Une brève histoire de l'identité bretonne par Joël Cornette

Présentation de livre publié le 12/02/23 16:49 dans Identité par Philippe Argouarch pour Philippe Argouarch
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Comment peut-on être Breton ? Comment le devient-on ? De quelle singularité la Bretagne peut-elle être créditée ? Comment comprendre le décalage entre la fierté des Bretons et leur image vue et transmise par d’autres ? Pourquoi cette identité insubmersible ? La réponse à ces questions est au coeur de ce livre, car l’identité bretonne est née d’une histoire chahutée et mouvante : inscrite dans la longue durée de plus d’un millénaire, la dévalorisation des Bretons, des Bas-Bretons surtout, ne cesse d’étonner quand on la compare à la réalité d’un territoire longtemps autonome, indépendant, riche économiquement, notamment au temps des ducs, aux XIVe et XVe siècles. Joël Cornette, éminent connaisseur de la Bretagne, met en valeur, dans un essai clair et concis, la puissance de cet « État breton » envoie d’affermissement à la fin du Moyen Âge, avant d’analyser ce que l’annexion forcée par le royaume de France, en 1532, a signifié. Déconstruisant les lieux communs qui se sont cristallisés sur cette péninsule et ses habitants, il retrace une histoire méconnue et souligne l’originalité d’une identité bretonne trop longtemps décriée. (4e de couverture de Taillandier, l'éditeur)

Un nouveau livre de l'historien Joël Cornette sur l'identité bretonne comme elle a été perçue via l'histoire, les historiens, les écrivains, voire les auteurs de BD. Si les Phéniciens, les Romains, les Francs, les Français ont décrit les Armoricains, puis les Bretons selon leurs termes à eux, les Bretons ont fini par se réapproprier leur identité. Ce livre est l'histoire de cette réappropriation.

L'identité et l'Histoire, comme on le voit en Ukraine aujourd'hui, sont des armes défensives. Nous ne somme pas comme vous, désolé, nous avons des langues, une culture propre, donc des droits à la différence. Comme le fait remarquer Joël Cornette à propos de l'histoire de Bretagne : «Le fait que cette histoire ne soit aujourd’hui, en 2023, nullement enseignée - ni en primaire, ni en secondaire - n’est-ce pas un révélateur de son caractère précisément identitaire et considéré, par certains, comme 'subversif' ? »

Joël Cornette est spécialisite de l'Ancien Régime, notamment du XVIIe siècle. Ce n'est que récemment qu'il s'est intéressé à l'histoire de sa Bretagne natale avec une série d'histoires de Bretagne dont son Histoire de Bretagne pour les nuls (2022) de plus de 700 pages qui suivait son Histoire de Bretagne et des Bretons (2006). Son Anne de Bretagne (2021, prix Provins-Moyen-Age 2022) est aussi magistrale et remet certaines choses en place. Il a aussi sorti en 2022 un livre critique de Louis XIV Le Roi absolu. Une obsession française.

[ABP] L'identité serait définie par les autres, un sociologue américain a écrit qu'un humain qui aurait vécu seul sur une île toute sa vie n'aurait pas d'identité, qu'en pensez-vous ?

[Joël Cornette] : L’être humain est avant tout un « animal social », comme le définit Aristote dans son ouvrage Les Politiques. Social, et j'ajouterai sociable : il me semble en effet qu’une identité ne peut se définir que dans le cadre d’un rapport à l’autre, d’un rapport aux autres. Le collectif est donc ici essentiel : c’est bien une communauté qui permet à chacun d’éprouver le sentiment de son identité, une identité partagée, par une langue commune - le breton ! -, dans un même territoire - celui de la Bretagne est resté inchangé plus de mille ans -, par une manière d’être et de vivre ensemble, dans la façon aussi de s’opposer à ce qui peut être considéré comme une injustice ou une intrusion « extérieure » : la révolte des Bonnets rouges en 1675, comme celle de 2013, ont pour point commun un fort sentiment « identitaire » face à ce qui est perçu comme une injustice et une agression, fiscale en l’occurrence (le papier timbré en 1675, l’écotaxe en 2013).

[ABP] Mona Ozouf décrit l'identité comme un oignon avec ses couches successives. L'identité bretonne n'est-elle pas multiple ? celtique, bretonne, française, européenne, occidentale, humaine, être vivant ?

[JC] Assurément, une identité ne peut se définir que par un multiple et dans ce multiple « identitaire », l’histoire me semble être un élément essentiel, le coeur de l’oignon, pour reprendre votre image : la spécificité de l’histoire bretonne donne sens à cette identité partagée. La meilleure preuve ? Anne de Bretagne ! Elle a compris, en subventionnant l’écriture de deux histoires de la Bretagne - celle de Pierre le Baud, celle d’Alain Bouchart -, à quel point la mémoire - l’identité mémorielle de la péninsule - pouvait être une arme politique pour justifier cette souveraineté qu’elle a tenté de défendre jusqu’à son dernier souffle, et l’antériorité de l’ histoire bretonne par rapport à celle du royaume de France. Et d’ailleurs, le fait que cette histoire ne soit aujourd’hui, en 2023, nullement enseignée - ni en primaire, ni en secondaire - n’est-ce pas l'aveu de son caractère précisément identitaire et le révélateur, aussi, qu’elle soit considérée, par certains, comme « subversive » ?

