Un article contre les écoles bilingues en Haute-Bretagne dans une revue bretonne

Chronique publié le 14/11/23 10:38 dans Langues de Bretagne par Émile Granville pour ABP
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Dans l’hebdomadaire en langue bretonne Ya ! N° 961 du 7 novembre 2023, Fabien Lécuyer s’exprime contre les écoles bilingues français/breton en Haute-Bretagne dans un texte en gallo.

Bien évidemment, il précise en introduction qu’« il n’a rien contre le breton en Haute-Bretagne contrairement à quelques-uns de la mouvance du gallo ». « Mais, il y a-t-il assez d’argent, dit-il, pour avoir des écoles en dehors de la Basse-Bretagne ? Il y a-t-il assez d’instituteurs pour alimenter les écoles en dehors de la Basse-Bretagne ? » Pour lui : « envoyer les instituteurs en Haute-Bretagne, c’est comme envoyer les jeunes capésiens à Paris, pour y passer un couple d’années avant de retourner en Basse-Bretagne » Il propose de mettre ainsi tout l’argent pour « 30 écoles supplémentaires entre Guingamp et Brest, là où elles pourraient être vraiment utiles pour le breton ».

Bien évidemment, il se garde de vouloir fermer les écoles en breton de Rennes, Fougères ou Saint-Sébastien. « Mais faut-il en ouvrir d’autres ? », ose-t-il interroger les lecteurs de son texte dans une revue en langue bretonne. Pour lui, ce n’est que du gaspillage d’argent et du saupoudrage ici ou là en Haute-Bretagne. Et de s’en prendre tout particulièrement aux écoles bilingues de la Ville de Redon qui ne bénéficient pas de sa part de la même indulgence que celles de Rennes, Fougères ou Saint-Sébastien. Pour lui, Redon est « un bon exemple de saupoudrage, contrairement à Langonnet où les élèves peuvent parler avec les anciens, et où, qui plus est, a lieu Gouel Broadel ar Brezhoneg chaque année. » C’est vrai qu’il n’y a pas ce grand rassemblement de brittophones à Redon, ni dans bien d’autres villes de Bretagne d’ailleurs. Et d’insister : « Il y a donc de l’argent mis dans le breton à Redon qui servirait peut-être bien plutôt à Langonnet » ou en gallo dans le texte : « N-i a don de l’arjient minz den le berton a Rdon qi serviraet ventiés ben pus fôt a Langoned ».

On peut évidemment être reconnaissant à Fabien Lécuyer de son souci pour l’avenir de la langue bretonne et pour ne pas gaspiller l’argent public. Son raisonnement est sans doute bien adapté pour éradiquer le breton de Haute-Bretagne, mais pas pour développer le breton ni économiser de l’argent. Certes, 30 écoles supplémentaires en breton en Basse-Bretagne seraient les bienvenues, mais 30 écoles supplémentaires en Haute-Bretagne le serait tout autant.

Rappelons quelques données évidentes. 1) L’enseignement en breton ne coûte pas plus cher que l’enseignement en français. 2) S’il manque des enseignants en breton, c’est par la défaillance de l’Etat. 3) L’argent, c’est l’argent des Bretons. La démocratie veut que les Bretons puissent faire leur choix culturels et économiques avec leur argent. C’est l’élément fondamental de tout projet d’autonomie tant attendue pour la Bretagne. 4) Il y a des écoles bilingues en Haute-Bretagne par volonté populaire. On appelle cela « la demande sociale ». La demande est d’ailleurs aussi forte en Haute-Bretagne qu’en Basse-Bretagne. Il suffit de regarder les résultats de l’enquête TMO de 2018 commandée par la Région Bretagne. Que Fabien Lécuyer se rassure, le Rectorat fait encore beaucoup d’efforts pour ouvrir le moins possible d’écoles bilingues en Haute-Bretagne. 5) Il n’existe plus de communautés brittophones locales. Pour parler breton, il faut volontairement en organiser les rencontres. Tout le monde le regrette évidemment. Mais cette vision de « Bretagne rurale » du breton ne correspond plus à la réalité. Même si le fond breton est plus tangible en Basse-Bretagne, et c’est une chance ! Ce n’est pas pour autant que les écoles bilingues en seraient moins légitimes en Haute-Bretagne. 6) La division Haute et Basse-Bretagne n’est plus pertinente. Un grand mouvement démographique se fait de l’Ouest à l’Est en Bretagne et de l’Est à l’Ouest venant des Régions françaises, qui converge vers la Haute-Bretagne. Dans une vingtaine d’années, il est fort probable qu’il y aura autant de brittophones dans les grandes villes bretonnes qu’ailleurs. Cela n’empêche pas la nécessité d’une action politique pour un meilleur équilibre démographique de l’ensemble de la Bretagne. Ne serait-ce que pour consolider justement le fond populaire de langue bretonne de la Basse-Bretagne.

Concernant Redon, le développement des écoles bilingues s’explique par une longue tradition favorable au breton : entre autres, l’Histoire avec le Cartulaire, Nominoë et Saint Conwoïon, l’imprégnation de la culture populaire vannetaise, la proximité de la ligne linguistique de Questembert à Guérande en passant par Péaule à 20 km de Redon, l’Abbatiale Saint-Sauveur, un mouvement associatif continue et très favorable au breton, l’enseignement du breton au lycée dès le vote de la loi Deixonne de 1950, et depuis ces dernières années le choix de nombreux artistes bretons d’y résider.

La première filière publique ouvre en 1997. La filière privée en 2001. Puis une filière privée à Sainte-Marie de Redon en 2009, et deux filières publiques, une à Peillac en 2016 et une autre à Allaire en 2018. La plupart du temps, ces filières ont été créées par des instituteurs du pays qui se sont formés au breton. Durant ces près de 30 années d’existence, des anciens élèves sont devenus à leurs tours enseignants en langue bretonne, en classes bilingues aussi en Basse-Bretagne. Cette année, notamment, une jeune capésienne du pays a pris son premier poste d’enseignement du breton dans un collège privé à Redon. Non pas par punition, ni un quelconque exil, puisqu’elle a choisi de vivre dans son pays, ni encore moins par privation d’instituteurs de Basse-Bretagne, mais tout simplement parce que c’est son choix.

Aujourd’hui, il existe 77 écoles avec une filière bilingue en Haute-Bretagne. Il faut y ajouter 9 collèges et 1 lycée. On compte 4225 élèves en classes bilingues en Haute-Bretagne, ce qui représente 21 % du total en Bretagne. Loin de leur faire la guerre, tout militant de la langue bretonne qui se respecte, se doit de se féliciter et d’encourager le développement des écoles bilingues en Haute-Bretagne.

Emile Granville


Vos commentaires :
Samedi 11 mai 2024
Le terme gallaoueg est apparu récemment en breton pour désigner le gallo (langue) , donc gallo = galleg tout simplement ...? c'est du moins ce que l'on entendait de lui il y a 30 ans ...
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