Celtique ?... certes, mais dans les spires survoltées d’un néo-celtisme, délibérément débridé, cette fois même, plus breton qu’« interceltique ».
Traditionnel ?... d’inspiration, assurément, puisque le groupe brestois fonde ses créations, ô combien contemporaines et prospectives, sur les structures de danses ancestrales, aussi bien, en composant originellement ses morceaux qu’en arrangeant, tout en respectant, rythmiquement, les temps forts et les temps faibles, des airs traditionnels à danser patrimoniaux.
Electro ?... oui, sur certains aspects, ne serait-ce que, de facto, par l’électrification des instruments cordés et les nombreux recours à des effets « synthétisés », mais d’évidence, plus post-rock, avec notamment, le jeu de la classique « batterie acoustique » qui, majoritairement, supplante celui des séquences rythmiques électroniques, en étayant vigoureusement les guitaristiques et insensés riffs distordus et saturés déversés par deux harpes, décidément, ultra-branchées.
World ?... également, avec parfois, des incursions rythmiques et mélodiques hispanisantes, africaines ou orientales.
Lorsque la création musicale est, comme ici, et à ce point, riche, substantielle, multi-expressive, le style est difficile à classifier. Mais, au fait, pourquoi vouloir étiqueter, cataloguer, cette excellente et novatrice musique néo-celtique du 3ème millénaire, bretonne, brestoise qui peut évoluer, ne serait-ce que durant quelques instants, entre, Rock progressif, Rock psychédélique, Pop-Rock, Electro, Ambient, Musique du monde, concrète, bruitiste, expérimentale ?
Il est un fait que cette puissante et incisive musique « Made in Breizh », elle aussi, enracinée, est plus la Bande Originale d’un pseudo film sonore de 52 minutes qui évoquerait les métalliques zones industrielles et portuaires armoricaines ou les villes d’acier, de verre et de béton des grandes métropoles bretonnes, que les landes d’Armor ou les forêts d’Argoat.
Sollicitant nombreuses pédales d’effets, cette musique est, avant, tout, marquée par une recherche approfondie sur la matière sonore, mise au même niveau d’importance que revêt, également, l’élaboration soignée des lignes mélodiques.
Au-delà de vous présenter, jusqu’ici, assez largement, mais, ne vous y trompez pas, seulement, quelques aspects qui constituent ce contemporain et fort solide et attrayant édifice rythmique et musical, il serait, peut-être, opportun de vous présenter ses fort novateurs architectes.
Oh, fidèles visiteurs et lecteurs de Culture et celtie, l’e-MAGazine, vous connaissez, déjà, le nom collectif de cette très prospective et atypique formation, puisque, sur nos pages en ligne, nous vous avions présenté, leurs deux premiers enregistrements, publiés sous le nom de… DESCOFAR !
DESCOFAR… DESCOFAR ? Mais, oui, cela vous revient, maintenant !
- « Finis Terrae », réalisé en duo et sorti en décembre 2013 (Notre chronique) ,
- « Krai », publié en juillet 2019, dans la configuration de l’actuel trio (Notre chronique) .
Deux excellents et passionnants opus qui préfiguraient, déjà, le présent album, titré « Chimera », objet de ce papier numérique.
C’est sous le nom de Trio DESCOFAR que s’expriment trois musiciens et créateurs d’exception, Alice SORIA-CADORET et Nikolaz CADORET, tous deux, à la harpe électrique et Yvon MOLARD, à la batterie et machines électroniques.
Il est à noter que, pour « Chimera », le trio devient quasi quatuor musical, puisque, recherchant une nouvelle épaisseur sonore pour leur musique, les artistes ont introduit un synthétiseur basse, confié au jeu d’Alice.
Afin d’éviter toute récurrence et redondance informative et rédactionnelle, pour découvrir ou redécouvrir le parcours de ces artistes d’exception, nous vous convions à vous reporter à nos deux chroniques précitées.
« Chimera », par le fait, 2ème album du Trio DESCOFAR, se décline en 10 titres, soit en deux compositions intégralement originales, six adossées à des traditionnels, une arrangée, dans le corolaire de sa ligne originelle traditionnelle et… une de la célèbre musicienne bretonne, compositrice et harpiste celtique, Kristen NOGUES (1952-2007).
