Les fantômes de la Bezenn Perrot ressurgissent en Irlande

Chronique publié le 5/10/23 15:51 dans Histoire de Bretagne par Philippe Argouarch pour ABP
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Louis Feutren en 2005 (photo Daniel Leach University of Melbourne)
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Photos des archives de la Bezen (bibliothèque nationale du Pays de Galles)
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Les anciens de la Bezen Perrot à Dublin lors des obsèques d'un des leurs. De gauche à droite : Louis Feutren, Neven Henaff (Célestin Lainé), Alan (en réalité : Pierre) Heussaff, le sculpteur Yann Goulet (pas du Bezen mais membre du PNB et fondateur des Bagadoù Stourm) . Photos archives Bezen Perrot)

Depuis le 3 octobre, on trouve de nombreux articles dans la presse irlandaise repris hier par The guardian au Royaume Uni et en France par AFP, sur un ancien de la Bezenn Perrot, Louis Feutren (1922-2009).

La Bezenn Perrot (1) fut une unité militaire de volontaires bretons créée par Célestin Lainé en 1943 pendant la 2nde guerre mondiale. Elle se voulait l'embryon d'une armée qui devait assurer le combat vers l'indépendance de la Bretagne.

Le groupe composé d'environ 80 volontaires maximum joua la carte allemande et fut incorporé dans la section sécurité (la SD) de la SS. En tant que supplétifs de l'armée allemande, ils portaient l'uniforme allemand- et sans aucun badge ni insigne signifiant qu'ils étaient Bretons.

La Bezenn Perrot a collaboré pleinement avec l'occupant nazi et a commis des actes que l'on appelle aujourd'hui crimes de guerre. Torturer des prisonniers pour obtenir des informations comme le faisait la gestapo ou l'armée française en Algérie est un crime de guerre. Les Nazis ont utilisé les membres de la Bezenn Perrot pour infiltrer les réseaux de résistance, pour garder, questionner, et donc torturer les résistants récalcitrants, voire les fusiller au besoin. Pour les Allemands, rien de mieux que ces super agents de renseignements. Ils parlaient breton, français et certains connaissaient suffisamment d'allemand pour faire un rapport. En plus ils connaissaient le territoire comme leur poche. Contrairement à ce qui est écrit dans la presse anglo-saxonne ces jours-ci, la Bezenn Perrot ne traquait pas les Juifs.

Même si cette collaboration active n'a duré que six mois, cette triste histoire basée sur une erreur de jugement (que l'Allemagne allait gagner la guerre) et sur la propagande envahissante à l'époque autour du fascisme, les crimes de la Bezenn Perrot ressurgissent périodiquement, bien plus souvent d'ailleurs que les crimes, aussi odieux, de certains résistants comme l'assassinat de Madame Jeanne Coroller-Danio épouse du Guerny, mère de 5 enfants. Assassinée dans dans la forêt de La Hardouinais (certains disent à coup de haches), Jeanne Coroller-Danio était une écrivaine autonomiste, autrice d'une histoire de Bretagne, illustrée par Jeanne Malivel. Des violences inouïes ont eu lieu des deux côtés, à commencer par l'assassinat de l'abbé Perrot dont le nom fut repris par le Bezen. Ce fut une autre époque que la guerre aujourd'hui en Ukraine nous rappelle tous les jours dans toutes ses horreurs. Toutes les guerres se ressemblent.

Le 3 octobre, le journal irlandais Irish Time publiait le récit d'un journaliste et écrivain irlandais, d'origine argentine, du nom de Uki Goñi, qui fut l'élève d'un ancien de la Bezenn Perrot devenu prof de français dans un collège privé de Dublin. Le journaliste y dénonce les violences physiques que les élèves devaient subir de la part de l'ancien SS. « J'ai été physiquement battu par Feutren au cours de mes premiers jours au centre. Ce fut le début de nombreux coups que j'ai moi-même reçus et que j'ai vu Feutren infliger à d'autres », explique-t-il dans une lettre adressée au conseil d'administration de l'école. Les élèves devaient aussi retirer le vêtement en question s'ils n'en connaissaient pas le nom français. On pouvait se retrouver tout nu, explique l'auteur. « Je me souviens avoir vu des camarades de classe, pour la moindre transgression, être projetés à travers la pièce, recevoir des coups de poing ou être tirés de leur siège », raconte un autre élève.

On imagine ce que les résistants tombés entre les mains de Louis Feutren ont dû subir s'ils ne dénonçaient pas leurs camarades et leurs planques.

Les punitions corporelles ne furent interdites dans les écoles en Irlande qu'en 1982 et Louis Feutren n'était certainement pas le seul à sévir de la sorte. Les plus âgés d'entre-nous ont été victimes de coups ou de gifles en Bretagne ou en France. Il est certain qu'il n'y a pas encore si longtemps des élèves qui parlaient breton étaient battus.

Pour Uki Goñi, si la direction actuelle de l'école ne peut être tenue responsable, elle doit « s'excuser ». Elle l'a fait mercredi en déclarant n'avoir pas été au courant du passé de Feutren avant son décès :

L'école a agi dans le contexte de son époque, avec une échelle de valeurs différente de la nôtre, et ses actions à l'époque ne reflètent pas celles de ses actuels responsables. Ce que St Conleth's peut faire, cependant, c'est souligner la distance qu'elle a parcourue et présenter des excuses pour des actions auxquelles il n'a pas participé, mais qui ont été perpétrées sous le nom qu'elle porte encore aujourd'hui. Nous ne pouvons pas être jugés pour le comportement de ceux qui nous ont précédés, mais cela ne nous absout pas de nous distancer de ce passé aujourd'hui __le directeur du collège St Conleth's

Condamné à mort par contumace à la Libération, Louis Feutren a fui la France avec les Allemands en 1944 pour ensuite se réfugier au Pays de Galles. Puis il trouva refuge en Irlande où se trouvait son ami Célestin Lainé, le chef de la Bezen Perrot. Ayant repris des études à l'université de Galway, il obtint un master. qui lui permis de devenir prof de français au collège St Conleth près de Dublin de 1957 à 1985. Pendant 28 ans.

Ce n'est pas la première fois que Louis Feutren figure dans la presse puisqu'en 2009 il a légué ses archives et 300 000 livres sterling à la bibliothèque nationale du Pays de Galles. La bibliothèque fut vivement critiquée pour avoir accepté, vu le passé du donateur. L'Université de Bretagne Occidentale à Brest avait, elle, refusé 50 000 livres (le don était spécifiquement pour l'enseignement du breton) mais aurait accepté une partie des archives confiée par Louis Feutren.

(1) Dans cet article nous écrivons bezenn, un mot breton féminin selon le dictionnaire AL Liamm, et avec deux n selon le choix du créateur de cette milice lui même.


Vos commentaires :
Samedi 11 mai 2024
Scandaleux! «Psychopathe» est sans doute le mot qu'il faut pour qualifier cela, cela que vous avez choisi, en tout cas. -- Merci pour votre témoignage. -- Cela dit, et pour rassurer ceux qui en douteraient, il existe bien une divinité bienveillante, ouverte et accueillante. Divinité dont l'image est souvent très malheureusement abîmée parfois même par ceux-là même qui en principe auraient la charge d'en parler ou de l'évoquer.
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Siwazh deomp! Perak eo bet ken skrijus an dud a Iliz a-wechoù p'dont e-karg eus ar c'helenn. Eurusamant ez eus skoueroù mat ivez e-leizh.
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