Affaire des menhirs détruits de Carnac. Christian Obeltz le prouve : c'est le mur qui avait été

Interview publié le 19/11/23 12:37 dans Patrimoine par Didier Lefebvre pour Didier Lefebvre
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Christian Obeltz devant le Grand menhir de l'enceinte nord ; Er Lannic en Arzon

Une semaine après la conférence-débat à Auray organisée par les Soulèvements des Pierres (voir notre article), nous avons rencontré Christian Obeltz, le technico-leader du combat des citoyens qui cherchent à savoir pourquoi et comment ces menhirs ont pu être détruits.

Il ne lâchera rien.

[ABP] : Vous assurez que les menhirs détruits de Montauban étaient de vrais menhirs. Vous pouvez nous en faire la démonstration ?

[Christian Obeltz] : Voilà une trentaine d'années, Dominique Sellier, géomorphologue de l'université de Nantes, publia une série d'articles dans des revues scientifiques. Pour la première fois, ce chercheur nous donnait de précieux outils d'analyse de la morphologie des menhirs : comment distinguer les anciennes faces «d'affleurement» des faces dites «d'arrachement», les caractéristiques de l'érosion qui affecte ces monolithes depuis des millénaires, etc... Depuis, cet auteur a publié de nombreux autres articles sur ce thème, et plus récemment un gros ouvrage intitulé «les champs de menhirs de Carnac».

Les critères avancés par la DRAC sont donc faux

Aujourd'hui, ce sont ces critères qui sont utilisés par tous les archéologues pour discriminer les blocs naturels, ou d'extraction récente, des authentiques menhirs. C'est d'ailleurs sur les bases de leur géomorphologie que Stéphan Hingant, l'archéologue de l'INRAP qui découvrit ce site en 2015, se décida à en fouiller un. Cela s'avéra positif puisqu'un percuteur en quartz, ayant servi à la mise en forme du menhir, fut découvert à sa base. La fouille n'est donc plus l'élément principal pour identifier des menhirs. L'écrasante majorité des menhirs formant les 500 «champs de menhirs» connus en Bretagne sont d'ailleurs couchés et n'ont fait l'objet d'aucune fouille. C'est l'étude de leur géomorphologie, et parfois de leur nature géologique différente de celle du substrat rocheux, qui sert à les identifier. Les critères avancés par la DRAC pour chercher à minimiser la destruction du site de Men-Guen-Bihan, à Carnac, sont donc faux et ne tiennent manifestement pas compte des travaux des géomorphologues. Sans doute est-il probable que la DRAC de Bretagne a dit ce que le ministère parisien lui avait ordonné de dire...

Par ailleurs, c'est cette file de menhirs qui a manifestement donné le nom de Men-Guen-Bihan à la parcelle cadastrale, preuve de l'ancienneté de ce site.

Des files qui parlent

Ensuite, une large majorité des files de menhirs connues sur la côte partent d'une zone basse et humide (marais, ruisseau...) pour se diriger vers une crête rocheuse. Or, c'était exactement le cas de ce site de Men-Guen-Bihan. Cette file de petits menhirs cochait donc toutes les cases : toponymie, topographie, géomorphologie, et mobilier archéologique. En conséquence de quoi, nous pouvons dire que c'est le mur qui avait été ajouté à une file de menhirs pré-existante, et non l'inverse. C'est d'ailleurs quelque chose de courant sur la côte morbihannaise, et ce défunt site est loin d'être un cas isolé.

[ABP] : Vous n'êtes pas seuls à le dire, je crois ?

[C.O.] : Absolument, les archéologues travaillant au projet UNESCO avaient d'ailleurs retenu ce site pour être classé. Par ailleurs, Ouest France a mené une enquête auprès des archéologues professionnels : tous étaient d'accord avec moi, comme l'indique un article qui fut publié le 14_Juin 2023 .

[ Extrait de l’article, ajout de la rédaction : « ils (les archéologues contactés par Ouest-France) ne peuvent pas prendre la parole, contraints par leur devoir de réserve et leurs liens avec la Drac ».]

C'est d'ailleurs sans doute pour cela que le ministère de la Culture leur a explicitement demandé de se taire ! Pourtant l'archéologue Stéphan Hinguant a tout de même évoqué ce douloureux sujet, non dans la presse, mais un récent rapport de sondage archéologique : « Malheureusement, à peine huit ans après sa découverte, ce site vient d'être totalement détruit par les travaux d'aménagement d'un futur magasin de bricolage et, en l'absence d'une fouille préventive faisant suite au diagnostic de 2015, les données inestimables qu'il pouvait receler sont irrémédiablement perdues. » (S.Hingant, Parc d'Activités du Montauban, 3 rue Gallo-Romaine. INRAP Grand Ouest, juin 2023, p.36)

[ABP] : Comment peut-on laisser faire une telle destruction en période de constitution d'un dossier pour inscrire les sites de Carnac au Patrimoine mondial de l'humanité de l'Unesco ?

