“ Divroa ” la dernière à Angers : un chapitre de plus pour l'histoire des Bretons émigrés

Reportage publié le 24/10/12 0:41 dans Histoire de Bretagne par Maryvonne Cadiou pour Maryvonne Cadiou
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Ce chapitre, magnifiquement traité, est encore une production de Strollad Ar Vro Bagan où tout est vrai. Comme pour leur Glenmor Disuj (voir notre article), que Michel Chauvin avait présenté en disant que rien n'a été inventé et que tout ce qui y est dit provient de livres, de lettres, de souvenirs, Divroa n'est aucunement une fiction. Tout est construit sur des témoignages, des souvenirs, des correspondances de Bretons émigrés, de leurs descendants, revenus au pays ou pas, et même la plupart des photos de fond de scène. « Certains textes sont empruntés directement à des Bretons ou Étrangers migrants (Youenn et Annaïg Gwernig, Yann-Vadezour Lagadeg, Pepita Diaz, Sakinat Amiralieva, Maliens de Montfort-sur-Meu) » est-il écrit dans (voir notre article). Difficile à raconter, tant de richesse. Mais c'est un chapitre de plus qui s'est écrit de l'histoire de la Bretagne ou plutôt des Bretons, dont l'émigration a commencé dans la deuxième moitié du XIXe siècle.


En résumé de la pièce, le PDF ci-dessous serait à lire maintenant. Il donne les Tableaux et les titres et résumés des Scènes.

Résumés des vidéos

Elles s'intercalent entre les scènes photographiées.


V. 1 Tableau I scène 1. Introduction résumant les différents cas d'émigration et leurs suites. Puis 1865 à Karaez Centre Bretagne minier. Le directeur des Ardoisières d'Angers vient recruter des ouvriers pour les mines d'ardoise de Trélazé près d'Angers. Les familles assistent à la réunion avec le maire. Brève évocation de Théodore Botrel.


V. 2 Tableau I scène 2. À Trélazé 1888. L'espoir, il y a 20 ans, d'une vie meilleure a fait long feu. Les accidents du travail, la silicose des mines d'ardoise, doublée parfois de tuberculose atteint les ouvriers. Le fils part en Argentine.


V. 3 Tableau I et II scènes 5 et 6. Des Bretons de Trélazé déçus, trompés, (Gevier mensonges), émigrent en Argentine par bateau de Bordeaux fin XIXe. Chanson latino (Luis Mariano). Sur fond de bruit de bateau, le fils écrit de Santa Fé : il va mal. Suivi de – Tableau II scène 1. Réunion à Guingamp en 1904 l'abbé Le Floc'h, après la séparation de l'Église et de l'État, prédit une vie terrifiante à des ouailles et vante avec talent le Canada, le Saskatchewan dont il revient.


V. 4 – Tableau II scènes 3 et 4. Isidor (Bob Simon) de retour du Manitoba, content d'avoir compris le sermon en breton du recteur ce matin : il rentre à Plouzevede 38 ans plus tard avec sa femme (parti à 16 ans ). Un copain de classe Saïg (André Ollivier) le reconnaît. Lui ne connaît plus que les noms sur le monument aux morts «mais ceux-ci ils ne parlent pas». Non sa femme n'est pas canadienne, ni même une Indienne ! Gentils quiproquos. Dilemme : rester au pays ou retourner avec les enfants ?


V. 5 – Tableau IV scène 3. Italiens réfugiés à Gourin. Bagarres et mésententes, guerre des jupons à Huelgoat. Suivi du – Tableau V scène 1 . Puis chant de l'Amérique. Les Bretons en Amérique. Les pionniers de Gourin, Roudouallec ont fondé Gourin-city en Alberta au Canada.


V. 6 – Tableau VII. Bretons de Paris après la guerre de 40. Retour dans les 70's. « On ne peut pas aimer une terre si on ne la connaît pas ». Éveil-réveil à la bretonnitude par la musique de Stivell.


INTERVERSION 7-1 / 7-2

V. 7-2 – Fin du discours de G. Kervella au public, qui revient sur certaines scènes, Trélazé au moment de Germinal, la grand mère ? Elle est restée vivante 7 ans encore en Bretagne !


