Réponse de l'UNESCO sur la toponymie bretonne menacée : interview d'Yvon Ollivier

Interview publié le 1/09/24 23:09 dans Patrimoine par Philippe Argouarch pour Philippe Argouarch
https://abp.bzh/thumbs/70/70772/70772_2.png
Yvon Ollivier (Photo Yann Lukas, ABP CC-BY-SA)
https://abp.bzh/thumbs/70/70772/70772_3.png
photo Ti ar Vro Tregor

[ABP] L'association Koun Breizh, dont vous êtes le président, a initié au printemps dernier une lettre à L'UNESCO concernant la débretonnisation des toponymes bretons menacés tout particulièrement par le loi 3Ds. Vous avez reçu une réponse ?

[Yvon Ollivier] La réponse pour nous est positive car il s'agit de la reconnaissance de l’enjeu culturel de notre toponymie en langue bretonne, même si l’UNESCO nous dit qu’il n’y a pas d’extrême urgence pour une inscription sur la liste de sauvegarde. L’UNESCO dit que notre toponymie relève bien du patrimoine immatériel de l’Humanité et appelle l’État à la sauvegarder et à mesurer l’impact de ses lois. Comme c’est la Région qui est compétente en matière patrimoniale, nous nous adressons désormais à la collectivité régionale et à son président Loïg Chesnais Girard, pour solliciter l’État afin qu’il demande à l’Unesco l’inscription sur la liste du patrimoine immatériel. (Hors urgence c’est l’État partie à la convention qui doit solliciter l’Unesco). On ne voit pas pourquoi cette demande n’aboutirait pas.

Il faut le faire car cette protection accrue marquerait les consciences et donnerait plus de considération à notre langue et à notre toponymie. Le problème vient du peu de considération qu’ont certains maires, pourtant des locaux, pour leur propre culture, parfois certains maires venus d’ailleurs n’en ont rien à faire ou choisissent sciemment d’éradiquer au nom de l’unicité du peuple français… Nous n’en voulons pas trop aux maires, car nous les savons en grande difficulté au point de sous-traiter à la Poste pour quelques milliers d’euros un adressage souvent stupide.

Comte tenu de la réponse de l’Unesco, Koun Breizh demande à la région Bretagne,

1- De saisir l’État d’une demande d’inscription sur la liste du patrimoine immatériel de l’Humanité

2- De dresser le bilan des atteintes à notre toponymie par la loi 3DS et même avant, de la rendre publique devant le peuple breton et de préparer un plan de remise en état en lien avec les communes et la Poste.

[ABP] La loi 3D n'exige pas des adresses en français mais demande un numérotage de toutes les adresses, y compris des lieux-dits bretons. Il peut y avoir plusieurs habitations dans un lieu-dit, en quoi cette normalisation menace-t-elle la toponymie bretonne ?

[Y.O.] Le fait de donner un nom à toutes les rues a rebattu les cartes, puisqu’en choisissant un nom de rue l’adressage change. Et quel nom choisir ? Parfois on a choisi des noms hors sol alors que nous disposons d’un cadastre napoléonien extrêmement précis sur notre toponymie bretonne. Les communes ont été mal conseillées, on leur a dit quantités de bêtises, que les secours avaient besoin de noms en français, la délivrance des colis, l’accès au réseau numérique aussi a été invoqué, alors qu’il était possible de garder le nom ancestral en breton, en ajoutant un numéro, voire en rajoutant uhela (du haut) ou izela (du bas) en cas de densification de la population. Certaines communes ont bien fait les choses. Ensuite l’informatique va à l’encontre de la préservation de notre toponymie. La Poste et les services en charge ne cessent de nous dire qu’avec le lieu-dit en langue bretonne, mis en seconde position sur la base de l’adressage, après le nom de rue, permet de le sauvegarder. Faux ! Ce qui est mis en seconde position dégage de l’adressage. On n’a pas cessé de mentir aux gens dans cette affaire. On a dit encore qu’il fallait écrire rue, chemin en français. Faux, aucune norme ne l’exige et pas la loi Toubon que l’on ne peut invoquer à l’encontre des langues dites régionales. On a affaire à des gens qui, pour des raisons économiques, veulent rationaliser, normaliser, couper toutes les têtes qui dépassent. Nous Bretons, nous ne rentrons jamais vraiment dans les cases. Nous recevons quantité de courriers de gens exaspérés par la perte de leur adressage. Avec le Collectif du 1er juin, créé à partir d’associations bretonnes, nous allons prendre des initiatives pour porter leur voix. Il faut tout remettre en état aujourd’hui.

