Lorsque j’étais enfant, juste après la guerre de 39/45, dans ma petite commune de Béganne tout le monde parlait le gallo, que les gens de la ville appelaient « patois » pour dévaloriser cette langue seulement parlée par les ruraux.
Mes premiers contacts avec la langue française ont été laborieux, car dans mon petit village, en bord de Vilaine et aux confins du pays bretonnant vannetais, la Vilaine était appelée Maraï (marée). Le barrage d’Arzal n’existant pas encore, la mer, la marée, montait et descendait jusqu’à Redon.
Nous allions donc tous à la Maraï pour pêcher le poisson d’eau douce, mais aussi de mer, en particulier les fameuses pibales ou civelles, aujourd’hui totalement disparues, comme la langue gallaise et ce en moins de 60 ans.
Vers cinq, six ans, je suis allé à l’école des bonnes sœurs, c’est ici que l’on m’a dit qu’il ne fallait pas appeler la Maraï « Maraï » car son vrai nom c’était la Vilaine et j’ai fait cette réponse spontanée à la bonne sœur : « Pourquai don ? La Maraï a l’ét pas vileunn ! » (Pourquoi donc ? Elle n’est pas vilaine la Maraï !). Un premier contact avec le français officiel qui ne préconisait rien de bon.
Personnellement, je n’ai jamais eu de sabot autour du cou, mais malgré les invectives des bonnes sœurs « Le naturel revenait toujours au gallo ». Aussi lorsqu’un mot de gallo nous échappait, à moi et à mes petits camarades, les coups de règle pleuvaient sur nos doigts endoloris d’enfants. Je me souviens de cette « bonne soeur » tortionnaire, au doux nom de Scolastique, qui nous faisait mettre à genoux sur la règle et ça faisait mal, ça faisait très mal. Je ne l’oublierai jamais. Mais il ne fallait surtout pas se plaindre à la maison, car c’était pour notre bien, pour que nous devenions des gens instruits.
Quand on subit autant de coups de règle, de châtiments corporels et de lignes à copier, cent fois, « je ne parlerai plus patois » vous pensez bien que la langue de nos pères est très vite devenue la langue à bannir, la langue haïe, la langue des ploucs et des arriérés. La langue à oublier le plus vite possible tellement on avait honte de ce charabia de la si belle langue française nous affirmait-on et l’enfant malléable croyait ce que disaient l’instituteur, le curé et surtout ses propres parents.
Le « dressage institutionnalisé » a fonctionné car nos parents, totalement inconscients du changement de société qu’entrainerait l’abandon de notre langue, comment pouvait-il en être autrement, soutenaient nos bourreaux.
Pire et comble de la catastrophique »ironie institutionnelle », dans ce Morbihan mi-gallésant, mi-bretonnant, un couple d’instituteurs nous arrivant du pays bretonnant, avait un accent bretonnant à couper au couteau. Tant et si bien que nous avions du mal à comprendre leur français, surtout la femme que nous appelions (elle ne l’a jamais su) la vache espagnole. Mais cela ne les empêchait pas de nous instruire sur les bienfaits de la belle langue française et de renier la nôtre, comme ils avaient renier la leur.
Nous nous sommes donc plongés dans cette nouvelle culture, dans cette langue française que l’on nous disait la plus belle du monde, la langue de Molière (1) qui nous promettait (les promesses n’engagent à rien) bonheur et réussite en son giron.
Nous sommes devenus de bons petits Français enfonceurs de portes ouvertes, croyant tout savoir sans rien connaître de la vraie histoire de la langue de nos pères et de « l’Histoire » tout court. J’ai donc, comme beaucoup d’autres, renier à jamais le patois de mes « bouseux de pères » et suivi la règle du bon français que l’on m’avait enseigné, elle n’était plus sur mes doigts mais dans ma tête et c’est bien pire.
Pourtant comme mes parents m’entouraient de toute leur affection, je n’ai pas souffert autrement que physiquement de ces sévices. J’ai eu une enfance libre et heureuse. Ce ne sera que bien plus tard en découvrant par mes lectures (2) le mensonge fait à l’enfant (je n’ai jamais oublié que la « Maraï » était vilaine) que je deviendrais militant de la langue gallaise, mais ceci est une autre histoire.
Car si la honte enfantine est passagère, la tromperie faite à l’adulte l’est beaucoup moins et un vrai (car il y en a des faux) Breton, trompé, devient automatiquement résistant, il est donc très important d’enseigner l’Histoire, la vraie pas seulement les légendes, aux Bretons.
Jean-Luc LAQUITTANT
(1) Je ne savais pas encore que les Français d’aujourd’hui, n’auraient, sans doute, pas compris Molière
(2) Serge Lusignan, Henriette Walter, Martin Aurell, Bernard Cerquiglini etc etc.
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