V. 7-1 – Tableau VIII. FIN DU SPECTACLE. Terre d'asile ? Tribunaux en Bretagne. Demande d'asile refusée à Sakimat, du Daghestan, sa défense. Les Maliens de Montfort-sur-Meu, leurs soutiens bretons aussi. Fin. Saluts. Postface de Goulc'han Kervella au public.


V. 8 – Après la fin du spectacle, musique et danse impromptues.


Le déroulement


Acteurs comme d'habitude excellents, pas de temps morts malgré changements de tableaux, de personnages et de costumes, on les aurait crus cent en coulisse... Pas de décors mais des rideaux noirs, un sol noir de plain-pied, un fond de scène animé de diapos : portraits, lettres, images d'époque (voir Scénographie)... et vidéos, mais aussi un matériel (les accessoires en terme de métier) abondant pour les intérieurs modestes des émigrés, pour les scènes de bistrots, de bal, de mariages... – sans oublier une quinzaine de valises – tout cela nécessite un gros camion. Remarquer les immenses roues symbolisant le parcours dans les terres du Saskatchewan... Les acteurs jouèrent cette pièce un peu plus en français que dans le livre. Ils ont adapté (ou improvisé) la plupart de leurs textes en français, mais on entendait bien le breton quand même.


Le public

Émotion, très certainement dans le public, mais rires aussi. Grande chaleur humaine, applaudissements nourris, sincères : plus de 200 personnes ont assisté au spectacle de cette troupe de 20 acteurs, plus trois techniciens son et lumière à féliciter chaudement.


Bécassine, le complexe dépassé

Elle a fait une apparition brève mais remarquée, jouée superbement par Nicole Le Vourc'h. Celle-ci était si énergique et si vive que les photos ABP (15 à 19) sont floues (flash déconseillé)... Et elle a fait rire, rire ! “Bécassine” – ici symbole de résistance – se révolte contre l’exploitation de ces jeunes Bretonnes, bonnes à tout faire soumises à leurs maîtresses. Elles promènent leurs bébés dans les voitures d’enfants type “caisse à savon” de l’entre deux guerres avec des “Oui madame, Bien madame, Tout de suite madame” dès que Madame les sonne. “Bécassine” envoie alors valser – d’un énergique coup de panneau dans la figure – un prétendant, qui tombe dans un landau ! Magistrale coordination de cette scène.


De remarquables trouvailles scénographiques

Signalons que les tableaux sont magnifiques, avec des jeux de lumières impeccables, mais en particulier, on a pu remarquer par deux fois une géniale combinaison des acteurs sur scène, complétement intégrés à l'image d'époque de fond de scène : pour l'arrivée à New York d'une part, ils sont sur le bateau et voient aussi la statue de la Liberté (video 5 à 4'30) ; l'autre, c'est au retour, les Bretons arrivent des coulisses du fond et descendent vraiment des trains en gare, en se mélangeant aux voyageurs sur les quais... À couper le souffle, ces deux plongées dans le passé... Encore : les voyageurs dans un train, qui tressautent au rythme des secousses du train ; en paquebot, ils oscillent sous l'effet de la houle (video 3)...


Les reproches des enfants

Les enfants d'émigrés n'adhèrent pas toujours aux décisions qu'ont prises leurs parents, avant leur naissance. Il y a de douloureux échanges de paroles graves, parfois définitives – avec portes claquées – entre les jeunes nés en l'exil de leur parents et qui sont bien adaptés puisqu'ils se sentent chez eux, eux, et les parents qui voudraient rentrer au pays. Alors séparation ? Autre terrible reproche d'un jeune à ses parents, ingrat sans le vouloir, par méconnaissance de leur passé de misère en Bretagne, sur lequel ils ne se sont sans doute pas étendus – la pudeur des Bretons... « Vous êtes venus ici faire fortune... mais pourquoi n'êtes-vous pas restés en Bretagne ? » Voir video 2 le rôle poignant de l'ouvrier ardoisier, malade, qui ne pourra plus travailler...