[ABP] Pourquoi n'avoir pas signalé à l'UNESCO que depuis des décennies la lettre bretonne c'h est bannie par la Poste des adresses en Bretagne. La preuve réside sur le site de validation des adresses . Si vous entrez «impasse de Pen ar c'hoat 29250 Plouezoc'h», le formulaire de la Poste vous demandera de valider «impasse de Pen ar c hoat 29250 Plouezoch», si vous entrez : « Chemin de Loc’h Crenn, 29760 Penmarc'h», la Poste vous conseillera : «Chemin de Loc h Crenne, 2970 Penmarch». Par contre, la poste accepte les apostrophes dans toutes les «rue de l'église» ou « rue de l'étang », ne pensez-vous pas qu'il s'agit d'une politique pernicieuse et discriminatoire vis-à-vis de la langue bretonne ? L'avez-vous signalé dans votre lettre à l'UNESCO ?

[Y.O.] Cette question de nos lettres a bien été transmise à l’Unesco et également au directeur général de la Poste, qui nous a répondu qu'il ne voyait pas vraiment le problème. Les professionnels qui testent les adresses ont la désagréable surprise de voir les adresses débretonnisées.

[ABP] Comment expliquez-vous que la région Bretagne se désintéresse totalement du sujet ? Une signature du président de Région n'aurait-elle pas donné plus de poids à la lettre à l'UNESCO ?

[Y.O.] Le problème pour faire bouger les choses, c’est le rapport de force politique. On sait cela depuis longtemps mais qui bouge en fait ? Plus grand monde.

Le mouvement culturel breton en s’institutionnalisant sous le pouvoir socialiste s’est affaissé. On a perdu le sens de l’émancipation. Nos élus, il faut le reconnaître, ne bougent pas beaucoup. Dans cette affaire de toponymie, nous avons la désagréable impression de déranger. Nous avons demandé à l’Office Public de la Langue Bretonne (OPLB) des éléments précis pour nourrir le recours UNESCO. Nous les attendons toujours.

Déjà en 2019, avec l’affaire de Telgruc , l’association pilotée par Yann Ber Kemener avait demandé au président de Région d’intervenir, il avait répondu qu’il n’était pas compétent. Nous avions réagi médiatiquement avec un collectif d’artistes, d’auteurs, ça avait bougé un peu puisque la question avait été évoquée en conférence avec les autres collectivités. J’entendais récemment un militant culturel et politique bien connu nous dire qu’il fallait laisser les communes gérer leurs affaires et ne pas intervenir, que tout n’allait pas si mal !!!!!

Plus que jamais aujourd’hui, il faut retrouver le sens de l’émancipation. Je suis l’un de ceux qui ne cessent de rappeler que nous ne sauverons pas notre langue avec les politiques en vigueur. Le taux de progression du nombre d’enfants en filières bilingues ne cesse de baisser pour approcher zéro, signe d’un échec patent. Cela veut dire qu’on ferme autant de filières qu’on en créées. Qui proteste aujourd’hui ??? Qui le dénonce ? Très peu de gens. Je suis l’un de ceux qui ne cessent de rappeler cette évidence qui ne plait pas à beaucoup de gens. On me le fait payer, mais ce n’est pas grave. Ce qui est grave, c’est que nous allons dans le mur. Il est toujours possible de réagir. Il n’est pas impossible que la région Bretagne réagisse et sollicite l’État pour obtenir cette inscription UNESCO qui pourrait changer des choses.

[ABP] Quelles sont les prochaines étapes que Koun Breizh envisage pour empêcher la disparition de la toponymie bretonne, un des derniers marqueurs de l'identité bretonne ?