[C.O.] : C'est sans doute LA bonne question ! et j'espère que l'enquête menée par la gendarmerie de Lorient permettra d'y répondre. Mais l'on peut d'ores et déjà remarquer que, en dehors de quelques sites prestigieux, susceptibles d'attirer des touristes, et donc de l'argent, le reste du patrimoine breton ne semble guère intéresser nos élites jacobines.

Le scandale de la destruction annoncée de l'ancien Manoir de Bouvron, en Loire-Atlantique, est d'ailleurs particulièrement révélateur de ce mépris.

« Pouvoir et intelligence sont des choses totalement incompatibles »

Á Bouvron, on rase un manoir pour y construire une supérette (voir notre article) ; à Carnac, on rase une file de menhirs pour y construire un Monsieur Bricolage, le seul tort de ces deux sites étant sans doute de ne pas être parisiens ! « On n'a tout de même pas détruit la Joconde ! », s'exclama le Maire de Carnac. A lire ces propos consternants, on comprend mieux pourquoi Albert Einstein nous disait que « pouvoir et intelligence sont des choses totalement incompatibles, si ce n'est de façon épisodique et fugace ». Ces deux qualificatifs ne semblent manifestement pas concerner cet élu.

[ABP] : M. Lepick, président de l'association Paysages de mégalithes, par ailleurs maire de Carnac (oui-oui), qui a signé le permis de construire de Mr Bricolage (et donc de détruire le muret aux menhirs) a récemment dit que 60 sites de menhirs non classés étaient en zone constructible, et que suite à la plainte déposée, il reconnaissait qu'il y avait effectivement des «trous dans la raquette». Est-ce un début de mea culpa ?

[C.O.] : Je ne sais pas, mais cela montre en tout cas qu'un scandale médiatique peut avoir des conséquences heureuses. Imaginons un peu le carnage patrimonial si je n'étais pas intervenu, et si les journalistes n'en avaient pas parlé...

[ABP] : Qu'attendez-vous des plaintes déposées par Sites et Monuments, Koun Breizh et l'Umivem (groupement de 46 associations) ?

[C.O.] : Tout d'abord, je félicite chaleureusement ces trois associations pour cette initiative, et quelle que soit l'issue de l'enquête de la gendarmerie de Lorient, il faudra absolument la médiatiser. Les malotrus qui massacrent notre patrimoine doivent savoir que nous en avons assez de voir notre histoire détruite, niée, et au final, remplacée par des supermarchés. Leur seule peur, c'est la pression médiatique ; en conséquence de quoi, il ne faudra pas hésiter, et continuer de leur mettre la pression si le besoin s'en faisait à nouveau sentir.

Aimé Césaire nous disait : « Un peuple sans histoire est un peuple sans avenir ».

Alors ne lâchons rien, et bâtons-nous pour conserver notre patrimoine et notre Histoire.

[ABP] : Christian Obeltz, nous vous remercions. Nous continuerons à suivre votre combat et oui, nous relaierons


Vos commentaires :
Naon-e-dad
Mardi 19 novembre 2024
Merci pour toutes ces informations.
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Une question: vu la gravité des faits ( si l'on place l'affaire en perspective assez large: science, culture, crédibilité vis-à-vis de l'UNESCO sollicité en parallèle pour l'inscription au patrimoine mondial,, potentialités économiques de l'ensemble du dossier, IMAGE de la région vis-à-vis des visiteurs extérieurs, etc...) , on peut se demander pourquoi le Maire de Karnag n'a pas proposé sa démission.
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Dans de grandes entreprises, dans des sociétés démocratiques, il arrive - à l'occasion de scandales retentissants ou d'accidents notoires - que des personnes en responsabilité démissionnent même si elles n'ont rien à voir, à titre personnel, avec le désastre...Ce faisant, elles assument au moins leur position dans l'organigramme ou le système.
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A plus forte raison pour un maire qui ne parvient pas, semble-t-il, à comprendre l'étendue des dégâts provoqués pour un simple boutiquier (si utile soit-il par ailleurs) ni à reconnaitre sa responsabilité dans ce fiasco historique....
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Aotrou Maer, ha komprenet ho peus petra eo ar peulvaen-mañ, petra eo hon istor deomp-ni, petra eo bezañ e-karg eus lec'hioù istorel mod-se? Komprenet ho peus petra a dalv Karnag, a-benn afin? Evit Breizh, evit Europa, evit ar bed a-bezh. Ne gredan ket.

Colette Trublet
Mardi 19 novembre 2024
Le pouvoir est aux mains des «marchands». C'est un fléau mondial. La Terre n'a pas de poubelle assez grande pour entasser ses déchets. Les monuments mégalithiques qui tracent les routes scientifiques suivies par nos lointains ancêtres ont abouti à la captation des rayons du soleil au moment des solstices et les savants calculs qui en ont été déduits, d'abord à Stonehenge, puis réduits sous forme du calendrier luni-solaire celtique gravé sur une plaque de bronze sont les chefs d'oeuvre que notre époque redécouvre. C'est notre héritage. Protégeons-le en remettant les marchands à leur place au service de leurs clients. Tous les citoyens sont des héritiers en charge de l'avenir, qu'ils soient des consommateurs ou des marchands. Trop compliqué? NON ! c'est la vie qui est comme ça.

