Le nouveau livre de Sylvain Tesson Avec les fées chez l'éditeur Équateurs littérature fait couler beaucoup d'encre. Pour ou contre. Après les tonnes de descriptions infâmes qui ont été écrites sur la Bretagne aux 18 et 19e siècles, et par quelques-uns des plus grands écrivains français, qu'un nouveau venu en dise du bien et, de plus, la replace dans la Celtie, on ne peut que s'en réjouir. On ne va pas cracher dans la soupe ! Que le gars ait fréquenté extrême gauche ou extrême droite, on en a que faire. Les poètes sont bien au-delà de tout ça. Ils ne jouent pas avec les concepts ou les idées. Ils jouent avec les mots et les images, voire les visages. Ce long voyage, à la voile et à pied, le long de la côte qu'il dénomme «celtique» de la Galice à l'Écosse, un journal de bord empreint d'une beauté sauvage, est un livre qui laissera des traces dans son sillage.
Sylvain Tesson a tout pour plaire aux Bretons. Il joue de la cornemuse et du irish whistle. C'est un grand voyageur comme beaucoup de nos ancêtres et comme certains d'entre nous. Lui a parcouru la Sibérie, le lac Baïkal, la route de la retraite de Russie, les déserts, l'Asie centrale, etc. et aussi des rencontres avec les loups et les panthères blanches avec le photographe Vincent Munier (avec qui j'avais aussi discuté de loups au festival photos de la Gacilly il y a quelques années.) J'ai moi-même rencontré un loup sur l'île Haida Gwaïi (anciennement Iles de la Reine Charlotte), en Colombie-Britannique et je sais ce que sont ces rencontres qui vous restent gravées dans la mémoire pour la vie. Ce sont des visions quest, pour reprendre une expression en anglais qui décrit les anciens rites de passages des peuples premiers d'Amérique du Nord. Tesson parcourt le monde en quête de ces visions et il voit des choses que tout le monde ne voit pas forcément. C'est cela ses fées.
Qu’est ce qu’un peuple, et ce n’est que ca, c’est une communauté de gens qui pleurent ensemble - Sylvain Tesson.
Il a donc parcouru tout le littoral celtique, des Asturies aux Shetland. Il aime cette Celtie atlantique, cette matière de Bretagne, ce littoral grandiose antidote du monde moderne. Une terre convoitée de nos amis européens continentaux venant de zones urbaines industrielles polluées, bétonnées et dénaturées. Ils y viennent en touriste et finissent parfois par y acheter une maison. Notre littoral est notre ultime richesse car il est devenu l'antidote de ce siècle. Inondé deux fois par jour par la marée, il a été épargné, rien n'y peut être construit ou cultivé sauf quelques parcs à moules ou à huîtres entre de vieux moulins à marée. J'ai parcouru ce littoral de Tréguennec à Lostmarc'h, de St Yves à Inch Beach, et oui, ce sont des lieux sacrés, des sources d'émotions qui ne tarissent jamais. Les sentiments passent mais les paysages, ces visages de la terre comme les appelle Sylvain Tesson, sont éternels. Les paysages sont des émotions. Géographe de formation, il a compris, comme Alan Stivell, que ce qui reliait tous les pays celtiques de la façade atlantique de l'Europe c'était la géographie plutôt que l'histoire. Nous sommes le peuple du bout du monde, des caps, des îles et des presqu'îles qui émergent de la mer Celtique. C'est cette géographie qui forge notre identité commune.