[ABP] Commençons par le début. Vous écrivez que Konan Meriadek n'a pas existé , en tout cas qu'il y a aucune preuve de son existence, mais les légionnaires romains, que ca soit les légions battues de Magnus Maximus ou des légions envoyées en garnison pour défendre les côtes du Tractus Armoricanus des barbares, ou les deux, avaient forcément un chef, un dux pour reprendre le terme romain ?

[JC] Ce « Konan Meriadek » appartient effectivement plus à l’imaginaire qu’à la réalité, mais cette légende du souverain « inaugural » de la Bretagne des origines - il se situe au IVe siècle - est essentielle dans la construction de son identité car elle enracine un discours de légitimation qui affirme les origines spécifiques des Bretons et l’antique généalogie de leurs ducs, antérieurs aux premiers souverains mérovingiens, tout en exaltant la mémoire d’un héroïque ancêtre fondateur : l’identité d’une nation a effectivement besoin d’un conducteur, d'un « dux », d’un héros, et d’un récit…

[ABP] Les chroniqueurs francs du haut-moyen-âge ont écrit des choses très peu flatteuses sur les Bretons. Grégoire de Tours les traite de sauvages pervers, de pillards buvant à l'excès, n'ayant aucune parole et peu religieux. Au même moment, la tradition comme la toponymie rapportent des milliers de saints, certains majeurs dans la sanctorum chrétien comme Saint Hervé († vers 568). Comment ces deux identités peuvent coexister ? L'identité n'est-elle pas aussi définie par vos adversaires, voire vos ennemis?

[JC] Effectivement : « affreux, sales et méchants », c’est ainsi qu’on pourrait définir la vision des Bretons par les autres, en l’occurrence les Mérovingiens et les Carolingiens : je pense notamment à Ermold Le Noir, chroniqueur au temps de Louis le Débonnaire, fils et successeur de Charlemagne. Il nous a transmis une vision totalement dépréciative des Bretons : « même le frère et la soeur couchent ensemble, tous vivent dans l’inceste et accomplissent des choses abominables ; ils habitent des halliers, installent leurs lits dans des bauges, se plaisent à vivre de rapines à la manière des bêtes sauvages… » Le paradoxe est que cette image dépréciative s’est construite alors que, précisément, les Bretons, justement fortifiés par tous ces « saints » - pas très catholiques à vrai dire - qui furent à l’origine de leur identité, affirment leur souveraineté et la défendent, âprement, les armes à la main…

[ABP] La couverture de votre livre est une Bécassine avec un poing levé et une bouche. Pourquoi cette couverture ? L'identité bretonne est-elle en train de changer ? quels en sont les acteurs ?

[JC] Bécassine, dessinée pour la première fois en 1905 par Joseph Porphyre Pinchon dans la revue La semaine de Suzette, me semble emblématique de bien des lieux communs attachés à la Bretagne : une servante naïve, sans bouche, appelée Anaïk Labornez (la bornée !), native de Clochers les Bécasses… Elle représente ces milliers de femmes condamnées à fuir la pauvreté et la misère - il est vrai qu’au XIXe siècle, la Bretagne, notamment rurale, vit des jours sombres - pour tenter de trouver du travail à Paris. La capitale compte alors 100 000 bonnes « à tout faire ». Et puis, il y a cet extraordinaire renversement d’image, signifié par cette Bécassine « gueulante », bouche ouverte, le poing levé, aux formes bien féminines, dessinée en 1981, par Alain Le Quernec pour une affiche du PSU.

Cette Bécassine militante et fière symbolise bien la révolution identitaire dont la Bretagne a été le siège dans les « années 68 » (entre 1962 et 1981) : de la « plouquerie » à la fierté. C’est là, précisément, le sujet de mon livre : rappeler et comprendre les images successives qui ont contribué à construire une Bretagne imaginaire et comprendre, en même temps, le contraste entre cette Bretagne largement fantasmée, et la réalité de l' histoire « vraie » d’une Bretagne qui fut longtemps puissante et indépendante mais dont l’identité a été trop souvent et trop longtemps occultée.