Compte-tenu de l’exceptionnelle qualité artistique, conceptuelle et musicale de DESCOFAR qui avait permis à la formation d’être invitée, pour présenter son 1er opus « Finis Terrae », au cœur d’une émission de France-Musique ; de notre côté, dès le début, fort séduits par ses brillantes et très personnelles créations, souhaitant vivement, pour ces artistes, la plus large diffusion possible, nous avions, à l’époque, écrit :
« Nous espérons qu’un label de qualité signera leurs prochains enregistrements, permettant, en dépassant le stade, ô combien courageux et louable, de l’autoproduction, une mise en place dans les rayons et sur les ondes, de ce fait, plus accessible ».
En matière de distribution, chose est faite, puisque ce présent Compact-Disc « Chimera », coproduit par DESCOFAR et Collectif ARP, figure au catalogue de distribution de Coop Breizh.
Le disque a été enregistré en juillet 2022, aux studios finistériens « Streat Ar Skol », de Saint Cadou (Voir site) .
L’excellente prise de son, le mixage et le mastering ont été, magistralement, réalisés par Damien TILLAUT, ce qui conduit à la production d'une belle et précise mise en espace des instruments, à une « lisibilité » sonore remarquable qui vous permet de pousser le son de votre installation afin de saisir les moindres effets et la très puissante et large musicalité du projet dans une coloration Rock qui transcende l’émotion au travers d’une structure sonore, particulièrement, musclée.
Et surtout, il y a, sur l’avant-scène sonore, ainsi dessinée, ces « infernales » harpes électriques, élaborées par le célèbre facteur de Mouzeil (44-Bzh), Les Harpes CAMAC (Voir site) ne recevant que quelques caresses, mais, subissant, bien plus fréquemment, les « électro-tortures » d’Alice et Nikolaz qui, avec leurs arpèges brillants et leurs riffs bruyants, font sonner, entre électric-folk, métal et hard-rock leurs instruments de prédilection comme des guitares, parfois, électro-acoustiques ou, plus souvent et très franchement, électriques,
C’est fabuleux, obsédant, envoûtant, en tous cas, ample et passionnant !
Ah bien sûr, en matière d’électrification des harpes celtiques, nous ne pourrons pas nous abstenir de saluer son pionnier, Alan STIVELL qui, dès 1985, pour, enregistré en numérique, la conception de son 12ème album studio « Harpes du nouvel âge », consacré, en Amérique, par un Indie Award, décerné par The American Association of Independent Music, utilisait une harpe électro acoustique « Stivell-Sanguineto », une autre, électrique « Tantra-Stivell », où se conjuguaient micros magnétiques et piezzos, puis, une troisième et nouvelle électro-harpe présentée à l’artiste, peu avant l’enregistrement, par Joël GARNIER (1940-2000), co-fondateur, avec son frère, de la société CAMAC.
Bien que, déjà, très novateurs, si le jeu et le son restaient, alors, encore relativement « classiques et traditionnels », plus près de l’univers sonore du présent « Chimera » de DESCOFAR, les similitudes avec les guitares électriques, les riffs, les saturations, distorsions, delays, seront bien plus évidents au sein de son 22ème opus avant-gardiste électro-rock « Explore » (2006), où le légendaire harper-hero breton joue de son tout nouveau prototype de harpe électrique dessiné de sa main et élaboré avec CAMAC, sous le nom de « Camac-Stivell 1 ».
Pour sa part, Nikolaz CADORET de DESCOFAR, précisait dans une interview menée sur l’antenne de France Bleu Breizh Izel, qu’après son approche classique et celtique de la harpe, menée auprès du harpiste nantais de culture bretonne, Dominig BOUCHAUD, primé au Kan Ar Bobl et au concours Interceltique de Killarney, en Irlande, c’est la très flamboyante, innovante harpiste électrique et compositrice américaine Deborah HENSON-CONANT qui lui a inspiré sa propre démarche.
