La règle

Libre propos publié le 4/11/22 9:46 dans Libre propos par pour

Lorsque j’étais enfant, juste après la guerre de 39/45,  dans ma petite commune de Béganne tout le monde parlait le gallo, que les gens de la ville appelaient « patois » pour dévaloriser cette langue seulement parlée par les ruraux.

Mes premiers contacts avec la langue française ont été laborieux, car dans mon petit village, en bord de Vilaine et aux confins du pays bretonnant vannetais, la Vilaine était appelée  Maraï (marée). Le barrage d’Arzal n’existant pas encore, la mer, la marée, montait et descendait jusqu’à Redon.

Nous allions donc tous à la Maraï pour pêcher le poisson d’eau douce, mais aussi de mer, en particulier les fameuses pibales ou civelles, aujourd’hui totalement disparues, comme la langue gallaise et ce en moins de 60 ans.

Vers cinq, six ans, je suis allé à l’école des bonnes sœurs, c’est ici que l’on m’a dit qu’il ne fallait pas appeler la Maraï « Maraï » car son vrai nom c’était la Vilaine et j’ai fait cette réponse spontanée à la bonne sœur : « Pourquai don ? La Maraï a l’ét pas vileunn ! » (Pourquoi donc ? Elle n’est pas vilaine la Maraï !). Un premier contact avec le français officiel qui ne préconisait rien de bon.

Personnellement, je n’ai jamais eu de sabot autour du cou, mais malgré les invectives des bonnes sœurs  « Le naturel revenait toujours au gallo ». Aussi lorsqu’un mot de gallo nous échappait, à moi et à mes petits camarades, les coups de règle pleuvaient sur nos doigts endoloris d’enfants. Je me souviens de cette  « bonne soeur » tortionnaire, au doux nom de Scolastique, qui nous faisait mettre à genoux sur la règle et ça faisait mal, ça faisait très mal. Je ne l’oublierai jamais. Mais il ne fallait surtout pas se plaindre à la maison, car c’était pour notre bien, pour que nous devenions des gens instruits.

Quand on subit autant de coups de règle, de châtiments corporels et de lignes à copier, cent fois,  « je ne parlerai plus patois » vous pensez bien que la langue de nos pères est très vite devenue la langue à bannir, la langue haïe, la langue des ploucs et des arriérés. La langue à oublier le plus vite possible tellement on avait honte de ce charabia de la si belle langue française nous affirmait-on et l’enfant malléable croyait ce que disaient l’instituteur, le curé et surtout ses propres parents. 

Le  « dressage institutionnalisé  » a fonctionné car nos parents, totalement inconscients du changement de société qu’entrainerait l’abandon de notre langue, comment pouvait-il en être autrement, soutenaient nos bourreaux.

Pire et comble de la catastrophique  »ironie institutionnelle », dans ce Morbihan mi-gallésant, mi-bretonnant, un couple d’instituteurs nous arrivant du pays bretonnant, avait un accent bretonnant à couper au couteau. Tant et si bien que nous avions du mal à comprendre leur français, surtout la femme que nous appelions (elle ne l’a jamais su) la vache espagnole. Mais cela ne les empêchait pas de nous instruire sur les bienfaits de la belle langue française et de renier la nôtre, comme ils avaient renier la leur. 

Nous nous sommes donc plongés dans cette nouvelle culture, dans cette langue française que l’on nous disait la plus belle du monde, la langue de Molière (1) qui nous promettait (les promesses n’engagent à rien) bonheur et réussite en son giron.

Nous sommes devenus de bons petits Français enfonceurs de portes ouvertes, croyant tout savoir sans rien connaître de la vraie histoire de la langue de nos pères et de  « l’Histoire » tout court. J’ai donc, comme beaucoup d’autres, renier à jamais le patois de mes  « bouseux de pères » et suivi la règle du bon français que l’on m’avait enseigné, elle n’était plus sur mes doigts mais dans ma tête et c’est bien pire. 

Pourtant comme mes parents m’entouraient de toute leur affection, je n’ai pas souffert autrement que physiquement de ces sévices. J’ai eu une enfance libre et heureuse. Ce ne sera que bien plus tard en découvrant par mes lectures (2) le mensonge fait à l’enfant  (je n’ai jamais oublié que la « Maraï » était  vilaine) que je deviendrais militant de la langue gallaise, mais ceci est une autre histoire.

Car si la honte enfantine est passagère, la tromperie faite à l’adulte l’est beaucoup moins et un vrai (car il y en a des faux) Breton, trompé, devient automatiquement résistant, il est donc très important d’enseigner l’Histoire, la vraie pas seulement les légendes, aux Bretons.

