Et s’il nous était proposé de visiter une très attrayante et virtuelle galerie accrochant de magnifiques peintures musicales, figuratives ou plus abstraites, toutes inspirées, teintées, imbibées de paysages et de personnages bretons ?
Entre terre et mer, d’Argoat en Armor, en suivant, par exemple, le cheminement de l’eau, de la source… à la mer ?
Aux confins de la musique classique, contemporaine, du jazz et des mélodies traditionnelles bretonnes, explorant un répertoire originalement composé ou arrangé, ces deux virtuoses et expressifs « peintres instrumentistes » nous racontent, certes, au travers d’une inspiration « Kost ar c’hoat », « ridée » ou « gavotte », leurs racines communes, en pays vannetais, mais aussi, sur d’autres rythmes et styles , leur évasion maritime jusqu’à l‘île de Groix ou rendent hommage aux gens nourriciers de la terre, aux défunts sonneurs bretons, au poète breton Per Jakez Hélias, à… Jean-Sébastien BACH, jusqu’à la « femme belle et patiente », supportant un buveur invétéré… mais qui lui est, face à la grâce du divin, reconnaissant !
Malgré la présence de pièces où, bras dessus et bras dessous, l’on marque le pas, ne pensez pas, un instant, que ce programme présente un répertoire de fest-noz. Il n’en n’est rien ! Seules quelques plages y font allusion, ce qui est bien normal, puisque ce rassemblement festif et dansant est un marqueur, une institution de la culture bretonne qui a, quand même, rejoint la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l'humanité, en 2012.
Mais quel est ce fort original et attractif duo qui créé un son bien spécifique ne ressemblant à rien d'autre que ce que l’on peut entendre, à l’accoutumée ?
Créé en 2021, ce « couple de sonneurs » est constitué de Rozenn LE TRIONNAIRE, aux clarinettes et Jérémy SIMON, aux accordéons.
D'influence jazz et musique contemporaine, ce singulier projet artistique met en exergue la création d'une musique issue de la fusion entre l’exercice à haut niveau de la musique classique, de Rozenn et l’experte pratique de la composition et de l'improvisation, de Jérémy, un heureux alliage trempé de musique traditionnelle bretonne.
Permettez-nous de vous présenter ces deux remarquables instrumentistes, inévitablement, que bien top brièvement, tant leurs distincts cheminements musicaux sont étendus et substantiels et que de tels parcours artistiques ne peuvent que générer une créative expression structurelle et mélodique de haute qualité !
En vous invitant à découvrir, sur leurs respectifs sites Internet officiels, le détail de leurs itinéraires musicaux, nous reproduisons, simplement, ci-dessous, les présentations synthétiques publiées par COOP BREIZH.
- Rozenn LE TRIONNAIRE : le journal, The Times, la qualifie de jeune clarinettiste prodigieusement douée. La musicienne enregistre en orchestre de chambre sous la direction de Trevor PINNOCK et se produit, en soliste, avec l’Orchestre Philharmonique du Liban et l’Orchestre du Presteigne Festival (Pays de Galles). Diplômée de la Royal Academy de Londres et passionnée par ses collaborations variées avec Pierre BOULEZ ou, encore, Albin DE LA SIMONE, Rozenn LE TRIONNAIRE intègre, en 2020, l’ensemble CONTRASTE. Elle a enseigné à l’université de King’s College et au Conservatoire Berlioz à Paris.
- Jérémy SIMON : Dans ce duo, Jérémy, joue de l’accordéon chromatique de concert (Bayan) et de l’accordina (Note C.C. : clavier droit d'accordéon, dont le soufflet est remplacé par le souffle de l'instrumentiste). On dit de lui qu’il est « un véritable caméléon de la musique ». Son jeu très expressif, énergique et puissant, emmène les spectateurs dans un voyage musical inédit et émouvant, avec un métissage des esthétiques classique, jazz et traditionnelle dans lesquelles il a grandi. Spécialiste de l’improvisation, il est aussi un habitué de l’exercice de la composition ou de l’écriture littéraire. Les Hennebontais le connaissent pour les nombreux concerts sur la région. Il était, aussi, le chef de chœur de l’ensemble vocal KTEMA.