A noter que CAMAC a développé des harpes électriques « portables » pour cette artiste qui, du Celtique au Rock, considère que « C’est LA harpe polyvalente du 21e siècle. ».
C’est Deborah HENSON-CONANT, qui a mis au point le concept de son harnais porteur et a autorisé CAMAC à le reproduire.
Ce détour par Alan STIVELL, Les Harpes CAMAC, Deborah HENSON-CONANT, met en lumière le long flux de recherches mené, souvent conjointement, entre facteurs et musiciens, pour une évolution d’utilisation de la harpe celtique, allant du traditionnel au rock, avec l’obtention de jeux et de sons, toujours, plus novateurs.
Avec l’emploi de très nombreuses pédales d’effets, étroitement associées aux deux harpes « Solid Body » (sans caisse de résonnance), au fil des prestations scéniques et enregistrements, toujours, plus sophistiqués, volumineux et prospectifs, DESCOFAR devient figure de proue en allant toujours plus loin dans la recherche d‘une « alchimie sonore d’après-demain ».
Vous allez, immédiatement, plonger dans cet univers électrique mis sous « Très haute tension » où la harpe devient guitare… mais, néanmoins, reste harpe.
Dès les premières notes d’« Ultramono » le nouvel et additionnel synthétiseur basse vous accueille, vous « cueille », avant que sur une certaine récurrence mélodique, accompagnées d’un tempo de batterie bien marqué, les harpes entrent en transe et prennent silhouettes de leurs primes « avatars sonores » de guitares électriques.
Piste 2, l’éponyme titre « CHIMERA » sonne, d’entrée, plus mélodique, plus apaisé et en trois mouvements, ponctués de changements de rythmes, les harpes électriques évoluent sur cascades de batterie.
Après une introduction, en duo, synthétiseur basse et batterie, « Mascarade » « groove et jazzize », quelque peu, le propos, même si la transe électrique reprend la main, avant que les harpes proposent leur sonorités, certes, électriques… mais cristallines.
Plus spatiale, plus « Ambient », en sa première partie, la reprise de la composition de Kristen NOGUES, « Feutenn Wenn », parue en 1999, chez Coop Breizh, sur son album solo « An Evor », ici, se tonifie, rythmiquement, avec de très esthétiques déliés de harpes.
Débutant aux accents, quelque peu, orientaux une translucide mélodie chaloupée, se prolonge, en seconde partie, en blues où, sous les traits de la harpe semble apparaître la guitare d’Eric CLAPTON. En plage 5, ce « Rhiannon » va, sans nul doute, vous permettre d’apercevoir la « Grande Reine », personnage de la mythologie celtique.
Entre « Messe pour le temps présent », suite de danses composée par Pierre HENRY et Michel COLOMBIER, sur commande de Maurice BEJART (création Avignon 1967), rythmes et vagues électroniques et urbaines de Jean-Michel JARRE, riffs de David GILMOUR, « Mélodie Léon » apparaît, peut-être, comme, jouée sous les voutes d’une cathédrale de verre, la pièce la plus « symphonique » du programme.
Enchaîné, directement, « Riding lion » vous révélera, au cours de son exposé, une harpe, parfois, plus « guitare électro acoustique hispanisante » qu’« electic-rock », avant, qu’au fil du morceau, un retour à une coloration plus bretonne, plus traditionnelle, franchement dansante, réapparaisse en prémices à un ultime, nous dirons, inévitable, délire sonore, « made in DESCOFAR ».
Vous retrouverez, également, en piste 8, jouxtant la coloration « celtique », le son de la harpe « version guitare électro-acoustique » dans « Le monstre », avant qu’une surprenante et insistante « instrumentale et pseudo alarme » n’interrompe cette « ballade dansante » qui reprendra sa démarche jusqu’à sa phase finale, aux dernières notes plus syncopées transpercées par l’ultime sifflement d’une onde incisive. Le monstre aurait-il été terrassé ?
Une très belle pièce « Pilé pour Jacques » (Est-ce, après, en précédente plage 4, la reprise de la composition de Kristen NOGUES, compagne de ce brillant guitariste et compositeur breton, une allusion au regretté Jacques PELLEN, disparu en 2020 et, en quelques sorte, par ces deux pièces, un hommage à ces artistes qui ont marqué la riche scène brestoise, port d’attache de DESCOFAR ?
