"Nous avons un devoir de mémoire pour les 150 000 irradiés de la bombe française"

Chronique publié le 17/01/18 15:08 dans Festivals par Fanny Chauffin pour Fanny Chauffin
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L'association Roz Glas et le réalisateur, avec un mineur et la propriétaire d'un site contaminé

20e anniversaire de la collaboration Taol Kurun et Chlorofilm, vingt années de films comme BZH, Bertsolari, Plogoff la Révolte, Gartxot, Paysan et Rebelle, Kurdistan... Des films en breton, en arménien, en anglais, en arabe... qui montrent le monde comme il est, comme il va, et surtout comment les résistants à une culture uniforme et à une résignation de plus en plus généralisée, peuvent prendre une caméra et porter une information bien souvent non relayée par les média officiels, à l'écran.

«Nous avons un devoir de mémoire pour les 150 000 irradiés de la bombe française» : ces paroles, ce sont celles de Gilbert Colas, venu en invité à la soirée de TAOL KURUN ce mardi soir. Militant de la première heure sur le bateau, le FRI, il a oeuvré à empêcher les essais nucléaires dans le Pacifique. Récemment, à 84 ans, il a été victime de la police à Quimper, et a perdu quatre dents alors qu'il est non violent depuis toujours.

Les 80 personnes présentes ont certainement changé leur regard vis à vis de ces belles îles du Pacifique, les Marquises, Mururoa, Fangataufa... Le rêve, après 24 heures d'avion, devenait réalité : ski nautique, bain tous les jours, pêche dans le lagon (avec défense de consommer les poissons), plongée dans la barrière de corail...

Mais il faut se rendre à l'évidence : le rêve est devenu un cauchemar. Dix ans après, les jeunes appelés ou les personnels revenus en France, commencent à ressentir des troubles, les femmes font des fausses couches, les cancers de la gorge se multiplient, les premiers «vétérans» disparaissent... 150 000 personnels civils et militaires ont participé aux essais nucléaires français d'abord, dès les années 1960, dans le désert algérien, puis jusqu'en 1990 dans les atolls polynésiens en extérieur («qu'il était beau, le champignon», s'écrie un des témoins dans le film, aujourd'hui décédé). Les enfants et petits-enfants des irradiés, qu'ils soient tahitiens, algériens, ou bretons (50 000 des personnels étaient de Bretagne, souvent marins à l'origine), ont des problèmes de motricité, de malformations à la naissance, et cela peut durer... jusqu'à la 19e génération.

Aussi, de Plouvien à Guilligomarc'h, le pas est vite franchi. En Bretagne aussi, la France est radieuse : sur l'île longue, en cas d'accident nucléaire sur la base de sous marins, ce seraient 600 millions de morts qui seraient atteints... Et de Guilligomarc'h à Pontivy, 20 anciennes mines d'uranium fermées aujourd'hui continuent à répandre des radiations jusqu'à 230 fois la radioactivité naturelle sur le site (qui en Bretagne est déjà deux fois plus importante qu'en France), rendant la vie humaine dangereuse sur de nombreux sites connus, sans compter les nombreux lieux où des stériles contenant de l'uranium ont servi de remblais pour des garages, des maisons... Grâce au travail de l'association Roz Glas et d'élus et propriétaires qui ne se sont pas laissé abattre, Areva a commencé à dépolluer certains sites. Mais ce n'est pas satisfaisant, et selon les intervenants, cela participe davantage d'une opération de communication. Mme Moysan, propriétaire d'un terrain qui est très contaminé, présente à la soirée, montre son amertume, et pense qu'elle ne verra jamais son terrain revenir à son état antérieur. Dans une zone marécageuse, ce sont plus d'un mètre de boues radioactives, dues au ruissellement des eaux d'exaure de la mine qui se sont concentrées dans le bas de son terrain, autrefois l'écrin d'une eau pure où les écrevisses se pêchaient nombreuses... Grâce à l'association Roz Glas, aux anciens mineurs (l'un d'entre eux était présent hier soir), et à l'achat citoyen par un financement participatif d'un DG, détecteur hautement fiable, les travaux d'Areva sont surveillés étroitement par les adhérents de l'association.

Trois vétérans des essais nucléaires étaient dans la salle et ont complété les informations, un ingénieur des mines a aussi témoigné de l'incapacité de la France à assumer son présent et son passé nucléaire. Les hommes d'État successifs, de De Gaulle à Macron ont éludé le problème, faisant de la politique nucléaire un véritable secret d'Etat. Un vétéran, venu de Crozon, à la bouche déformée par son opération due à son cancer dû à son séjour à Mururoa où il travaillait sur un bateau, engagé pendant un an dans l'armée, n'a pas encore pu faire reconnaître sa maladie et se bat aux côtés de ses collègues de l'AVEN (associations des vétérans des essais nucléaires) pour faire connaître les difficultés immenses qu'ils rencontrent.

Larbi Benchiha continue ses recherches. Après avoir obtenu plusieurs prix pour ses films, il prépare actuellement un documentaire sur l'uranium en France où la Bretagne aura toute sa place. Produit par Aligal Production et France 3, ce film a besoin de témoignages les plus nombreux possibles, et le réalisateur a fait appel, en fin de soirée après de riches débats, à tous les témoins qui pourraient enrichir le film...


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