Les raisons précises des migrations bretonnes vers l'Armorique à la fin du Ve siècle et au VIe siècle restent obscures. Outre l'effondrement de l'Empire romain, l'effacement des villes et la disparition de l'imposition publique ont créé un climat d'insécurité généralisée sur l'île. Les rivalités étaient fortes entre royaumes bretons récemment constitués. La pression des Écossais d'Irlande à l'ouest et celle des Angles et des Saxons à l'est ont également contribué à ces mouvements migratoires. De plus, l'épidémie de peste, enregistrée dans les Annales Cambriae (Annales du Pays de Galles) à l’année 547 (1) et la dégradation générale du climat (2) auraient pu accélérer ou amplifier ces migrations, à lire certaines traditions hagiographiques insulaires ou continentales. Cette peste doit son nom à l’empereur Justinien (527-565), qui a survécu à la maladie. Elle a pour origine la bactérie appelée « Yersinia pestis » qui se transmet des rats aux humains (3). Les changements climatiques avec l'apparition d'un « petit âge glaciaire» (530-680) (4) ont sans doute favorisé la circulation de ce germe. Le changement de température se traduit par une baisse de l'ordre de 2 à 3 degrés pour les deux décennies des années 530 à la fin des années 550. L'environnement insalubre des villes romaines, lié à la disparition de l'imposition publique conduit à l'abandon de l'entretien des réseaux d'égouts. Il rend encore plus vulnérables les corps déjà fragilisés par le froid et la famine : «la peste a frappé un peuple affamé et déjà en état de faiblesse» (5). Toutefois l'historien Jean-Pierre Devroey tient à relativiser les apports de cette histoire environnementale en faisant remarquer que les explications déterministes du lien entre climat et épidémies comme la peste «peinent à expliquer des divergences entre régions ou à justifier des hypothèses globales» (6).
D’après l'historien contemporain byzantin Procope de Césarée, l'épidémie débute en Égypte en 541 pour atteindre Constantinople au printemps 542 où elle fait plus de 10 000 morts par jour. Certains chercheurs attribuent aujourd'hui sa véritable origine à l'Ethiopie, d'autres en Asie centrale, en passant en général par la Crimée et les ports occidentaux grecs ou romains. Dans la leçon inaugurale au collège de France du 1er février 2024, Kyle Harper précise que : « le règne Justinien a été confronté aux changements les plus extrêmes des derniers millénaires. De nombreuses chroniques et les histoires attestent que le soleil a semblé disparaître pendant tant une période prolongée pendant l’année 536. L’historien Procope de Césarée a noté que les Romains ont connu la mort et les défaites à partir de ce moment précis. Ce sont des scientifiques de la NASA qui l'ont pris au sérieux avec la preuve d'une éruption volcanique dans une carotte la première fois établissant un lien avec une carotte de glace. Ensuite, il y a eu une seconde éruption volcanique encore plus importante en 540. La décennie qui a suivi a été la plus froide jamais enregistrée à notre époque » (7). Elle aurait été le terreau de la peste justinienne (8). Selon les estimations de ce chercheur, la peste justinienne aurait provoqué la mort de la moitié de la population. Cette hypothèse est cohérente avec les chiffres avancés de la Peste au XIVe siècle par O. Benedictow de 60 % pour la France et 62,5 % pour l’Angleterre (9). L’analyse des génomes anciens de « Yersinia pestis » montre que cette peste serait apparue plus tôt que ne l’annoncent les Annales de Cambrie, vers 544, via les communications maritimes du continent à la Bretagne insulaire, suite à l'épidémie dans le centre de la Gaule en 543 (10). Des fosses communes sont creusées un peu partout en Occident plus accueillir les victimes. C’est le cas en Bretagne insulaire, en Cornouailles (Corwall) (11). Les Annales du pays de Galles évoquent la «mortalitas magna» [« la peste »] comme étant la cause mortelle du roi Maelgwn Gwynedd, en l'an 547 : « La grande mort [«mortalitas magna»] dans laquelle mourut Maelgwn, roi de Gwynedd /Ainsi on dit : Le long sommeil de Maelgwn dans l'église [à la cour de Rhos] / C'était la Peste jaune. »(12). Curieusement, Gildas, dans le «De Excidio Britanniæ» («Décadence de la Bretagne») ne cite pas de la peste au rang des fléaux qui ont entraîné la chute de la Bretagne insulaire alors qu'il cite Magloconus (Maëlgw en vieux breton) parmi les cinq rois tyrans tenus responsables de cette décadence (13). Il est pour Gildas, un contemporain, bien vivant. Il s'adresse à lui au présent (« Quid tu enim, insularis draco »). Cela suppose t-il alors que le De excidio était antérieur à la Peste de 547, voire 544, suivant la génétique? Gildas a-t-il survécu à la Peste? Est-il parti après la Peste ? Les mêmes Annales de Cambrie placent la mort de saint Gildas en 560 (ad a. CXXVI = p. Chr. 570 « Gildas obiit »). Les deux biographies tardives de saint Gildas ne mentionnent pas cet événement. Celle rédigée sur le continent par le moine Vitalis de Saint-Gildas-de-Rhuys au XIe siècle classe la lèpre parmi les maladies que le saint peut guérir par son intercession : « Il avait un tel rayonnement qu’en très grand nombre, malades, infirmes et lépreux qui vivaient dans les environs venaient à lui ; grâce à ses interventions et à ses vertus il leur rendait la santé » (14).