En tous cas, vous savourerez une fort limpide mélodie où le « pseudo-électro-acoustique » du début éclot, peu à peu, martelé crescendo, à la batterie, par le pas têtu du branle breton, en électrique final harpistique.
Inspiré d'une chanson vannetaise, l’alerte kas a barzh, « Goap Goap », termine, presque festivement, ce « chimérique » et, ô combien, électrique voyage. C’est la plus longue plage de l’opus, aux primes accents rythmiques africains qui, au fil de la pièce, se « bretonnisent », avec pour commun dénominateur… via la danse, la transe... jusqu’à un cataclysmique électrique final maîtrisé, native signature de DESCOFAR !
Alice, Nikolaz, Yvon, vous nous pardonnerez, sans grand doute, les références musicales et artistiques que nous avons énoncées, au cours de cette chronique, pour, humblement, tenter d’éclairer, au mieux, nos lecteurs et auditeurs sur certaines démarches prospectives, ambiances, couleurs, qui imprègnent vos morceaux, car ce disque reste, avant tout, à 100%, du DESCOFAR, tel que nous l’aimons, dès les premières heures et que nous souhaitons, vivement, faire aimer à ceux qui nous visitent et qui ne doivent pas se contenter des trop courts extraits musicaux au format étriqué mp3 que nous proposons en prémices à l’acquisition de l’album qui ne peut vivre sa plénitude artistique, sonore et technique, qu’à bonne puissance et large bande passante, sur une chaîne confortable.
Portant une musique bretonne ou de Bretagne novatrice, « Chimera » est un excellent album qui se sert de ses racines, pour envisager ses ailes… et quelles ailes !...
Avec ses plages, temporellement, peu distantes, voire, directement, enchaînées, « Chimera » est un film musical fantastique où chaque plan se nourrit de l’autre et où, même dans ses phases les plus mélodiques, la tension ne faiblit jamais.
La batterie d’Yvon MOLARD est plus qu’un apport, un support. Elle est, en elle même, une écriture, une signature qui permet de passer de ce qui ne pourrait paraître comme de l’électro, à un « celtisant-world-rock », si l‘on veut bien nous tolérer cette licence, quelque peu osée, mais, que voulez-vous, ressentie.
« Chimera », comme chimère…
Dans ses deux acceptions :
- Monstre imaginaire, à queue de dragon et tête de lion qui crache des flammes…
(cf « Riding the lion »).
Ou
- Idée sans rapport avec la réalité.
Là, c’est moins évident. « Chimera », et c’est une réalité, existe puisque DESCOFAR l’a imaginé et conçu, pour vous.
L’album est dans les bacs chez les disquaires de goût à destination des mélomanes curieux et exigeants qui n’en sont pas dépourvus !
Gérard SIMON
Illustration sonore de la page : DESCOFAR - «Riding The Lion» - Extrait de 01:00.
Le site de DESCOFAR (Voir site)
D'autres extraits sonores sur Culture et celtie, l'e-MAGazine (Voir site)
Les titres du CD «Chimera» :
01. UltraMono (Descofar) - 04:38.
02. Chimera (Descofar) - 04:28.
03. Mascarade (Descofar/Traditionnel) - 05:29.
04. Feutenn Wern (Kristen Noguès) - 04:41.
05. Rhiannon (Descofar/Traditionnel) - 04:52.
06. Mélodie Léon (Traditionnel) - 05:04.
07. Riding The Lion (Descofar/Traditionnel) - 04:48.
08. Le Monstre (Descofar/Traditionnel) - 05:00.
09. Pilé pour Jacques (Descofar/Traditionnel) - 06:07.
10. Goap Goap (Descofar/Traditionnel) - 06:20.
Durée totale : 51:27.
CD «Chimera»- DESCOFAR.
Parution : novembre 2022.
Référence : 4016493.
Co-production : Descofar et le Collectif ARP (Voir site)
Distribution : Coop Breizh (Voir site)
© Culture et Celtie
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