Jean-Luc LAQUITTANT

(1) Je ne savais pas encore que les Français d’aujourd’hui, n’auraient, sans doute, pas compris Molière

(2) Serge Lusignan, Henriette Walter, Martin Aurell, Bernard Cerquiglini etc etc.

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Vos commentaires :
Krys44
Lundi 25 novembre 2024
Témoignage très touchant ! Et révoltant ! Tellement de bêtises , d'ignominies provoquées par une institution défaillante !
Le professeur Jean-Claude QUENTEL (maintenant professeur émérite à l'université de Rennes,psychologue clinicien) en science du langage ; psychologue clinicien) nous avait dit lors d'une formation :"Quand les enfants nous arrivent en SESSADE , la première chose que nous devons faire est de les dé-conditionner . Ce que fait l'école est du conditionnement .

pierre daniel
Lundi 25 novembre 2024
demat deoc'h
Seul un pays fasciste interdit a un peuple l'usage de sa langue et cherche par tous les moyens a la détruire .Et la France dans ce domaine a été un modèle pour tous les autres pays fascistes .
remplacer en Loire atlantique une culture Bretonne par un pseudo culture «Ligérienne»est un crime «Ethnocidaire » "
car .remplacer une culture par une autre est la définition meme de l'ethnocide .
Il est important de prendre conscience de cela et de le diffuser massivement
Le modèle jacobin est dans un état de pourrissement avancer et c'est la raison du durcissement de leur idéologie c'est tout simplement un repli identitaire

a galon Bevet Breizh


Colette TRUBLET
Lundi 25 novembre 2024
Je viens de lire votre témoignage, Jean-Luc. Droit au cœur ! Comme vous savez, puisque vous êtes passé par notre Cité du Livre, j'avais lu votre «Nouvelle Histoire des Bretagnes» ? J'y ai appris beaucoup de choses. Ce témoignage pourrait y être associé, en préambule par exemple. Malheureusement nous n'avons pas les moyens, en Bretagne de nous parler librement de nous. Le musée de Bretagne à Rennes pose la question de notre appartenance celtique. Comme toute intelligence doit être parisienne, universitaire de préférence parce que gardienne du temple (catholique-romain), nous continuons à être mis sous le tapis. et tant pis pour les mensonges. Il faut croire ce qui est Officiel. Mais j'ai le sentiment en ce moment que des choses à nouveau se passent, que du renouveau est en train de se préparer furtivement. Nous devenons à la fois citoyens du monde côté santé, écologie et paix indispensable, et en même temps citoyen de chaque pays identifié à l'intérieur de frontières géographiques et historiques façonnées durant des siècles depuis la préhistoire nomade (avec découvertes et invention des calendriers et des langues de nomination des personnes, animaux et choses) jusqu'à nos jours où nous nous ajustons à des espaces à portée de décisions et d'actions. je sais que vous lisez mon «journal de bord» sur une page facebook.com : Celte que j'aime : C'est le seul moyen que j'ai trouvé pour proposer idées, réflexions, sans avoir à passer par des éditeurs impécunieux autant que moi, auteure de plusieurs écrits que l'IDBE veut bien, par ailleurs, mettre à disposition en e-lecture. Continuons, Jean_Luc. Notre époque baignée de mensonges officiels va basculer. C'est de plus en plus insupportable. Mais je crois à une sorte d'instinct de survie qui va finir par faire basculer nos société-fric-répression-mensonges officiels ... Même si ce n'est pas clair pour le plus grand nombre, les prémisses se dévoilent sous nos yeux, dans les ZAD, dans les regroupements de personnes dégoûtées de la télécommande et de la vie en canapé, en auto et au boulot robotisé. Nous avons besoin d'air et de respiration... A bientôt, j'espère. J'oubliais : je crois que nous allons apprendre beaucoup de choses encore avec la thèse de Rozenn Milin qui va être accessible sur thèse.fr. Elle y évoque l'apprentissage forcé du français dans les écoles de Bretagne et ... d'Afrique.

Jean-Luc Laquittant
Lundi 25 novembre 2024
Bonjour Colette.
Oui je suis un fidèle lecteur de «Celte que j'aime» des textes plein d'amour et de lucidité qui devraient être édités et surtout diffusés, car votre éternelle positivité donnerait courage à plus d'un. Quand à Rozenn Milin, elle m'avait demandé mon témoignage, peut-être qu'elle parlera de la règle ??? De qheur...

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