L'autre biographie, probablement écrite au XIIe siècle par un moine de Llancarfan, Caradoc, au Pays de Galles, ne fait pas référence à la peste.
Certaines sources qui évoquent la peste justinienne de Bretagne insulaire au XIIe siècle sont «contaminées» par la querelle métropolitaine des diocèses de Saint David’s et de Llandaf au Pays de Galles.
La version de la Vie de Teilo (« Vita Teliavi») du Livre de Llandaf (XIe siècle) introduit l’épisode du séjour de Teilo à Dol auprès de Samson (15) en expliquant qu’il ne peut rester plus longtemps à la tête du diocèse de Llandaf : « à cause de la pestilence qui emporta presque tout le monde. Cette peste s’appelait jaune parce qu’elle rendait jaunes et exsangues tous ceux qu’elle persécutait » (16). Cette Vie reprend aussi l’épisode de la peste qui emporta Maelggwn, roi de Gwynedd et « qui rendit le pays presque désert » (17). Ce roi gallois déjà présent dans les annales de Cambrie a pour équivalent latin Maglocunus dans le De Excidio de Gildas qu'il considère comme le « dernier dans mes écrits, premier dans la méchanceté » (Gildas, De Excidio Britanniae, 33).
Giraud de Bari expose les arguments du diocèse de Saint-David's dans le « De Invectionibus » (vers 1147-1223). Il connaît la Vie de Samson par Baudry Bourgueil (v.1045-1130), une preuve de plus, s’il en fallait de la circulation étroite des idées entre les deux Bretagnes.
« Le premier archevêque fut saint David, le dernier fut saint Samson qui, comme l’épidémie de jaunisse atteignait le Pays de Galles, se rendit par bateau en Bretagne armoricaine de Gaule et il y fut promu à l’archiépiscopat sur l’Eglise de Dol, alors par hasard vacante, avec notre pallium qu’il avait amené avec lui. A cette occasion, l’Eglise de Dol obtint le pallium presque jusqu’à notre époque où cette dignité venue de l’extérieur s’est évanouie. Et on sait que notre Eglise de Ménévie a toujours été privée par la suite du pallium, gardant cependant sa dignité métropolitaine antérieure, sauf l’usage du pallium durant les dix-neuf épiscopats qui se sont succédés jusqu’au temps d’Henri roi d’Angleterre. Si quelqu’un se demandait pourquoi alors que l’Eglise de Ménévie fut libre si longtemps, elle ne demanda ni n’obtient le pallium, qu’il sache qu’il y eut parmi les causes autant l’ignorance du clergé que la pauvreté de la terre ainsi que la guerre presque continue entre les Bretons et les Saxons qu’on appelle maintenant Anglais » (18).
Au XIIe siècle, la Vie de saint Oudocée, du nom du 3e archevêque légendaire de Llandaf (après Teilo et Dubrice) emprunte à une des chartes du livre de Llandaf , la localisation de l’archevêché de Dol sur le continent, « en Cornouaille » (19). S’ensuit donc un nouvel épisode qui aurait contraint Teilo, à se réfugier « en Cornouaille (Cernu Budic) » avec son clergé et son peuple.
