… Nostalgie sans tristesse ni regret, juste un voyage dans le temps à l'époque où l'on disait micheline pour Ter mais où l'on pouvait aller de Saint Brieuc à Loudéac en 3 e classe sur des sièges rembourrés aux noyaux de pêche... C'était ça, la vie en culottes courtes et les cheveux coiffés avec une raie sur le côté. C'était ça et bien d'autres choses encore, des fermes d'avant la Pac avec des ampoules de 25 au bout d'un fil électrique tressé, des fermes avec des odeurs vraies, roboratives et robustes d'avant les puanteurs du maïs ensilé... Voilà ce que nous raconte Jean-Claude L'Hôtellier... il nous raconte cela bien sûr mais il dit autre chose aussi comme cette nature saccagée par le productivisme d'une agriculture bretonne tout occupée à perdre son âme.
C'est pas du chiqué aurait dit Lacan, ça a les saveurs rustres du cidre tiré à la barrique !
Une question cependant pourquoi avoir titré ce livre ''Souvenirs d'en France... ''?
''Souvenir d'en France d'un petit Breton '' Jean-Claude L'Hôtellier, Éditions du Petit Pavé, 197 pages, 20 €.
■1/ L'éditeur s'est trompé et a confondu la Bretagne avec la France, je ne savais pas que les Bretons étaient suspectés de conquérir la France à partir de leur pays (un peu comme du temps de Nominoé et d'Erispoé)
ou plus sérieusement un problème psychologique de refoulement d'une identité où l'auteur essaie de justifier qu'il est justement français au cas où certains esprits mal tournés y douteraient encore. Le problème est de savoir si l'auteur y croit justement ?
Ah la bien-pensance quand tu nous tiens...
Des lampes à pétrole, je n'ai connu que celles qui étaient remisées dans les greniers et débarras. Les ampoules au filament jaune citronné se balançaient au bout de fils tortillonnés, activées par des interrupteurs-poire en bakélite.
Quelques années plus tard, la goudronneuse a épandu sa liqueur noire saupoudrée de gravillons clairs sur les anciennes routes de terre, élargies à la niveleuse à l’occasion. Les gravillons ! Gare aux chutes à vélo ! Ecorchures garanties ! Et sans pleurer s’il vous plaît ! Car les hommes, çà ne pleure pas. Cà, il était inutile de nous le dire : on le comprenait d’instinct, au creux des non-dits.
Quelques années plus tard, les trayeuses électriques ont remplacé la traite à la main - le familier petit tabouret en bois est parti sur la pointe de son curieux mono-pied, discrètement - , dans le même temps les machines-à-laver ont remplacé les lessiveuses ou le lavage à la rivière...Fini le temps des éclaboussements, de la pêche aux « loches », des cailloux qu’on fait ricocher sur l’eau, des sangsues noires et visqueuses qui laissaient le sang en tâche fibrilleuse sur la peau comme sur un papier-buvard. Et toutes ces aventures se déroulaient à vue directe de la coiffe qui rassure…Tant que la lavandière n’avait pas fini de frotter à la brosse et au savon de Marseille, dans l’eau froide. Tâche pénible. Mais en ces temps là, on n’avait pas encore inventé la pollution chimique. L’eau était claire et chantonnante. Dans le « park ar veilh-gozh » limitrophe sur l’autre rive, juments et vaches faisaient bon ménage, chaque espèce allant brouter jusqu’à l’entour des bouses - l’herbe y est plus haute - de l’autre, tout en évitant les siennes déjections.’
Le bruit de moteur des tracteurs a accompagné le pas des chevaux avant de les effacer définitivement. Du reste, les derniers temps, les chevaux avaient à ce point pris le goût de la liberté, qu’il fallait pour leur passer le licol, les appâter avec quelques pommes au creux de la main. Ils s’enfuyaient au fond du champ d’abord, puis – personne n’était dupe – finissaient par se laisser attraper. Sachant très bien que l’attelage aux bras de la charrette en bois les attendaient au final. Encore heureux s’il n’y avait pas de pente trop forte à gravir dans un effort volontaire, inévitable et qui fait mal, ou à descendre, malhabilement, dangereusement, dans le grincement d’un frein à l’efficacité hypothétique.
Sur la ligne (voie ferrée) de Guingamp – ou plus loin, vers Morlaix ou Loudéac - passaient la micheline ou le train (à vapeur), mais l’on ne précisait pas ce détail lié au mode de traction. C’était simplement le train : « ar marc’h-du » rappelaient les anciens avec une fierté à peine contenue. Comme pour signaler que la langue bretonne savait être ingénieuse et poétique pour saluer les nouveautés techniques. A heure fixe, le train. Cela dispensait de montre aux champs. Tchouk-tchouk ! Trace noire charbonneuse s’effilochant avant de s’évanouir dans le paysage. Trois-heures et demie. Il est l’heure de rentrer à la maison, pour la collation.
Dans tout ce paysage, humain, agricole et champêtre, le maillage des talus abritaient une faune cachée, bruissante à l’improviste ou silencieuse, furtive. Sitôt entrevue, sitôt disparue, comme un cadeau précaire imprégnant la mémoire. Ainsi se constituait un pécule d’aventures.
Mais le plus beau, naturellement, était l’accent breton. L’accent de la langue : « ar yezh ». Non pas rocailleux, non pas avec des R qui roulent - en Haute-Cornouaille on ne roule pas les R, on entend le merveilleux « c’h » ce qui est tout autre chose ! - comme je viens de le lire sous la plume d’un auteur certainement décontenancé par son manque de repère sonore. Au nord de Carhaix, chez un même interlocuteur, d’une phrase à l’autre, on pouvait entendre la désinence négative « ket » prononcée indifféremment en mode durci – façon Léon - ou en mode chuinté « tchet ». – façon Vannetais - . Et voilà pour ceux qui se représentent la langue comme divisée au cordeau, en dialectes qui se jouxteraient !
La Bretagne, avec la langue, c’était cela la plus grande aventure. Une aventure qui nus a été refusée, à nous, ceux de la troisième génération, celle d’après. Allez, j’écris cela pour tous les Diwan et les autres (Dihun, DivYezh). Goûtez, goûtez bien votre chance. Prenez plaisir à parler, et bien parler cette langue magique qu’est le breton. Chañs vat deoc’h, skolidi , skolajidi ha liseidi !