La quasi omniprésence du recteur

On remarquera (photos et videos) cette grande présence de l'homme d'église – tous joués par Goulc'han Kervella (1) – auprès de ses paroissiens, que ce soit en Bretagne où sur les terres où sont arrivés les émigrés. Il les conseille, les soutient – ne refusant pas un petit coup de rouge (photo) – mais aussi les met en garde des dangers qui les guettent. Voir la photo 14 où il brandit un des « Taolenn » (tableau) du père Michel Le Nobletz, réutilisés par le père [[Julien Maunoir]] au XVIIe siècle. Voir la vidéo 3, 2e partie, avec quel lyrisme à Guingamp, il vante le Saskatchewan dont il revient.


La quasi omniprésence de la valise

On se souvient de [[La valise en carton]] titre du livre autobiographique (1984, Carrère-Lafon) de la Portugaise Linda de Suza immigrée en France en 1969 puis définitivement en 1973, et de la pièce de 1986 qu'elle joua ensuite. Un film fut tiré du livre, paru en DVD en 2007.

Eh bien et c'est à remarquer, la valise est restée le symbole de l'émigration, du voyage. Elles ne quittent pas les acteurs pour ainsi dire tout au long de la pièce. Ils s'assoient dessus dans les trains, ils se reposent assis dessus si besoin, ils l'ont à la main presque partout avec eux...


Élargissement du thème

Élargissement du thème de l'émigration à celui de l'immigration : « Bretagne terre d'asile » avec deux témoignages d'affaires récentes :

– La mère célibataire Sakinat Amiralieva (2) qui a fui le Daghestan où elle risquait sa vie, a atterri à Brest mais non sans menaces supplémentaires. Solidarité des Bretons (voir le site) du comité de soutien à sa fille Patimat, monté à Brest en 2006 et (voir notre article), ainsi que (voir notre article) ;

– Les Maliens de Montfort-sur-Meu, sans papiers mais avec travail, arrêtés brutalement en 2007. (voir notre article) et (voir notre article). Encore solidarité des Bretons.


À la fin, en guise de conclusion

À la fin, Goulc'han Kervella s'avance sur scène (avant-dernière video) et explique au public, comme à des amis... comment est née la pièce, les personnes qu'ils ont rencontrées pour leurs témoignages, en Dordogne aussi. « C'est la première fois que nous sortons de Bretagne, nous avons failli jouer en Dordogne. Au Canada, non, mais nous y avons rencontré des descendants... ». Goulc'han dévoile, pour ceux qui ne l'auraient pas deviné, que la scène 2 du Tableau VI est l'histoire de Youenn Gwernig, selon le témoignage de sa fille « jouée ici par un jeune homme », et termine l'histoire de sa belle mère mourante... Youenn, peut-être le plus célèbre des Bretons d'Amérique (avec Jack Kerouac qu'il a rencontré là-bas puis en Bretagne en 1965), auteur de La Grande tribu (3) qui raconte et romance son séjour à New York, un récit captivant, drôle, parfois truculent, à se procurer d'urgence pour ceux-celles qui ne l'ont pas encore lu...

Goulc'han Kervella mentionne Annick et Fañch Mahé, de l'Association des Bretons d'Anjou (4), qui sont devenus des amis depuis longtemps, et qui ont été la cheville ouvrière de l'organisation de la venue de Strollad Ar Vro Bagan à Trélazé et Angers, et de leurs spectacles, celui de l'après-midi et celui du soir. Il demande aussi s'il y a d'autres témoignages dans la salle, difficiles à capter alors. Voir fin de la video 8 qui a tourné jusqu'à la fin. Outre l'intendance pour le groupe, hébergements et repas, M. et Mme Mahé ont aussi été à l'origine de la mise en place d'expositions dans le hall de la Maison pour Tous de Monplaisir à Angers pour la Semaine bretonne. Le dimanche, après le repas, ils ont emmené la partie de la troupe restée de la veille visiter le Musée de l'Ardoise de Trélazé.