« Et longtemps après [l’épidémie] s’apaisa grâce à la prière de saint Teilo et des saints de Bretagne. Et avant qu’elle soit entièrement extirpée, la voix divine parvint à saint Teilo qui fut par la suite appelée Cerniu Budic » (20)
Cependant de toute évidence, les auteurs du XIe siècle ou du XIIe siècle, qu'ils aient été de Bretagne insulaire ou du continent connaissaient bien leur sujet. La quête de légitimité des deux évêchés De Llandaf et Saint-David's les conduisait à se référer à Samson, comme fondateur de l'évêché de Dol, promu anachroniquement à l'archiépiscopat (21). Ils connaissaient également bien la peste dont ils parlaient, qu'ils plaçaient du temps de Samson au temps des migrations bretonnes du VIe siècle. Ainsi Giraud de Bari, dit que Samson après avoir fui l'épidémie de jaunisse du Pays de Galles est élevé à l'« archiépiscopat de l'Eglise de Dol ». Selon Bernard Merdrignac le compilateur de Llandaf « travaillait [aussi] de toute évidence dans un contexte où la mémoire collective associait étroitement la couleur jaune (ou brune) à l’épidémie [de peste]» (22). Elle était bien pour lui celle de « Justinien ». En Irlande, les Annales d’Ulster (XVe siècle) et celles de Tigernach (XIVe siècle) enregistrent la peste, respectivement à l’année 549 (en gallois : «Bhuide Chonaill» et «Crón Chonaill» : « peste jaune » ou « peste brune ») et 550 (en latin : «Mortalitas magna»). Elles sont « manifestement interdépendantes » (23) avec celle de Bretagne insulaire, les Annales de Cambrie lui étant antérieures.
La tradition de la Peste jaune du temps de Samson qui circule en Bretagne insulaire depuis au moins le XIIe siècle ne semble n'a pas avoir d'équivalent sur le continent. Les sources hagiographiques qui relatent l'événement font référence d'abord, à la situation de l'île de Bretagne. Si la lèpre traverse bien la Vie ancienne de Samson (entre le VIIe et le IXe siècle) à l'occasion d'un miracle, elle n'est pas la cause de son départ. Le saint guérit une femme lépreuse à son arrivée sur le continent avant qu'il ne fonde le monastère de Dol (Vie ancienne de Samson, I, 52).
« Après une heureuse traversée, ils atteignirent en Europe le port qu'ils visaient. A leur descente du navire, ils aperçurent une cabane pas bien grande près du port ; s'approchant d'elle, saint Samson vit à la porte de la masure un laïc qui pleurait en regardant sans arrêt dans la direction de la mer. Se tournant vers lui, saint Samson lui demanda ce qu'il avait ; mais le laïc lui dit :« Voici trois jours et autant de nuits que j'attends dans ce port le bienfaiteur dont Dieu m'a promis qu'il viendrait d'outre-mer.» Saint Samson lui dit : « Quelle douleur as-tu ? » L'autre lui dit : «J'ai dans cette maison une femme [épouse] lépreuse et une fille possédée du démon [Vxorem habeo in hac mansione leprosam necnon et filiam demoniacam] et on m'a promis qu'elles seraient guéries dans ce port.» (...) Puis, sortant de là il trouva sur placé guidé par Dieu, un endroit parfaitement approprié et fonda pour commémorer l'événement, un monastère qui jusqu'à ce jour, porte le nom particulier de Dol.» (24).
L'eau de la fontaine de la chapelle Saint-Samson à Landunvez (Finistère) était également réputée guérir de la lèpre.
La peste justinienne aurait-elle épargné pour autant la péninsule armoricaine ? Grégoire de Tours, prolixe sur le sujet dit que « des rats infectés ont atteint les rives d'Arles en 543. La peste s'est propagée vers le nord, favorisée par le réseau de transports fluviaux. (...). Elle a gagné le Nord jusqu'à Trêves et Reims, paraissant même avoir traversé la Manche et atteint les limites ouest de l'Europe en 544 (25). La péninsule armoricaine, par sa situation géographique était probablement coupée plus qu'ailleurs, des liens avec l'empire romain d'Occident, à la fin de l'Antiquité. Le réseau des voies romaines n'était plus entretenu. Cependant cela ne suffit pas à considérer que la péninsule était à l'écart de cette pandémie.
La Vie longue de Tugdual, de la fin du XIe siècle, relate d'ailleurs des événements qui pourrait s'y appliquer. Cette Vie décrit la peste de façon réaliste, sous les noms de »clades«, »lues«, »pestilentia«, « »pestis«. Cependant comme le note André-Yves Bourgès, ces informations présentent des similitudes « à celles contenues dans l’hagio-chronique de l’abbaye de Rhuys, qui forme la seconde partie de la vita de Gildas à proprement parler »(26). Elles renvoient par écho outre-manche au De Excidio...