Sylvain Tesson aime tellement la liberté qu'il s'amuse à flirter avec le diable juste pour nous emmerder. Je fais ce que je veux et n'obéis à aucun code, à aucun système de pensée, explique-t-il. « Ma plus grande valeur est la liberté ». C'est avant tout un provocateur qui a besoin de se prouver à lui-même et aux autres qu'il est libre. Ce n'est pas un idéologue, pas du tout un politique, il le dit et le redit. De plus, qu'un écrivain ait fréquenté l'extrême droite, ou l'extrême gauche comme le fit Aragon, n'en fait pas un mauvais écrivain. On a tous en tête Louis-Ferdinand Céline, anti-sémite notoire. Sans aucun doute le plus grand écrivain francophone du XXe siècle qui, à lui seul, a changé la littérature. Il y a la littérature francophone d’avant Céline et celle d'après. Un peu comme Chateaubriand qui aurait inventé le français moderne, il y a l' avant et l'après Chateaubriand.
La pétition contre sa présidence du Printemps des poètes, une asso complètement inconnue et qui le serait restée sans les 1500 signatures, est ridicule et a eu pour conséquence la propulsion des ventes du livre. Jack Lang, l'ancien ministre de la Culture a déclaré à propos de cette pétition, qu'un « tel crétinisme est une insulte à la poésie » L'actuelle ministre de la Culture Rachida Dati pense la même chose. La pétition prétendrait se battre contre la banalisation de l'extrême droite ? Quand on sait que cette extrême droite va sans doute être largement en tête en France lors des élections européennes en mai prochain et que le RN est le parti majoritaire en France, c'est un peu trop tard non ? Un parti majoritaire est banalisé de facto. Les 13 millions de Français qui votent Marine le Pen ne sont pas des assassins en uniforme noir, avec des écussons à tête de mort sur une casquette, qui jettent des capsules de Zyklon B du haut d'une chambre à gaz. Ce sont des électeurs tout à fait banals.
Du coup la pétition a catapulté l'écrivain sur tous les plateaux de télé et toutes les radios, dans tous les médias. Déjà La Panthère des neiges avait dépassé la barre faramineuse des 500 000 exemplaires, le top des ventes d'un livre francophone en 2019. Avec les fées va les dépasser, il était top des ventes des libraires la semaine dernière.
Sylvain Tesson est devenu une star grâce à ses détracteurs, y compris Françoise Morvan qui pour une fois n'a pas fouillé «son passé nazi». Pour FM, les nazis ce sont les nationalistes bretons, pas les nationalistes français. Sur son blog, elle s'est attelée à prouver qu'il était nul en tant qu'écrivain. Heureusement que Sylvain Tesson n'est pas breton car il en aurait pris pour son grade. Elle n'a pas pu s'empêcher de ressortir son obsession habituelle : « La lecture du dernier livre de Sylvain Tesson était une épreuve que je ne souhaite à personne. Elle était particulièrement pénible pour moi car je ne vois que trop les dangers de l’idéologie qu’il développe avec le kit néoceltique partout désormais imposé en Bretagne et en Grande-Bretagne pour des raisons politiques qui servent, de fait, l’extrême droite via l’ethnorégionalisme.». Elle a tout résumé de sa pensée incapable de poésie même si elle a pu étudier celle des autres à défaut d'en avoir.
En revanche, le lecteur ne sera pas forcément d'accord avec son rejet du numérique, un mot qu'il ne prononce ou n'écrit jamais comme d'ailleurs le mot «internet». Il parle seulement des « machines qui nous encerclent ». Il est contre les écrans. Pour lui un écran c’est un rideau, un écran de fumée qui nous cache la réalité des choses. Bien sûr il n’a pas complètement tort en ce qui concerne la destruction des liens sociaux causés par tout ce temps passé seul devant une machine ou un appareil. Sans même parler des conséquences néfastes chez les enfants. Le problème des écrans, c'est qu'ils n'ont pas d'horizons. Nous sommes encerclés par les machines myopes mais la Bretagne, elle, est encerclée d'horizons. A nous de composer ! Tout est une question d'équilibre. Nous, en Bretagne, avons l'immense chance de pouvoir sortir de nos écrans pour aller marcher sur les immenses plages sauvage de la baie d'Audierne ou de la presqu'île de Quiberon ou randonner dans les Monts d'Arrée. On peut passer de l'écran à l'écrin de ces joyaux bretons, des «windows» au wind tout court«. Tesson s'en prend aux puces auxquelles on aurait donné intelligence, mémoire, rencontres, etc. Oui mais sans ces puces, il n'aurait pas survécu à une chute de 8m en 2014. Quatre mois de soins intensifs à l'hôpital du Vaudois en Suisse avec toutes les dernières technologies mises à sa disposition pour le sauver.