Pour ce présent et premier opus, dénommé « Skeud », comme Reflet, Rozenn LE TRIONNAIRE et Jérémy SIMON sont, pour deux morceaux, plus que secondés par le talentueux batteur et percussionniste finistérien, Jérôme KERIHUEL, ici, exclusivement aux tablas, percussions issues d’inde du Nord, dont il est spécialiste.
Vous l‘aviez « rencontré » sur nos pages en ligne et, très certainement écouté, au titre des disques que nous vous recommandions : percussionniste et batteur de PEVARLAMM (Notre chronique) percussionniste au sein de l’Ensemble des imaginaires, de Régis HUIBAN (Notre chronique) , batteur de ‘NDIAZ (Notre chronique) .
Au-delà de ces formations, évoluant entre le jazz et les musiques traditionnelles, Jérôme KERIHUEL a accompagné des artistes bretons comme, Dan AR BRAZ (Notre chronique) , Erik MARCHAND, Yann HONORE, Jean-Louis LE VALLEGANT, Armel AN HEJER et, celui avec lequel, en compagnie de Bernard LE DREAU, il avait publié, en avril 2016, « Sonate en trio » (Notre chronique) , « le référent et prolifique compositeur sur touches gwenn ha du »… Didier SQUIBAN !
Mais au fait, c’est, justement, Didier SQUIBAN qui a découvert Rozenn LE TRIONNAIRE et Jérémy SIMON !
Le légendaire compositeur et pianiste breton ne précise t’il pas, en préface du livret qui accompagne « Skeud » ? :
« J’ai découvert leur duo, par hasard, sur Internet et notre rencontre s’est faite rapidement.
Coup de foudre immédiat ! ».
En... reflet, Rozenn et Jérémy ajoutent sur une autre page du même livret :
« Cet album vous livre le premier volet d’une histoire musicale que nous avons tissée autour de notre rencontre avec Didier SQUIBAN.
En partie composé, arrangé puis enregistré, chez lui, à Piougastei, cet opus est marqué de son empreinte par la présence de la résonance de son piano que l’on entend tout au long de l’enregistrement. ».
Eh bien, oui ! Vous avez bien compris, c’est donc l’univers du pianiste et du compositeur finistérien, Didier SQUIBAN qui est la matière inspirant la création de ce très bel et captivant album que l’iconique pianiste breton produit, même, sous son Label « HDLG -Hôtel de la Grève.
Si, en imaginant un reflet à cet univers, Jérôme SIMON signe sept courtes improvisations et, pour notre plus intense plaisir, de longues mélodies, Rozenn a précieusement sélectionné, retranscrit sur partition et arrangé cinq des œuvres de Didier qui la touchent profondément ; trois pièces restant, uninominalement, créditées sous la griffe du pianiste inspirateur.
Inutile de vous dire que vous allez vous régaler, découvrant, toujours mieux, à chaque attentive écoute, de fort belles créations, ou reconnaissant, sous la parure de nouveaux développements, arrangements, ou d’autres couleurs, toujours, profondément teintés de l’âme bretonne, des compostions que vous aurez écoutées et appréciées sur les opus du « Maître du Blüthner », comme « Molène », « La plage », « La Symphonie du Ponant »…
Au-delà des « respirations », des « résonances », de « l’âme » du mythique instrument à cordes frappées que, comme l’indiquent les deux artistes, nous percevons, tout au long de l‘enregistrement, vous aurez, l’impression, le mirage, par la fidélité interprétative de ce, autant merveilleux, qu’improbable duo clarinette/accordéon, d’entendre, ça et là, Didier au piano… et ça, c’est étonnant et la marque évidente d’un sacré et fort respectueux hommage réussi !
A l’orée de cette chronique, nous évoquions l’idée d’une virtuelle visite dans une galerie de tableaux, le duo, comme un guide, semble corroborer notre forte et intime impression, par ses propres mots de présentation figurant au cœur du livret :
« Trois tableaux structurent notre récit':
Argoat (la terre au cœur de laquelle les rivières prennent leur source.
L’estran (Cet endroit de rencontre où tout semble possible) et Armor (La mer, et toutes les espérances qu’elle peut porter).
D'un bout à l’autre de notre aventure sonore, le mouvement de l’eau invite au ruissellement de la pensée et de l’esprit. ».