Au-delà du récit de la localisation de la Peste jaune, - en Bretagne insulaire pour les diocèses de Llandaf et de Saint David's au XIIe siècle, sur le continent, peut-être dans le pays de Dol d'après la Vie ancienne de Samson (entre le VIIe et le IXe siècle) - , les traditions insulaires et continentales ont en commun de placer la Peste, comme un acte fondateur fort, de l'Eglise de Dol .
Sur le continent, la période tumultueuse du règne de Childebert (511-558) est marquée par son implication profonde dans les affaires de l'Église, influencé par Césaire d'Arles après la conquête de la Provence en 537. Sous sa protection, exprimée par le principe divin (« Deo propitio »), il nomme des évêques et redessine la carte épiscopale. Procope de Césarée, contemporain, raconte que les Bretons, sujets des Francs, auraient trouvé refuge dans la péninsule sans payer de tribut vers la même période, peut-être grâce à une ambassade envoyée par le roi d'Austrasie à Constantinople en 538. Cette politique religieuse de Childebert, manifestée dès avant 541 au concile IV d'Orléans, suscite des plaintes des évêques sur le mépris de l'élection « cléro » et « populo ». Le roi intervient activement dans les élections des évêques tout en protégeant les biens de l'Église et en redistribuant des terres prélevées sur le fisc. Vers les années 540, il tente d'établir un évêché à Melun, contrecarrant ainsi l'équilibre géographique épiscopal. L'éloge poétique de Venance souligne la générosité de Childebert envers l'Église, mais les récriminations ultérieures de Chilpéric Ier, rapportées par Grégoire de Tours, indiquent une tension croissante entre le pouvoir royal et l'influence ecclésiastique. Ces tensions, peut-être alimentées par l'épidémie de peste au milieu du VIe siècle, ont-elles influencé la fondation de l'évêché de Dol dans le contexte de l'ingérence de Childebert entre 537 et 558, date du décès du roi Childebert ? La peste de Justinien a t-elle mis un frein à la migration des Bretons au VIe siècle ? Dans ce cas la Vie ancienne Samson qui fait état de son passage sur le continent, à ce moment, n'aurait-il été alors qu'un transfuge de cette épidémie ?
A considérer l'enregistrement de la peste de Bretagne insulaire en 547 des Annales de Cambrie (Xe siècle), corroborées par celles de Tigernach (XIVe siècle) et Ulster (XVe siècle) en Irlande, la querelle métropolitaine au XIIe siècle entre les diocèses insulaires de Llandaf et Saint-David's, la mention de la peste dans la Vie ancienne de la Samson (entre le VIIe et le IXe siècles), cela réduirait encore »la fourchette chronologique« de la fondation de l'évêché de Dol, après l'enregistrement des Annales de Cambrie de 547 ou 544 selon les données de la génétique et 558, la mort de Childebert. Après la mort de ce roi, Samson souscrit au concile de Paris en 562.
Cela concernait-il aussi Paul Aurélien que des sources hagiographiques, postérieures de trois siècles disent contemporaines de ces événements ?
