“Le chantre de la négritude et un enfant de la République” : Aimé Césaire aurait-il appréci

Conference debat publié le 8/04/11 19:26 dans Cultures par Fanny Chauffin pour Fanny Chauffin
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Du point de vue des marges : Aimé Césaire, discours postcolonial, pensée postmoderne ? c'est la contribution de Buata Malela, à Rennes ce vendredi 8 avril 2011.

Cette conférence avait lieu à la Maison des sciences de l'homme en Bretagne, programmée par le groupe ERMINE (Équipe de Recherche sur les Minorités Nationales et les Ethnicités) dirigé par Ronan Le Coadic.


Professeur adjoint à l'université Nicolas Copernic en Pologne, Buata Malela a soutenu sa thèse à l'Université Libre de Bruxelles (ULB) en Belgique. Il plaisante : « Jamais je n'aurais pu faire ce travail dans certaines institutions en France de façon aussi libre ». Il ajoute : « En ce moment, Césaire est très à la mode. Excusez-moi de n'avoir pas eu le temps d'analyser le discours de Nicolas Sarkozy au Panthéon : la seule chose que je peux vous dire, c'est qu'il n'a rien compris à Aimé Césaire et que son discours est surtout nourri par la vulgate sur Césaire ». No comment.

Buata Malela a par ailleurs travaillé sur les littératures afro-antillaises et leurs relations avec la musique et la philosophie.

Il remercie d'abord les chercheurs présents : « C'est l'une des rares fois où je parle en France à un public d'universitaires. J'ai surtout été invité par des associations diverses, mais rarement par les universités …»

Les années sartriennes

Buata Malela commence par l'apparition de Césaire à la Libération et de ses relations avec les idées sartriennes. La France a tendance à évacuer le contenu littéraire et la portée de ses textes éminemment politiques. On pense rarement la littérature afro-antillaise de façon contextualisée et relationnelle.

Aimé Césaire va « provincialiser une certaine pensée européenne ». Sous le régime de Vichy, on exalte les valeurs terriennes et les écrivains tels que Péguy.

Césaire relit Verlaine, Mallarmé, Rimbaud et Péguy et va leur donner une valeur de résistance. Il va penser la marge et en même temps l'incarner. Senghor et Césaire, contemporains de Breton et d'Aragon sont rarement mis en relation avec ces derniers. Or, Césaire est proche d'André Breton, on peut dire qu'il fait passer le message suivant à René Depestre : « Laisse tomber Aragon et sa tendance autoritaire à vouloir réglementer la littérature ».

À la Libération, Sartre impose un mode de penser contesté par Aimé Césaire qui se réajuste pourtant à cette nouvelle donne. Sartre éprouve une difficulté à penser les marges qui sont pour lui un “obstacle à l'universalisme”.

Édouard Glissant et Césaire

On retrouve dans Glissant les mêmes thématiques que chez Césaire. Il fait comme si la pensée venait de lui seul, ce qui est classique en la matière. Il oppose une Afrique fantasmée et mythique à l'Afrique réelle qui aurait déçu de nombreux espoirs.

Poète de la négritude ?

Édouard Glissant critique ce concept : « la négritude était un mouvement nécessaire ». Mais il y a lieu de le dépasser. À rapprocher de la phrase de Nicolas Sarkozy  lors de l'hommage au Panthéon : « C'était le chantre de la négritude et un enfant de la République ». Même si la démarche glissantienne a d'autres motivations...

Pour le conférencier, Édouard Glissant a une pensée véritablement systématique, à la différence de ce qu'il dit lui-même, et cette pensée se trouve être très consensuelle dans ses effets. Or Césaire critique beaucoup la notion de métissage culturel, pour lui il faut reconstruire une nouvelle identité pas complètement enracinée, mais qui parle à partir d'un point précis.