[ABP] Merci


Vos commentaires :
Alain E. VALLÉE
Dimanche 22 décembre 2024
Fort intéressante «Brève histoire de l'identité bretonne».
Mais regret de ne pouvoir accéder facilement à Renée de France, de Bretagne et de Ferrare (par son mariage), soeur de Claude de France pourtant ainsi mentionnée dans l'index des noms de personnes.
Pour retrouver l'héritière du Duché de Bretagne, il faut passant outre cette inopportune et mesquine inégalité de traitement entre les deux princesses royales de France, filles de Anne et Louis, avoir la présence d'esprit d'aller très spontanément dans ''F'' et chercher à «Ferrare». C'est seulement alors qu'on lit : «Ferrare, Renée de : 70, 177». ... de France suppose-t-on.
On parle de la Duchesse de Ferrare comme s'il s'agissait d'une étrangère à la Bretagne et à la France ...! :
«interdire à Renée de Ferrare, toute prétention sur l'héritage de sa mère - le duché - Anne de Bretagne.»(p.177)
Dans l'ouvrage, on note assez bien qu'il est choisi d'en dire le moins possible sur la succession des hauts faits prédateurs anti bretons principalement effectués par François 1er contre Renée, la légitime et légale héritière du Duché de Bretagne.
AV

Naon-e-dad
Dimanche 22 décembre 2024
Ermold Le Noir décrit-il la Bretagne de son époque ou la France du XXI°siècle (exception faite des halliers qui se font trop rares, dans la capitale hexagonale par exemple)?
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On pourrait se le demander.
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De toute façon , ce genre de discours - avec des variantes - se retrouve dans les Iles Britanniques, à l'égard des Bretons. Je n'ai pas relu «la Guerre des Gaules» de César, mais on ne doit pas en être loin, par endroit. Le mépris, l'arrogance, la vilénie n'ont pas d'âge. Il suffit de lire l'envers de l'affirmation pour se faire une idée de la réalité (sans l'idéaliser, toutefois).
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Ce qui donne:
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«Chez les Bretons, le frère et la soeur ne couchent pas ensemble. Ces gens-là ne connaissent pas l'inceste» (contrairement à l'entourage d'Ermold le noir?).
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«Ils n'accomplissent rien d'abominables » (à l'étonnement du dit chroniqueur historique!).
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«Ils n'habitent pas dans des halliers, et n'installent pas leurs lits dans des bauges» (idem)
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«Ils ne vivent pas de rapines à la manière des bêtes sauvages» (pas comme les Francs, en quelque sorte!)
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Parti-pris de ma part? J'exagère? Pas plus qu'Ermold le noir. Simplement, j'adopte un autre point-de-vue, d'ailleurs plus compatible avec l'arrivée d'un peuple déjà civilisé, venu d'outre-mer guidé par ses saints... Plus près de nous, observez la rhétorique mensongère du maître du Kremlin: «les autres, ceux d'en face qui nous attaquent, sont des Nazis» dit-il, en substance.«Pas nous, pas nous!» Vous ne trouvez pas qu'entre Ermold et le noir et Vladimir le rouge, il y a plus que des accointances, de très vilaines ressemblances...?
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Er vro-mañ e ouiomp mat ni-holl penaos e c'hell ar yezh diskouez pegen tost emañ un dra diouzh e gontrol: poan/diboan, heol/disheol, nerzh/dinerzh, Doue/diZoue, hag all, hag all....

Alain E. VALLÉE
Dimanche 22 décembre 2024
Si l'dentité n'est sans doute pas définie par les autres surtout s'ils en disent du mal pour mieux se valoriser, sa localisation peut être repérée par eux.
C'est ainsi que IBN KHALDÛN dont la statue se trouve juste devant l'ambassade de France à Tunis, écrit :
« La (...) péninsule, entre deux bras de l'océan (...) est longue et large. C'est la Bretagne.» (p.121)
Il est aussi fait état de l'Angleterre :
«grande ile qui contient un grand nombre de villes et constitue un splendide royaume.» (p.122), puis, de la Normandie, des Flandres, de la France (57), de Venise (58), de la Bourgogne, selon la Légende de ROSENTHAL (p.85).
IBN KHALDÛN reproduit une Carte du monde D'AL-IDRÎSÎ de 1154. (p.84) Elle est à première vue incompréhensible. Mais si l'on se donne la peine de mettre le Nord au Nord, tout devient évident. La Méditérranée se voit bien représentée et même si l'Europe est réduite et très déformée, la Bretagne est bien visible sous la référence 55.
On voit par là qu'au XIIe si§cle, les Arabes avaient bien identifié et lien localisé la Bretagne. Il fallait donc qu'elle ait atteint un niveau de civilisation et de puissance, un rayonnement tels que cela se sache assez loin pour l'époque, y compris au Sud de la Méditerranée.
A tous ceux qui encore aujourd'hui, minimisent, édulcorent ou même nient la Bretagne, son histoire et son importance, ceci, et tant d'autres faits certains et vérifiés, devrait servir de leçon s'ils manifestent un minimum d'honnête intellectuelle.
in : Discours sur l'Histoire universelle'' Al-Muqaddima - ''Thesaurus'' Sinbad - Commission Libanaise pour la traduction des chefs-d'oeuvre - Beyrouth 1967 - 1968. Actes Sud 1997.
AV

Penn Kaled
Dimanche 22 décembre 2024
Autant j'apprécie cet historien pour son objectivité ,autant je suis un peu déçu de son interview , surtout la fin ,sur le télégramme d'aujourd'hui .Comme si une hégémonie bretonne était à craindre , alors que nous faisons que nous défendre avec peu d'effectifs et de moyens .

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