Et puisque des Bretons sans musique c'est comme « du beurre sans sel »

On ne se quitta pas sans des airs de danses par des Bretons du bagad Ansker (5) impromptus sur le côté de la scène, à la grande joie de quelques danseuses (dernière video) ! Avant la rencontre dans le hall où, pendant que la troupe rembarquait matériel et costumes dans le camion, Goulc'han Kervella recevait les commentaires, souvenirs, témoignages des spectateurs, entre deux signatures.

Le livre Divroañ, reprenant tous les textes de la pièce, paru en 2009 chez Skol Vreizh à Morlaix, était disponible, ainsi que le texte de Glenmor Disuj (6) et Armorica Breizh (7). Les textes en breton ne sont pas traduits dans ce modeste livre de 110 pages. Page 4 An tudennoù, les personnages, page 109 la longue liste des personnes et des livres auxquels est due la pièce. Page 6, après la préface, le “générique”.


Générique

Renket ha leurenniet gant, composé et mis en scène par Goulc’han Kervella ;

Skoazellet gant, assisté de Nikol ar Vourc’h ha Jocelyne Boennec ;

– Ar gouloù hag ar c’hinkladur, lumières et décor : Jean Broda ;

Ar gwiskamanchoù, costumes : Nolwenn Castel ;

Ar son hag an trouzioù, musique et bruitages : Didier Porchel, Steven Guegueniat ;

Ar filmoù, vidéos : Saïg Ollivier ;

Labour sekretourva, travail de secrétariat : Véronique Chalm ;

– C’hoariet gant, joué par Beatris ar Roue, Nikol ar Vourc’h, Aline Aubry, Guy Berthou, Yannig Bigouin,·Michel Dausse, Yann-Edern Jourdan, Goulc’han Kervella, Maxime L’Hostis, Denise Merdy, Jean-Claude Merdy, Andre Ollivier, lvona Premel, Didier Porc’hel, Bob Simon, Marie-Jo Salou.

– Displeget eo bet d’ar wech kentañ e Kastell-Paol d’an 28 a viz Du 2009. Joué pour la première fois à Saint-Pol de Léon le 28 novembre 2009.


Notes

(1) Si, si, il faut présenter encore et encore Goulc'han Kervella. Voici un bon portrait de lui sur “ses terres” (voir le site) de Ouest France. Et le site d'ArVro Bagan (voir le site)

(2) Sakinat Amiralieva – 50 ans en 2012 et professeur de russe dans son pays – est l’auteure en 2006 de Vivre libre avec ma fille, paru chez Robert Laffont (voir le site)

(3) [[Youenn Gwernig]] : La Grande tribu parut en 1982 chez Grasset. (voir le site) pour un bon résumé par l'éditeur. ISBN-13: 978-2246248415 et (voir notre article) pour un hommage en sa ville natale de Scaër. Son disque Foeter-bro - Just a traveller est aussi largement inspiré de son séjour d'environ 15 ans aux USA, ainsi qu'une bonne partie de ses poèmes du livre Un dornad plu, A handful of feathers (bilingue breton-anglais), paru chez Al Liamm en 1997, qui ont été écrits en Amérique.

(4) L'Association des Bretons d'Anjou, depuis 1971, (voir le site)

(5) Le bagad Ansker est le bagad d'Angers (voir le site) , le bagad Men Glaz étant celui de Trélazé, y ayant fait une prestation l'après-midi quand la troupe y joua la scène 4 du Tableau I (p. 16-21 du livre) : (voir le site)

(6) Glenmor Disuj par Goulc'han Kervella, édité tout récemment, en juillet 2012, par Emgleo Breiz (voir notre article) . Les scènes 1 et 2 sont traduites en breton non unifié, que les apprenants fassent attention. Il contient nombre d'informations supplémentaires sur Glenmor dont des photos et une biographie en breton par Goulc'han Kervella. À lire si on aime Glenmor, ou pour le découvrir et si l'on n'a pas vu la pièce.

(7) Armorica Breizh livre et disque du son et lumière de Ar Vro Bagan créé en 2011 sur les origines de la Bretagne, livre paru en septembre 2012 chez Skol Vreizh. (voir le site)


Maryvonne Cadiou
avec l'aimable autorisation de publication de Goulc'han Kervella pour photos et vidéos. Merci.


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