D'après André-Yves Bourgès « la Bretagne [continentale] paraît avoir été assez largement préservée de la peste aux temps mérovingiens et carolingiens, sans doute pour se situer très à l’écart des principaux axes de circulation commerciale, – fluviaux tels l’axe Rhône-Saône et la Loire en Gaule, ou encore l’Èbre dans la péninsule ibérique, aussi bien que terrestres comme c’était le cas, outre-Manche, avec la grande voie Londres-York, par exemple » (27). En outre, « comme le rapportent les vitae insulaires d’Oudocée [BHL 6408] et de Téliau [BHL 7997], les mentions de la peste dans les dossiers hagiographiques continentaux de saints de l’époque héroïque, tel celui de Guénolé, dont les pièces les plus anciennes remontent au IXe siècle, ou bien la vita de Brieuc [BHL 1463], de la fin du XIe siècle, ou encore la seconde vita de Maudez [BHL 5723], du dernier tiers du XIIIe siècle, font écho à ses ravages en Grande-Bretagne et en Irlande, mais pas dans la péninsule armoricaine » (28). La référence à la peste jaune en Bretagne insulaire est pour eux un procédé narratif permettant d'expliquer le passage du saint sur le continent. Ainsi, la Vie de Guénolé raconte au IXe siècle que les parents de Guénolé auraient quitté l'île pour la raison que la péninsule était épargnée de ce fléau (29). Se pose alors la question de savoir si la péninsule armoricaine, en tant que finistère de l'Occident chrétien, a vraiment échappé à la peste, ou si cette perception découle simplement de la nature des sources disponibles. A lire les récits de Grégoire de Tours du passage de la Peste en Gaule puis en Bretagne insulaire, il paraît difficilement envisageable qu'elle ait totalement évité la Bretagne continentale, peut-être en dehors des endroits très isolés, comme les îles (ainsi à suivre les légendes dorées de l'hagiographie : saint Maudez et l'île Maudez, saint Tudy et l'île de Groix, saint Budoc et l'île Lavret...), sur les littoraux à l'écart des anciennes voies romaines ou l'intérieur de la péninsule, dans les lieux les plus reculés (saint Hervé et sa forêt) (30). Ce n'était pas le cas de Dol, bien inséré dans le réseau des voies maritimes transmanches. En tout état de causes, si la « Peste jaune » ou « justinienne » a bien sévi en Bretagne insulaire au milieu du VIe siècle, elle a laissé peu de traces dans les mémoires sur le continent, sauf peut-être dans le pays de Dol, à considérer la Vie ancienne de Samson, comme le sceau fondateur de cette Eglise. Rien en définitive ne permet vraiment d'affirmer, que l'épidémie de Peste ait accéléré ou amplifié les migrations bretonnes au milieu du VIe siècle en dehors de certaines sources hagiographiques. Une certitude, au moment où les sources hagiographiques présentent la peste comme une des causes du départ de leurs héros, les saints, la Bretagne insulaire était déjà bien affaiblie démographiquement.
L'épidémie de la peste justinienne fait écho au redoutable pouvoir des maladies contagieuses, telles que la Covid de 2019. Elle pose la question en retour de l'impact de l'histoire environnementale pour les sociétés humaines, soulignant l'importance cruciale de comprendre et de répondre aux défis posés par notre relation avec notre environnement
Notes :
(1) La datation retenue par Bernard Merdrignac est de 549, D'une Bretagne à l'autre. Les migrations bretonnes entre histoire et légendes, Rennes, PUR, coll. « Histoire », 2012, p.191 ; Annales de Cambrie : »Mortalitas magna in qua pausat Mailcun rex Genedotae. Unde dicitur : Hir hun Wailgun en Llis Rhos. Tunc fuit walwelen.« : Morris John (ed. & transl.), Nennius British History and The Welsh Annals, London and Chichester, Phillimore and C °, 1980, p. 85.
(2) La période des migrations correspond à ce que certains historiens qualifient de « petit âge glaciaire » : « La période la plus froide a duré un siècle et demi, du milieu des années 530 aux années 680 » [où] « les changements de température tendent à être cohérents sur le plan géographique », Kyle Harper, 2018, p.355-356.
(3) HARPER, Kyle, »La vendange de la colère« dans Comment l'Empire romain s'est effondré : Le climat, les maladies et la chute de Rome, Paris, La Découverte, 2019, ch.6, p.287-344.
(4) DEVROEY, Jean-Pierre, « L’homme dans son environnement », dans Nouvelle Histoire du Moyen Age, Seuil, 2021, p.75
(5) HARPER, Id., p.328.
(6) DEVROEY, Id., p.75.
(7) Leçon inaugurale de Kyle Harper au collège de France, 2 février 2024.
(8) »Les changements climatiques sont liés au risque de contagion«, Idem Kyle Harper, leçon inaugurale.
(9) HARPER, Kyle, Comment l'Empire romain s'est effondré, op.cit., p.330Cf. Cf. O. BENEDICTOW, 2004, p.383 tableau 38.
(10) KELLER, Marcel, SPYROU, Maria A., SCHEIB, Christiana L., KRAUSE, Johannes, Ancient Yersinia pestis genomes from across Western Europe reveal early diversification during the First Pandemic (541–750), PNAS, Vol. 116 | No. 25 |12363 – 12372.
(11) « Carte 20, Géographie la mortalité de masse (d’après McCormick, 2015et 2016) », Id., p.327.
(12) Id., Annales de Cambrie
(13) Gildas Le Sage, De Excidio, XXXIII-XXXV.
(14) KERBOUL, Gildas, Vie et œuvres, , éditions du Pontig, Sautron, 1997, p.148.