Tesson médite longuement sur les mégalithes qui se dressent partout dans cette Celtie mais sans considérer la continuité entre ces bâtisseurs et les Celtes qui, selon l'archéologue Barry Cunliffe, sont arrivés bien plus tôt sur cette façade atlantique que le 5e siècle Av. J. C admis par les historiens. Pour Cunliffe en fait, ils sont là dès le début de l'âge du bronze. Dans ses longues suppositions sur le rôle des menhirs, Sylvain Tesson oublie l'essentielle sémantique. Le mot »fée« vient du latin fatum. La destinée. De nombreux sites portent le nom de »roche aux fées". Ce n'est pas du tout un hasard car certaines de ces pierres, certains de ces cromlechs, servaient justement non seulement à prédire les éclipses, mais aussi les grands festivals comme Samhain. Le menhir était un calendrier héliaque en plus d'être un gnomon.
Il ne fallait pas s'écarter de la côte. Passant ! Si tu t'enfonces d'un ou deux kilomètres dans les terres, tu quitteras le cordon des chemins mystérieux et des quais du départ pour trouver la plaine au cordeau, les parfums du lisier. L'arrière-pays, c'est la vérité d'une nation sans la magie du rêve. La côte baigne dans l'illusion. Si on veut rester dans le scintillement, il faut marcher sur le fil. Un pas de côté et c'est la fin du 'vive la mouette et l'ajonc'. Ce sera vive le maïs et l'ammoniac. Tout rêve nécessite des œillères. Le littoral celtique est une même patrie, large de deux kilomètres et courant sur 2000 km de long de la Galice à l'Écosse. Pour parler simplement, appelons-la, la bande passante du monde occidental.-Sylvain Tesson
Le génie poétique de Sylvain Tesson est réservé aux grands écrivains. Ceux qui sont capables de relier les mots et les époques qui ne se relient pas naturellement et cette capacité de lire l'histoire dans la géographie. Je n'avais pas réalisé l'immense portée de ce qu'avait dit Steve Jobs, le créateur de l'entreprise la plus cotée en bourse au monde, quand il disait « creativity is linking things together ». Ça ne s'applique pas uniquement aux inventeurs mais aussi aux poètes et aux écrivains doués comme Sylvain Tesson qui relient mots et idées à travers le temps et l'espace.
L'écriture de Tesson est superbe, bien sûr par sa sélection des mots qu'il choisit et qu'il associe, mais aussi par ceux qu'il n'utilise pas. C'est ça qui rend un livre ou un poème agréable à lire. Ne pas retomber dans le galvaudage des mots usés genre guide touristique ou langage politique. Son périple sur la côte atlantique est une croisière mais le mot n'est jamais prononcé. «Tout dépend du regard», nous explique Sylvain Tesson. Une balade sur le GR34 peut tout aussi bien être une quête du Graal. Dans la grisaille ventée de nos terres inondées prêtes à sombrer dans les profondeurs de l'océan, on peut aussi y rencontrer des fées.
■Un peu troublé et bousculé par votre certains passages de votre présentation. N'ayant lu que « Sur les chemins noirs » je ne suis pas particulièrement admiratif des talents d'écrivain de Sylvain Tesson. Mais il ne s'agissait que d'un ouvrage et un ouvrage particulier dans le chemin de sa vie. J'aime par ailleurs la voix de celui qui a choisi de prendre la route (même si ce terme ne convient pas forcément à son dernier texte) ainsi que celle de celui qui décide d'observer les choses. Quant à la liberté...à chacun ses délires.