[Y.O.] Nous allons solliciter un rendez-vous au président de la région Bretagne avec, je pense, tous les membres du collectif du 1 juin, pour évoquer l’importance de ces enjeux. Ensuite nous essaierons à nouveau d’avoir un rendez-vous avec le directeur de la Poste à Paris et nous allons voir pour des manifestations dans les communes où nous avons fait n’importe quoi, comme à Plouezoc’h, afin d'obtenir la remise en état de notre toponymie. Nous sommes tous concernés, les Bretons comme toute l’humanité.

Il va falloir que les Bretons, comme toujours, travaillent sur l’idée qu’ils se font d’eux-mêmes. Des décennies d’école républicaine leur ont appris que leur langue n’était qu’une langue de ploucs, qu’elle n’en était même pas une... Ce que nous voyons là, est la suite logique de ce processus de retournement contre soi. Nous sommes en guerre contre la bêtise humaine, c’est toujours la bêtise lorsque vous détruisez un manoir en Loire-Atlantique parce qu’il n’est pas suffisamment intéressant, alors qu’il s’agissait du manoir du secrétaire du dernier duc de Bretagne, lorsque vous foutez en l’air une rangée de menhirs de 7000 ans à Carnac pour construire un Mr. Bricolage, ou lorsque vous dégagez un lieu-dit millénaire en langue bretonne pour faire place à une rue des Lilas. Nous poursuivrons notre combat contre la bêtise humaine.

[ABP] Des réparations, une restauration de la toponymie bretonne sont-elles possibles dans les cas où une francisation a été opérée.

[Y.O.] Bien sûr, il suffit de vouloir. C’est le rôle de l’OPLB de dresser le bilan et de proposer un plan de remise en état. L’OPLB en a la compétence, le problème vient de l’absence de volonté politique. Ne faisons pas de bruit !!! Des instances culturelles en Bretagne ne servent plus à grand-chose. A quoi sert le Conseil culturel de Bretagne aujourd’hui sinon à servir de caution culturelle pour le pouvoir à la Région ? Nous leur avons demandé de participer à notre conférence du 1 juin sur la question à Vannes, nous attendons encore la réponse.

Il faut retrouver le sens de l’émancipation et de la politique, comprise comme l’art de s’occuper des questions qui importent et qui dérangent. Surtout, ne jamais hésiter à déranger nos responsables politiques. Ce sont eux qui sont à notre service et jamais l’inverse !

[ABP] Le fait que la Région n'ait pas de pouvoirs réglementaires, comme celui d'interdire aux communes de franciser les adresses, n'est-il pas un argument de plus pour l'autonomie ?

[Y.O.] Bien sûr, il faut d’urgence que la région Bretagne soit autonome, mais pour cela il faut le vouloir vraiment et au nom du peuple breton. Le dernier rapport transmis par la région Bretagne à la Première ministre ne contient pas la moindre mention du « peuple breton ». Ça n’a aucun sens. Le rapport transmis par les Corses, mentionne le « peuple corse » une centaine de fois. La région Bretagne et l’OPLB devraient avoir un droit de regard et de veto sur l’adressage qui relève des mairies. Depuis que nous nous sommes mobilisés, les choses ont un peu changé puisque la Poste accepte désormais de former ses commerciaux aux enjeux de la toponymie bretonne, mais il faut aller beaucoup plus loin.


Vos commentaires :
Anne Merrien
Dimanche 15 septembre 2024
Le Télégramme du jour aborde le sujet. Quelques formules m'interpellent: «identité viscérale» , «Ils ont ça dans le sang, littéralement.» Je trouve au contraire que l'intérêt pour la toponymie est une activité plutôt cérébrale. Le pléonasme de l'adressage «chemin de Hent Penvenez» marque une défaite de la pensée. Le ridicule ne tue pas, sauf peut-être la Bretagne.

Yann L
Dimanche 15 septembre 2024
Bonjour,

Pour le c'h, La Poste vous dira, peut-être, que c'est un signe orthographique non reconnu par la Constitution. Dans ce cas, vous pourrez lui rappeler que, par communiqué du 28/01/20218 relatif au prénom «Derc'hen», le Procureur général de Rennes a estimé qu'aucun des éléments composant le c ' h n'est spécifiquement interdit par la circulaire ministérielle relative aux signes orthographiques admis en langue française et qu'il peut donc être utilisé.


