, pourquoi ?
hé bien, la France les à détruite naturellement.
Comme elle l'a fait pour les tapisseries du Parlement Breton, qui avaient été sauvées, et qui ont pris feu «malencontreusement» !
Comme les registres des Etats de Bretagne qui ont disparus «malencontreusement» concernant la période de l'Annexion par la France.