(15) La Vie Teliavi (Vie de Teilo) du Livre de Llandaf a interpolé le récit de Teilo à Dol qui ne figure pas dans la version antérieure de cette Vie de saint, en s'appuyant sur une ancienne Vie de Turiau. Jouant sur l'homonyme toute relative des saints Teilo et Turiau, elle permettait de la placer comme le successeur de Samson.
(16) Traduction dans MERDRIGNAC, Bernard, D'une Bretagne à l'autre. Les migrations bretonnes entre histoire et légendes, Rennes, PUR, coll. « Histoire », 2012, p.191-192 ; texte latin : Texte latin : EVANS, John Gwenogvryn, RHYS, John, Text of the Book of Llan Dav Reproduced Diplomatically from the Twefth Century ManuscriptAberystwyth, National Library of Wales, 1979, p.107.
(17) Merdrignac, id., p.192.
(18) Traduction dans MERDRIGNAC, Bernard, D'une Bretagne à l'autre. Les migrations bretonnes entre histoire et légendes, Rennes, PUR, coll. « Histoire », 2012, p.192-193 ; Texte latin : DAVIES William Samuel (ed), Giraldus, Cambresis. De invectionibus, London, Y Cymmrodor-30, 1893, IV, 1)
(19) La charte porte sur le pèlerinage pénitentiel, imposé par l'évêque Oudocée du prince gallois Guidnerth, dans « l'archevêché de Dol en Cornouaille ».
(20) MERDRIGNAC, Bernard, D'une Bretagne à l'autre, id. p.95 et 193.
(21) La mention de l'archiépiscopat renvoie à la situation de Dol ; au XIIe siècle, qui souhaite aussi s'ériger en métropole aux dépens de Tours. La référence à Samson comme » fondateur de l'archiépiscopat« servait come par miroir les prétentions des diocèses de Llandaf et de Saint-David's, à détenir le pallium. L'anachronisme de l'archiépiscopat de Dol au demeurant souligne que l'ancienneté de l'évêché de Dol servait de caution morale aux prétentions de ces deux diocèses.
(22) MERDRIGNAC, Bernard, D'une Bretagne à l'autre. Les migrations bretonnes entre histoire et légendes, Rennes, PUR, coll. « Histoire », 2012, p.206.
(23) Id, p.206.
(24) Vie ancienne de Samson, I, 52 : Pierre FLOBERT, La vie ancienne de Saint Samson de Dol, éd., trad. et comment. 1997, éd. du CNRS, Paris, p.223.
(25) HARPER, Kyle, Comment l'Empire romain s'est effondré, op.cit., p.289.
(26) BOURGÈS, André-Yves, “Épidémies, pandémies et endémies en Bretagne au Moyen-Âge : des sources hagiographiques très discrètes,” MSHAB, t.99, 2021, p.36.
(27) BOURGÈS, André-Yves, “Épidémies, pandémies et endémies en Bretagne au Moyen-Âge : des sources hagiographiques très discrètes,” MSHAB, t.99, 2021, p.37.
(28) Id. p.36.
(29) Id. p.37.
(30) Voir à ce sujet ARGOUARCH, Philippe, Le rôle de la peste dans l'émigration bretonne vers l'Armorique au VIe siècle, site ABP, le 21/03/16.
Sources de la carte : Sources : carte des « routes maritimes et principaux monastères bretons », Fleu-riot, 1980, carte 3 ; « Carte des paroisses bretonnes primitives », Tanguy, 2002 p.58 ; « Carte des îles britanniques au VIe siècle », Inglebert, 2018, p.49 ; « Carte de la Britannia au VIe siècle », Merdri-gnac, 2012, carte 15, corpus documentaire ; Carte Bécédia : « Monde celtique et anglo-saxon au dé-but du Moyen-Age »). La limite de la Dumnonia retenue reste incertaine : était-elle été formée par West Wansdyke, Selwood Forest et Bokerly Dyke ? La ligne défensive du Wansdyke, construite entre la fin de l'Empire romain et le VIe siècle est généralement attribuée aux Britons pour contenir les Anglo-Saxons. La Bretagne continentale intègre le Broërec, le Vannetais. Depuis le néolithique et l'Antiquité, les rivières de la Rance et de la Vilaine, entre Alet et Vannes assurent la liaison entre la Manche et l'Atlantique « avec un portage intermédiaire dans le bassin de Rennes », ce que P. Galliou appelle « l’isthme armoricain ».
