Les maisons géorgiennes : 250 ans d'histoire dublinoise !

Reportage publié le 19/09/23 22:00 dans Interceltisme par Fanny Chauffin pour Fanny Chauffin
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Une des premières maisons géorgiennes de Dublin
Henrietta street : un musée pas comme les autres... (345 vues)

«Here tea was made, babies were born, loves were lost, letters written, bread was broke and lives wer lived.»

(Henrietta street museum)

«Ireland is the old sow that eats her farrow.» (James Joyce )

Qui sait que la deuxième ville de l'Empire britannique au XVIIIe siècle s'appelait... Dublin ? Le centre de la ville dont l'architecture rappelle celle de Londres et de Paris, presque à l'identique (l'Élysée par exemple et le château de Dublin, avec une cour où se déroulent à Paris comme à Dublin, les commémorations, les événements importants), eux-mêmes inspirés par l'architecture gréco-latine avec ses colonnades, ses frontons, ses statues...

Mais une autre innovation allait voir le jour sur les hauteurs de Dublin. Car pour les classes dominantes, il fallait aussi dominer la ville et c'est là qu'allaient s'installer les plus riches familles, dans une architecture dite «géorgienne», à cause des quatre rois George 1er, II, III et IV, issus de la dynastie des Hanovre. Dans la traduction française d' Ulysse, James Joyce dit même : les «Hanovauriens». Les alignements de maisons élégantes, en brique rouge, appelés «terraces», se sont élevées d'abord sur la rive nord de la Liffey, puis sur la rive sud. La maison fait trois étages, avec toujours quatre fenêtres sauf au rez-de-chaussée. Le dernier niveau était pour les domestiques ou les enfants, plus bas de plafond. Chaque étage était dédié à des publics différents (les parents, les enfants, les réceptions, les cuisines, et au sous-sol, les caves à vins, les réserves de charbon,...). Les domestiques n'arrêtaient pas de grimper les étages.

Au total une bonne trentaine de personnes vivait dans une maison dite «géorgienne». En briques rouges, avec un toit auquel on accède facilement par une trappe, un vasistas, couvert ou d'ardoises ou de tuiles. Malgré l'impôt sur les fenêtres qui sévissait ici comme en France, les salles seront bien éclairées, avec des fenêtres divisées en douze carreaux, six en haut et six en bas.

La maison-musée au 14 Henrietta street à Dublin est une des premières maisons géorgiennes de Dublin, construite dans les années 1720. Elle révèle à la fois la période dorée de la maison, avec de belles peintures, des représentations des aristocrates et bourgeois irlandais et anglais habitant ces maisons. Luxe, volupté, salons littéraires, avec des «femmes savantes», de la musique... Une seule porte précédée d'un palier de quatre marches, sera différemment ornée, ici un fronton grec et des colonnes, là des grosses portes toutes aussi différentes les unes que les autres, avec une poignée pour frapper, un «heurtoir» sur une tête de lion. La monotonie des maisons de briques est souvent brisée par les couleurs des portes. Dans l'escalier monumental qui monte aux chambres, avec une immense fenêtre pour chaque palier, montre, comme dans toutes les demeures nobles et bourgeoises, la richesse du propriétaire.

Mais la période dorée ne va pas durer : les Irlandais, avec leur volonté d'autonomie, agacent et commencent à inquiéter les classes britanniques aisées. Il est temps de partir, d'abandonner les maisons, d'aller vivre en Grande Bretagne. Ils laissent alors les maisons abandonnées qui vont petit à petit se délabrer. Dix-neuf appartements distincts seront loués dès 1877.

Seconde moitié du XIXe, début du XXe ; les campagnes irlandaises sont pressurées par les impôts anglais, les protestants britanniques en ont assez des jérémiades des catholiques. Les classes pauvres ne trouvant aucun logement se réfugient dans les maisons géorgiennes, ils vont y vivre jusqu'à ... 1200 dans la même rue, et avec une centaine d'habitants dans les quinze maisons en 1911. Le guide conférencier de la Henrietta street parle du Darkest Dublin. Un enfant sur trois meurt avant cinq ans, un habitant de Dublin sur six vit dans la misère. Une mère de l'époque perd douze enfants sur les quatorze qu'elle a mis au monde... Presque rien à manger, des conditions d'hygiène déplorables, une misère difficile à imaginer. Quand les enfants reviennent de l'école (ils y vont trois heures par jour), et qu'il fait nuit, ils disent à leur mère : «Mum, I'm home» et elles viennent avec une bougie les chercher, pour que les rats ne les attaquent pas dans la maison... Peu de chauffage, on dort dans les couloirs, n'importe où... Mais c'est aussi des bandes d'enfants qui jouent dans la rue, qui inventent des jeux, qui sortent du quotidien infernal des working classes pour vivre leurs vies de gosses, tout simplement (dans le musée, on écoute de nombreux collectages et vidéos, avec des voix d'enfants et d'anciens qui chantent un très riche patrimoine de jeux pour jouer à la balle, à la corde, pour rire...).

La situation va s'améliorer petit à petit. Les campagnes de sensibilisation à la misère urbaine, l'indépendance progressive du pays vont conduire des architectes comme le père d'Aoife Mac Eoin, à acheter ces maisons presque en ruine pour une bouchée de pain. Ils vont faire réparer les fissures, les toits, les restaurer dans le style géorgien. Ils les ont sauvées de la destruction et restaurées dans le respect du style architectural d'origine.

Ironie du sort, ces maisons aujourd'hui à Dublin font l'objet d'une spéculation incroyable, on les estime à 1.5 million d'euros pièce. Le «Celtic Tiger» est passé par là, et malgré les crises boursières, avoir un bureau de compagnie dans une maison géorgienne à Mountjoy square ou à Henrietta street, est plutôt tendance. Mais on y trouve aussi des locataires artistes, l'équivalent de Dastum pour les sonneurs de uillean pipe, l'équivalent d'Emmaüs, ... Autres temps, autres moeurs...


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