Mais Césaire n'a pas mis en place une théorie, au contraire de Glissant. Et par ailleurs les amitiés d'Édouard Glissant avec Dominique de Villepin, qui a préfacé un de ses livres, font voir l'élasticité de la position de Glissant. Sa pensée du tout-monde, la “pensée du tremblement”, peut être aussi bien récupérée par toutes les grandes tendances politiques traditionnelles, du fait que cette pensée dilue largement la relation dominant/dominé.

Une philosophie peu clivante, bien utile en politique quand on veut créer du consensus. C'est dire que même le MEDEF a cru se reconnaître dans cette pensée sans trop la comprendre et a donc envoyé une invitation que Glissant a poliment déclinée...

Théâtre et Poésie

Il va mettre en scène des grandes figures de l'histoire antillaise : Toussaint Louverture, le roi Christophe, Lumumba.

Toussaint Louverture représente le “kaïros” (le moment opportun), il a incarné un grand espoir mais a aussi “caporalisé” la société : « Lorsque nous marcherons sur les villes, même la poussière sera disciplinée » et il va créer une forme de dictature militaire.

La liberté pour Césaire est avant tout une liberté mentale, débarrassée du sadisme colonial. Il pastiche Rimbaud avec « Une saison au Congo » ou Shakespeare quand il réinvente « La Tempête ».

Que faire de la liberté quand on l'a acquise ? Il lui faut des figures “historiales” (Heidegger, Couloubaritsis), des figures déterminantes dans le fil historique des Antilles.

“Des noms miraculeux”

Sa poésie est à lire : « En devenant un arbre, en m'enracinant, j'ai trouvé des ossements ». L'esclavage et la souffrance sont partout, dès qu'on creuse, la musique noire américaine, le jazz, sont nés de cet inconscient collectif, de cette histoire commune.

Il parle des « vrais noms, des noms miraculeux », perte de l'identité qui commence par la perte de son patronyme (“Aimé”, nom français).

Césaire est une figure de la souffrance de son peuple, or, souvent dans les études de textes scolaires, on évacue très rapidement la référence à l'esclavage.

Césaire est aujourd'hui plus populaire en Afrique qu'aux Antilles. Tous les Africains scolarisés en français l'ont lu, surtout « Le cahier d'un retour au pays natal ». François Bayrou, du haut de sa position très convenue, avait, il y a quelques années, refusé de voir le nom de Césaire dans les programmes, car il n'était pas assez “universel” à ses yeux. Ostracisé dans les années 1980, le Césaire littéraire a parfois été mal articulé avec le Césaire politique par la suite.

Influence d'Aimé Césaire en Bretagne

Paol Keineg, dans « Les trucs sont démolis », disait qu'il voulait « être Aimé Césaire ou rien ». Il lui a emboîté le pas, a écrit « Le poème du pays qui a faim » (son “retour au pays natal” à lui). Comme Césaire, il a emprunté à l'histoire de Bretagne et des pays celtiques des figures emblématiques : Le printemps des Bonnets rouges (révoltes paysannes en Bretagne contre le papier timbré), Ana-Non (Anne de Bretagne), Triste Tristan (Tristan et Yseut), Boudicca et Taliesin (les Romains et les Celtes)...

Sa dernière oeuvre théâtrale « Terre lointaine » pose les mêmes problématiques que « Une tempête » : comment une langue et une culture dominées peuvent-elles se révolter ou au contraire se résigner et s'avouer vaincues ?

Aimé Césaire était poète, dramaturge, essayiste. Il a aussi été maire de Fort de France, conseiller général. Paol Keineg est parti vingt ans aux États-Unis. De retour au pays natal, reviendra-t-il un jour au politique ? Les « trucs sont-ils vraiment cassés » ?


Pour en savoir plus :

– Buata B. Malela, Aimé Césaire. Le fil et la trame : critique et figuration de la colonialité du pouvoir, Paris, Anibwe, 2009, 222 p.

– le discours du Président au Panthéon : (voir le site)


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