Il y a deux aspects qui me posent problème. Le premier concerne la distinction que certains s'éreintent à prouver entre l'homme et son travail. Un vrai problème qui, à mon avis, demanderait plus de considération. Personnellement, je n'arrive pas à la faire, et encore moins concernant certains domaines. L'actualité nous renvoie à la psychanalyse avec la mise en accusation de monsieur Miller après avoir successivement évoqué les accusations de réalisateurs et d'acteurs. Bientôt d'autres portes ? Comment admirer le jeu d'un acteur ou la créativité d'un réalisateur quand on découvre certains aspects de la vie de l'homme ? En littérature, vous citez Louis Ferdinand Céline. Un exemple remarquable effectivement. Comment peut-on s'abstraire des frasques d'un collaborateur patenté ayant rejoint en 1944 le gouvernement de Vichy dans son exil protégé par le Reich, faisant la distinction entre un Nord du travail et un Sud de la paresse, affligeant paranoïaque qui voit chez le juif celui qui lui ravit sa femme ou refuse ses écrits 'géniaux«, antisémite affirmé et bien d'autres choses plus abjectes les unes que les autres pour ne retenir que l'écrivain génial ? Certains font ce grand écart, pour moi il est impossible à faire sauf de croire que l'écrivain ne serait qu'un grand manipulateur. Or il s'agit bien du même homme dont l'écriture fait partie intégrante de sa vie. Les textes de madame Morvan ne peuvent être mis à part de son obsession maladive qui exigerait une solide analyse. Impossible de lire les grands succès de Céline sans penser à ses désirs nazis et ses virulents pamphlets hideux.
Autre chose, si l'on peut dire puisqu'il s'agit encore de distinction. Vous écrivez » Les dizaines de millions de Français qui votent Marine le Pen ne sont pas des assassins en uniforme noir, avec des écussons à tête de mort sur une casquette, qui jettent des capsules de Zyklon B du haut d'une chambre à gaz. Ce sont des électeurs tout à fait banals. " Vous avez entièrement raison. Et c'est justement cette banalité qui construit le crime. Banales les mains qui saluaient dans un magnifique ensemble ( très séduisant pour un film ) un führer en transe, banales toutes ces petites mains allemandes ou françaises qui aidaient à la construction d'un Reich, banales les dizaines de dénonciations quotidiennes envoyées aux Kommandanturs ( comme le fit Céline ). Croire qu'il suffit d'un contexte historique et politique ainsi qu'un fou sorti de sa caporalité est un triste leurre destiné à répéter indéfiniment l'horreur. Le crime c'est le banal. C'est ce banal qui ouvrira ( ou pas , vous semblez vouloir retenir le résultats des élections pour acquis ) la porte du nauséabond. C'est d'ailleurs ce banal qui est devenu une stratégie efficace pour un FN qui dissimule tout jusqu'à son nom mais conserve ses statuts, ses copains dégueulasses, son logo fasciste et s'en va parader à Florence avec toute l'extrême droite européenne.
C’est ainsi qu’en Bretagne, la une d’un torche-cul progressiste – anti-FN & RN, anti-droite, anti-touristes, etc. – a quelque peu énervé ce peuple « rance » mais qui est tout de même LE PEUPLE et ce, malgré les agitations gauchistes qui considèrent que la France est multicolore et multiculturelle, et ont hurlé de joie en voyant Notre-Dame en flammes. Les mêmes gauchistes qui agressent les touristes et accueillent le cul en l’air – comme une chatte en chaleur – les migrants ! [..]»
Suite à un commentaire que je laissais en réaction à son article, Charles Demassieux invitait le «scélérat» que j'étais à aller «se suicider». Il retira son commentaire moins de 24 heures après l'avoir posté... Que l'on ne s'y méprenne pas, l'extrême droite reste dangereuse. Vous comprendrez alors qu'il m'importe qu'un auteur soit ou non d'extrême droite.