En « reflet » de l’aspect festif, dansant, enraciné vannetais qui se dégage, bien naturellement, des Kost ar c’hoat, ridées, gavottes, durant lesquels une quasi vocale clarinette « chante », avec moult variations, des airs traditionnels, apparaissent, aussi, effectivement, de profonds moments où l’esprit, la pensée, voire
l’introspection, trouvent creuset. Les envolées de la clarinette ou les effets émouvants, voire dramatiques de l’accordéon, aident, tout en nuances, au voyage extérieur… comme intérieur !
Dans le registre introspectif, nous avons, beaucoup aimé, la composition de Jérémy, « Kan », jouée en solo.
Préfacé par quelques énigmatiques et très contemporaines résonances pianistiques cordées qui feraient penser à la harpe de STIVELL revisitée par le compositeur de musique concrète, expérimentale, bruitiste, Pierre HENRY, l’accordéon de Jérémy vient glisser sa mélancolique, dramatique, ténébreuse plainte chromatique, non pas, comme une « invitation à danser », mais une « invitation à penser ».
A mi-parcours de la pièce, comme le soleil sur l’horizon, se lève, la pièce devient, alors, plus lumineuse, plus ample, plus rythmée et, comme le précise le livret, « le chant (Kan) s’y fait entendre », porté sur l’onde venant d’un réverbérant horizon sonore. Puis, l’intrinsèque réflexion semble se libérer dans un « jazzy-gallianesque » registre, jusqu’à l’évanescent final.
Chaleur, proximité, virtuosité et émotion sont au rendez-vous…
Dans ce même spectre émotionnel, notre oreille et notre cœur ont été fortement sollicités par l’interprétation d’« Ar Baradoz » et par son… « reflet », titré, logiquement, par simple traduction ou destination, « Paradis », pièce, composée par Jérémy, rendant « hommage à tous les sonneurs bretons partis rejoindre les étoiles ».
Comme en liaison avec « Kan », nous retrouvons, pour « Baradoz », une similaire phase sonore introductive, résonnances cordées/accordéon, à laquelle vient, cette fois, en premier plan, se joindre le chant de la clarinette de Rozenn qui, tout en souplesse, sensibilité, nous dirons, en subtils « pleins et déliés », envoie, sur les enveloppants phrasés de Jérémy, ce célèbre cantique breton dont le texte relate la montée de l'âme au ciel qui s'éloigne de la réalité terrestre pour prendre une hauteur de plus en plus spirituelle à mesure qu'elle s'approche de son créateur. Ce morceau inspirant nous invite donc à élever notre âme…
Lorsque les deux artistes mentionnent « le ruissellement de la pensée et de l’esprit », nous sommes, donc, ici, au cœur du sujet !
Après le temps de l'introspection, de l’élévation spirituelle, toujours dans l’émoi, voici, à présent, celui de l’hommage. En miroir du précédent morceau, la composition de Jérémy, « Paradis - Reflet de Ar Baradoz » vous capte d’entrée.
Pour cette pièce, l’accordéoniste et la clarinettiste unissent leurs mélancolies, mais aussi, dans un second temps, comme une évocation de souvenirs plus joyeux et mélodieux vécus avec des êtres chers, à présent, disparus, leurs rythmes et leurs sonorités plus aériennes, plus célestes.
Comment, à l’écoute de ce morceau, ne pas penser à tous ces artistes bretons qui, avant de retrouver le Tír na nÓg, cette « terre de l‘éternelle jeunesse », dans la plus large acception du mot « sonneur », en chantant ou en jouant, ont, pendant de longues années de leurs vies, « sonné la Bretagne » :
Claude BESSON, François BUDET, Jean-Michel CARRADEC, Jean-Paul CORBINEAU de TRI YANN, GLENMOR, Louise EBREL, les Sœurs GOADEC, Youenn GWERNIG, Yann-Fañch KEMENER, Kristen NOGUES, deux des FRERES MORVAN, Polig MONJARRET, Jacques PELLEN, Michel TONNERRE… pour ne citer que quelques figures emblématiques qui cachent une forêt, pour chacun d’entre nous, plus ou moins anonyme, de contributeurs/passeurs de la musique et de la culture bretonne.
Rozenn LE TRIONNAIRE et Jérémy SIMON ont eu cette très belle, reconnaissante et noble idée de consacrer l’une de leurs pièces majeures, à ces âmes bretonnes parties vers d’autres sphères célestes, probablement celtiques.