A écouter :
1 - Leçon inaugurale de Kyle Harper au Collège de France prononcée le 1er février 2024 : »Changements climatiques et dynamiques sociales...« - Kyle Harper (2024) : <
2 - Podcast de France culture (Samedi 3 février 2024) avec Kyle Harper : »Climat et maladies : aux origines de la chute de Rome" :<
■Ce qui ne tort pas le cou à la géographie, c'est la phase de l'axe atlantique du commerce entre la Grande Bretagne et la méditerrannée. Or sur cet axe, entre l'Ecosse et la Méditerranée, on trouve l'ouest de l'Armorique, l'Aquitaine, les côte des l'Hispanie. Hasard, durant cette phase (V/VIe siècle), l'ouest de l'Armorique devient la Britania minor et une colonie brittonique est attestée dans le royaume Suève. Aucune trace dans l'Aquitaine et l'Hispanie wisigothique (ce qui peut s'expliquer par le contexte géopolitique). Ca c'est un correlation établie.
Autre pb avec la peste de 547, c'est qu'il est difficile d'en faire un moteur ou un frein, que l'épidémie est ponctuelle (et qu'il y aura d'autres épisodes de cette peste les décennies/siècles suivants) et qu'elle intervient à l'échelle continentale (suivant les axes traditionnels de communication). Ce n'est pas intuitifs d'imaginer la peste de 547 atteindre la GB par les routes atlantiques et inciter les Bretons à prendre ces mêmes routes dans le sens inverse.
ps : le Broerec ne se constitue pas par la partition d'une supposée Cornouaille continentale (entité géographique qui n'apparait dans les textes qu'au 8/9e siècle), il se constitue suite à la main mise de Waroch sur la ville Vannes et je suppose sur les terres du fisc (je crois que vous traitez de ce sujet dans un de vos derniers ouvrages) dans cet ancien comté gallo-romain. D'ailleurs, de mémoire, quand le Broerec est cité dans les chartes du cartulaire de Redon, cela concerne essentiellement les terres au Nord et à L'est de Vannes (à proximité de l'abbaye de Redon certes, mais on peut se demander si le Broerec désignait à l'origine l’entièreté du comté gallo-romain de Vannes).
«■ 1) Pas de première colonisation militaire à la fin de l’Empire
■ 2) Les migrations : un phénomène du VIe siècle, et même de la première moitié du VIe siècle
■ 3) Ni une fuite, ni un exil face à l’expansion anglo-saxonne
■ 4) Pas une migration de masse, mais de petits groupes élitaires»
Commentaire :
1) Hypothèse de C. Brett, reprise par M. Coumert, confirmée par P. Galliou dans l'ouvrage castellum de Brest.
2) La migration est effectivement un phénomène de la première moitié du VIe siècle. Elle a été probablement engagé dès la fin du Ve siècle (cf. fondation de Landévennec où les données de l'archéologie ont été confrontées à la date présumée de la fondation du monastère dans la vie de saint). Le frein ou plutôt un ralentissement - provisoire ? - (cf.vitae, baisse de la population en Bretagne insulaire) après la peste de 547, engagée déjà dans les deux décennies précédentes, après les éruptions de 536 et 540 selon Kyle Harper)
3) Pas de fuite face aux Saxons, mais plutôt pression,menace des Scots d'Irlande, développement généralisé de l'insécurité sur l'île, effondrement de l'empire romain, des villes et de imposition publique selon Bruno Dumézil.
4) Sur les chiffres, je communiquerai dans un prochain article.
Tous ces éléments sont l'objet d'une synthèse que j'ai réalisée il y a trois ans. Elle sera publiée prochainement dans la revue Britannia Monastica de Landévennec, courant 2024 («Au début des temps de la Britannia armoricaine. Les migrations es Bretons au haut Moyen Age»)
■ Il n’est pas avéré que les troupes de Maxime soient passées dans la péninsule armoricaine à la fin de l’Antiquité. Soazik Kerneis, s'appuyant sur une triade galloise tardive du XIVe siècle, avançait en 2011, l'idée de trois levées militaires de troupes bretonnes à destination du continent sous les empereurs Magnence (350-353) par Arbogast, Maxen Wledig alias Maxime (383-388) et Constantin III en 407, dont le gros des troupes aurait assuré le recrutement du Tractus Armoricanus.