Lesur
Mardi 19 novembre 2024
@Naon-e-dad : au Japon, d'autres se serait fait hara-kiri

Naon-e-dad
Mardi 19 novembre 2024
Hopala! Ce n'est pas ce que je dis ni prône.
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Simplement, j'en appelle au retour de la culture et à une réflexion de la part de ceux qui sont impliqués . Reconnaissance d'abord, et réparation ensuite (dans une certaine mesure: par exemple en militant officiellement à l'avenir pour la préservation des mégalithes, partout en Bretagne). Bref, leur réponse reste à inventer. Dezhe da welout ha da ijinan dre peseurt doare.

Alain E. VALLÉE
Mardi 19 novembre 2024
Etant totalement incapable de ''distinguer les anciennes faces «d'affleurement» des faces dites «d'arrachement», les caractéristiques de l'érosion qui affecte ces monolithes depuis des millénaires, etc...'', on peut tout de même très modestement penser que nos lointains ancêtres vivant en Armorique, édifièrent des menhirs selon leur idéologie, leurs catégories culturelles, leur hiérarchie sociale; leur conscience religieuse, ..., Et que des milliers d'années après d'autres ancêtres, peu ou même très au fait de cette civilisation, employèrent ces alignements pour aisément délimiter des terres et propriétés. On peut certainement penser que pour faciliter tant les pâtures que les cultures, les cailloux se trouvant entre ces alignements en furent peu à peu extraits, peut-être taillés, et placés entre ces menhirs pour former des murets devant par ailleurs empêcher la divagation des animaux et protéger du vent. Donc d'évidence logique, nos ancêtres étant astucieux, l'implantation des murets est nécessairement postérieure à celle des menhirs.
Donc : ''le mur (a) été ajouté à une file de menhirs pré-existante, et non l'inverse.''
En effet, les lois uchroniques de l'économie étant à l'oeuvre, le principe de rendement s'imposant évidemment aussi à cette lointaine époque, nos ancêtres n'étaient pas stupides au point de d'abord construire des murets continus sur de longues distances pour, eux ou leurs descendants, ensuite les démonter par endroits afin d'y inclure des menhirs avant de rétablir ces mêmes murets.
Faire simple et efficace au lieu de compliqué et tordu fut, est et reste une constance de long terme des oeuvres de l'intelligence humaine constituant civilisation.
AV

Claude Foucaud
Mardi 19 novembre 2024
5000 ans avant JC, si les écologistes de notre époque avaient existé, les tailleurs et les édificateurs de menhirs auraient été mis au pilori pour destruction de site rocheux naturels.
JC

Marie Gay
Mardi 19 novembre 2024
Et pourtant Claude la Bretagne nous prouve l'inverse : la nature devenue culture, quelle belle région! Qui peut s'enorgueillir d'avoir gardé ses racines et sa beauté, son littoral et ses trésors bien accessibles? Les écolos y viendront toujours avec plaisir...ma région n'a pas aussi bien fait en betonnant ses rives! Merci à ceux qui défendent leur patrimoine naturel et culturel!

Burban xavier
Mardi 19 novembre 2024
Quant on voit le résultat sur le plan culturel quel échec en France ?

Le breton classé parmi les langues en voie de danger d'extinction par l'UNESCO en 2020 .

Les menhirs patrimoines d'un passé lointain mais bien présent dans la conscience collective des habitants , tout cela pour faire un supermarché alors que + de 60°/° des habitation sont vides en hiver à Carnac / Karnag , que les Breton(ne)s , les + jeunes peinent à se loger .

Ce supermarché vendra peut-être des menhirs en plastiques aux estivants .... où est le slogan vivre et travailler au pays " ? Les paysages urbanisés des côtes bretonnes répondent au vide et en écho du Kreiz Breizh (centre Bretagne ) délaissé par les politiques publiques menées , le désert est aussi à Carnac/ Karnag en hiver , les volets sont fermés et les portes tirées ...

Les menhirs (peulvans en breton= piliers de pierre ) sont réduits en pierres par le aménageurs , peut-être transformés en gravier par des broyeuses ou ceux-ci sous poudrés en sable pour édifier de immeubles destinés aux bobos parisiens ...

Doanik da welout ar freuz -se abaoe pell zo , ar weladeoù a zo treuzkemmet evel un tachenn ardaouel gant gwezenn deuet a-bell e-bazh al liorzhioù pe parkeier , e-memm eman al lanneier , al laboused ,al loened gwez , luern , erminig , broc'h , kounifl o ebatal war an warenoù..?.hag all ar stêriou-vihan ganet er mezioù don o kanan evit hon blijadur ... an en-dro, an natur a zo o vont da get !.

Tier graet gant bili raz , ranndioù uhel niverus evit al lakizien an hanvourien (= touristed ) a zo o stankan ar mor alaoueret ha sioul ... Gouelvan eo ! Mac'hom int !


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