Que dire, aussi, d’« Enez Groe », improvisation collective, initiée par Jérémy, « suggérant l’évasion maritime vers la belle île de Groix ».
Par les tablas de Jérôme KERIHUEL, l’accordéon plaintif devenant passionnel, de Jérémy SIMON et la narrative, puis, in fine, vertigineuse clarinette de Rozenn LE TRIONNAIRE, se dégagent de ce « traveling musical », successivement, un certain exotisme, l’impression d’une ambiance intimiste dans un café de Port Tudy ou une vision abyssale des hautes falaises de Pen Men, faisant, notamment, des parages de Groix, des abords réputés dangereux, comme l'atteste l’un des dictons de la version de la tétralogie d'Ouessant :
« Qui voit Groix, voit sa croix. ».
C’est, notamment, pourquoi, jusqu’en 1792, Groix, partout environnée de rochers, est longtemps demeurée, une île sans port.
En tous cas, voici, une nouvelle fois, une bien évocatrice et prenante toile musicale qui nous permet une escapade dans l'« île aux grenats » faisant, historiquement, partie du pays vannetais, cher à nos duettistes.
Nous nous garderons bien de détailler, de ce programme, tous les morceaux, tous les tableaux qui le composent et que vous apprivoiserez, à chaque écoute, à chaque « visite » renouvelée.
Il faut savoir, aussi, en garder une vision globale, car, comme dans une galerie d’art, l’individualité des œuvres exposées, crée, souvent, par leur accrochage réfléchi, leur heureuse juxtaposition et leur complémentarité, la fresque finale que l’on emporte, en finalité, gravée dans l’âme.
Excellemment enregistré par Ludovic MESNIL, précautionneusement mixé par Alban SUTOUR, présenté dans une fort esthétique et informative jaquette « classieuse » et contemporaine, par les photos de Michael ROUALLO et les dessins et graphismes de Gildas JAVA et Pierre MALMA, « Skeud - Reflet », de Rozenn LE TRIONNAIRE et Jérémy SIMON est un opus à vous procurer, sans la moindre hésitation, tant il est, d’une part, respectueux et digne ambassadeur de la magistrale et considérable œuvre de Didier SQUIBAN, ainsi que porteur de véritables novations structurelles, mélodiques et sonores pour les propres créations de ce submergeant et atypique duo.
« Skeud - Reflet », de Rozenn LE TRIONNAIRE et Jérémy SIMON : un trop court voyage de, quand même, plus de 55 minutes, qui de la surprenante interpellation de la première audition, à la familiarisation qu’il en résulte au fil de chaque attentive écoute, devient, très vite addictif.
Tout, comme nous, vous écouterez, inévitablement en boucle, avec un plaisir croissant, ce disque distribué par Coop Breizh.
Gérard SIMON
Illustration sonore de la page : Rozenn LE TRIONNAIRE et Jérémy SIMON : «A l'orée du Bois» - Extrait de 01:02.
Site internet officiel de Rozenn LE TRIONNAIRE : (Voir site)
Site internet officiel de Jérémy SIMON : (voir site)
D'autres extraits sonores sur Culture et celtie, l'e-MAGazine : (Voir site)
Les titres du CD de Rozenn LE TRIONNAIRE et Jérémy SIMON «Skeud - Reflet» :
01 - Ouverture - (02:31).
02 - A l'Orée du Bois - (05:I9).
03 - Répons - (04:45).
04 - Kan - (06:26).
05 - Ridées-(04:49).
06 - Prélude - (02:07).
07 - Fugenn - (01:47).
08 - Echappée - (01:30).
09 - Palud - (04:54).
10 - Ar Baradoz - (05:10).
11 - Paradis - (06:24).
12 - Enez Riouzic - (03:44).
13 - Enez Groe - (04:43).
14 - Envol - (0l:03).
Avec Jérôme KERIHUEL aux tablas.
Durée totale : 55:12.
Rozenn LE TRIONNAIRE et Jérémy SIMON «Skeud - Reflet».
Parution : février 2024.
Production : Didier SQUIBAN - Hôtel De la Grève (HDLG).
Distribution : Coop Breizh.
Réf : 4016518.
© Culture et Celtie
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