1 - L’hypothèse de la levée de Magnence au milieu du IVe siècle repose sur l’unique version de la triade galloise de la fin du Moyen Âge dont Bernard Merdrignac précisait qu’il est peut-être hasardeux, comme le fait S. Kerneis, de trouver un écho de ces événements, à la fois parce que cette source est très probablement remaniée sous l’influence de l’Historia Regum Britanniae de Geoffroy de Monmouth et que le paragraphe concernant cette première levée des troupes bretonnes pourrait bien résulter d’un ajout. Selon B. Merdrignac, « Llychlyn », qui désigne communément la Scandinavie dans les sources celtiques, serait ici une corruption de «Llydaw» qui désigne la péninsule armoricaine en gallois. Le recyclage opéré ici aurait servi la cause de l’usurpateur Maxime, présenté comme l’ancêtre de nombreux royaumes gallois.
2 - La seconde levée concerne l’usurpateur Maxime (383-388) ou son avatar Macsen Wledig. Le récit de Gildas, dans le De Excidio et Conquestu Britanniae (De la ruine et de la conquête de la Bretagne) au VIe siècle, dont l’étude a souligné qu’il ne fallait pas prendre à la lettre « les jérémiades », tant au niveau des données historiques que de la nature de la source (une lettre-sermon), comporte une trace furtive du transfert de troupes régulières de l’île de Bretagne sur le continent. Selon le récit, Maxime aurait privé la Grande-Bretagne de ses ressources militaires et de ses chefs :
« XIV- À partir de là, la Bretagne fut privée de toute son armée, de ses ressources militaires, de ses rois (même s’ils étaient cruels), de son immense jeunesse qui avait accompagné cet usurpateur [Maximus, « Maxime »] dont je viens de parler et n’était jamais revenue chez elle. » (Gildas le Sage, De la ruine et de la conquête de la Bretagne, VIe siècle.)
Il n’est pas question spécifiquement de l’Armorique péninsulaire, ni que le peuple breton n’ait constitué un groupe ethnique spécifique, seulement le transfert de troupes régulières sur le continent. L’Armorique – qui comprenait aussi la Normandie actuelle – ne constituait alors qu’une étape, loin des enjeux que donnent les autres sources historiques. Le récit est complété à l’époque carolingienne dans l’Historia Brittonum du pseudo-Nennius (IXe siècle) qui apporte le cadre géographique à l’expédition de Maxime. L’auteur prétend, en effet, que Maximius (« Maxime ») « ne voulut point renvoyer en Bretagne les soldats qui partirent avec lui vers leurs épouses, leurs enfants et leurs biens mais il leur donna beaucoup depuis le lac qui est au sommet du Montis Jovis jusqu’à la cité appelée Cantguic et jusqu’au sommet occidental, c’est-à-dire Cruc Ochidient. Ceux-là sont les Bretons armoricains et jamais ils ne sont retournés jusqu’à aujourd’hui » (Nennius, Historia Brittonum, IXe siècle).
3 - L’hypothèse de la troisième levée du général Constantin III, par S. Kerneis en suivant la triade galloise, peut être un ajout postérieur au mariage d’Henri II avec Aliénor d’Aquitaine (1152) si l’on tient compte d’une assertion faisant référence à la Gascogne (Wasgwyn). Elle est toutefois attestée historiquement mais concernant cette fois des soldats mutinés stationnés sur l’île de Bretagne dans l’Historia Nova de Zosime, un historien du début du VIe siècle. Ceux-ci, considérant qu’ils n’avaient plus rien à attendre de Rome, auraient alors proclamé leur général empereur en 407, installé à Trèves puis à Arles à partir de 408. Les troupes insulaires n’avaient donc probablement rien à voir avec celles stationnées sur le commandement littoral de la péninsule.
■ Les rares indices archéologiques prélevés ici et là, notamment les céramiques de luxe à l’époque de Constantin (IVe siècle) « du sud des îles Britanniques («New Forest ware», de la région de Southampton, «black- burnished ware» du Dorset) », ne permettent pas à eux seuls de justifier de l’installation d’une garnison ethnique spécifique. Celles-ci étaient d’ailleurs en quantité beaucoup plus faible que celles retrouvées en Normandie. Le constat est aussi celui fait pour des objets confectionnés.
■ Enfin, Soazick Kerneis a proposé l'idée que les pagi concernaient des colonies à vocation militaire, quelque peu similaire aux établissements des lètes germaniques ou des gentiles barbares dans l'empire romain. L’interprétation étymologique qu’elle propose a été remise en cause par Bernard Tanguy.
Pas de sources, pas de preuves.