Anne Merrien
Dimanche 15 septembre 2024
S'il s'agissait de brimer une identité celtique encombrante, c'est raté : "chemin" est d'origine celtique. Une racine prolifique qu'on retrouve dans le breton kamm (courbe) et dans de nombreux toponymes (Chambord : courbe + gué).

Jack Leguen
Dimanche 15 septembre 2024
Voir la nouvelle ecolinguistique Voir le site : "L’écologie linguistique s’intéresse à la façon dont les langages interagissent entre eux et aux endroits où ils sont parlés, et milite fréquemment pour la préservation des langages en voie de disparition, en faisant l’analogie avec la préservation des espèces biologiques. ."

Alan E. VALLÉE
Dimanche 15 septembre 2024
Alan STIVELL :
"(...) on ne peut pas vivre dans un monde où on s'envoie en permanence des trucs dans la gueule. Moi, quelqu'un qui m'apporte une idée opposée m'intéresse : je me dis que je vais peut-être enfin apprendre un truc. C'est tellement rare ..."
in : "Le Monde", 18 - 19 VIII 2024

Alan E. VALLÉE
Dimanche 15 septembre 2024
CAMUS : "Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde."
FOTTORINO : "Ne pas nommer les choses, c'est nier notre humanité."

Anne Merrien
Dimanche 15 septembre 2024
Il y a deux consensus au sein de la classe politique bretonne : 1. On n'embête pas les conseillers départementaux de la Loire-Atlantique, ni nos 37 députés, à propos de la Réunification (tout ça, "c'est la faute de l'Etat", c'est bien pratique). 2. La langue bretonne, ce n'est pas important (les élus font bloc : hors de question de critiquer les maires qui massacrent la toponymie ou qui refusent de payer le forfait scolaire). L'Etat n'aurait donc rien à craindre d'accorder plus d'autonomie à des élus bretons qui raisonnent comme des Parisiens (sauf que l'Etat a besoin d'argent).

Alan E. VALLÉE
Dimanche 15 septembre 2024
Tant que l'offre partisane et le système électoral restent en l'état en Bretagne, il n'existe pas et ne peut exister de "classe politique bretonne". En revanche, il n'existe en Bretagne qu'une classe politique souvent composée d'agents publics. Elle est française, hexagonale et jacobine dans des partis français qui nouent des alliances avec d'autres partis français, maltraitent jusqu'au sens des mots et ravagent l'histoire. Leurs discours peuvent parfois être en breton. Leurs audaces laissent croire qu'ils défendent la Bretagne. Mais ce ne sont que des illusions. Et c'est la même chose pour tous (ou presque) les scrutins. Et on recommence. Et on se lamente.

Anne Merrien
Dimanche 15 septembre 2024
On aurait tort de négliger les enjeux de la toponymie. Un exemple en Grèce.
"Un des premiers enjeux de l'archéologie, (...) ça va être de découvrir sous le substrat ottoman la géographie de la Grèce ancienne qu'on va essayer d'appliquer à la nouvelle Grèce. (...) On essaie de révéler une Grèce moderne héritière de la Grèce de l'Antiquité. Dans les premières années de l'Etat grec, le ministère de l'intérieur grec forme sur le modèle français de nouveaux départements et de nouvelles communes et leur donne des noms. (...) Jusque là, les noms dans ce territoire ottoman, c'est avant tout des noms de saints grecs, mais surtout des noms albanais, des noms vénitiens, des noms slaves, des noms turcs aussi. En couvrant le nouvel Etat grec d'un nouveau maillage communal, on donne de nouveaux noms aux communes qui sont des noms grecs fournis par des listes élaborées par des gens qu'on appelle archéologues. (...) Et c'est comme ça que le lieu-dit Magoula tout d'un coup s'appelle Sparte par exemple.
Histoire de (Entre la Grèce et nous) 16 janvier 2022 France-Inter
On apprend qu'en s'européanisant ainsi, la Grèce échappe à la colonisation par les puissances européennes.

Anti-spam : Combien font 3 multiplié par 6 ?