Alan Stivell précise sa démarche à propos du Bro Gozh

Interview publié le 12/10/22 17:53 dans Culture par Philippe Argouarch pour ABP
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Alan Stivell ( photo extraite du concert avec l'Orchestre de Bretagne diffusée sur Youtube https://www.youtube.com/watch?v=auCtIkgF3JM )

Le Bro gozh ma zadoù (Vieux pays de mes pères) est un chant en langue bretonne, adopté en 2021 par la région Bretagne comme hymne officiel de la Bretagne. Ce chant reprend l'air de l'hymne national du pays de Galles, Hen Wlad Fy Nhadau (Vieille terre de mes pères). On trouve un équivalent en cornique, la langue celtique apparentée au breton parlée dans la Cornouailles britannique, sous le titre Bro Goth agan Tasow (Vieille terre de nos pères), qui reprend aussi l'air de l'hymne gallois. En breton, les paroles sont celles de l'adaptation qu'en a faite François Jaffrennou en 1898.

En avril 2022 Alan Stivell, le célèbre chanteur et compositeur, musicien et musicologue, a interprété un Bro Gozh, légèrement modifié (voir notre article), avec 70 musiciennes, musiciens, chanteurs, chanteuses, techniciens, dont le central Orchestre National de Bretagne, à Rennes-Liberté et Paris-Pleyel.

[ABP] Pourquoi avoir modifié le Bro Gozh ?

[Alan Stivell] Il s'agit de l'orchestration que j'ai écrite spécialement pour l'Orchestre National de Bretagne, les choeurs, mes amis sonneurs, flûtiste (whistle), chanteuse solo (Juliette), mon équipe folk-électro-rock. C'est une version inspirée de mon premier enregistrement studio (dans Brian Boru en 1995). Dans les deux cas, mon désir d'associer un rythme ethno-électronique tribal, un aspect rock avec une référence bagad, donc influence écossaise.

Avec cet hymne d'origine galloise, on a quelque chose d'évidemment inter-celtique. Mon choix harmonique diffère de toutes les versions qui ont existé. Celles-ci ont toutes amplifié un caractère classique venant de temples protestants, totalement conquis par l'esthétique classique anglaise, dans son côté le plus germanique.

J'ai toujours trouvé absurde qu'on n'essaye jamais de celtiser l'hymne d'un pays celtique. Ce n'est jamais impossible. La preuve : d'une mélodie en majeur banal, je lui impose des accords (voire des décorations mélodiques) qui la contraint à visiter nos modes traditionnels, en l'occurrence le mode de sol (je vous évite le nom grec :). »

Vous avez constaté que la musique n'exprime plus le temps où elle a été créée, mais la Bretagne de 2022, fédérant toutes les tendances musicales et culturelles.

Pour mon interprétation, je la bretonnise, en respectant tout simplement les accentuations de la langue. Et j'ai toujours trouvé également absurde qu'on débretonnise notre langue (l'aplatissant à la française et du coup lui faisant perdre tout espoir de swing qui est aussi atteignable que dans le Gospel).

En le faisant, j'ai réalisé encore plus des erreurs d'écriture de Jaffrennou. En effet, son placement de certaines syllabes oblige (par la mélodie) à accentuer celles qui devraient être semi-muettes. C'est là que je me suis dit : "après tout, et si je corrigeais ça?" ».

Je l'ai fait dans un refrain. Puis, emporté dans l'élan, j'ai tenté l'essai d'un nouveau couplet. Car il y a des couplets qui sont contraires à mes convictions et je partage ça avec beaucoup de bretons-bretonnes.

J'ai quand même demandé conseil à plusieurs amis, certains ayant une responsabilité officielle qui m'ont encouragé. Voilà donc.

[ABP] Devrait-on ajouter de nouveaux couplets ?

[Alan Stivell] Il aurait fallu plusieurs couplets pour dire tout ce qu'on voudrait 120 ans après sa création.

Dans ce seul nouveau couplet, j'ai voulu dire ce qui n'était pas dit : la place de la Bretagne, péninsule à cheval entre la France et le continent européen d'une part, et d'autre part le reste de l'archipel celtique à quelques encablures.

J'ai voulu schématiser ça, en évoquant nos trois métropoles, celles tournées vers la France, celle tournée vers l'Océan et la Celtie. J'ai mis en exergue Nantes, bien sûr.

J'ai provisoirement laissé un A entre parenthèses après Brest, pour ne pas se tromper dans le phrasé. Vous aurez observé quelques rimes internes ou assonances typiques de la poésie celtique. Oui, celtique !

Comme le reste de l'hymne, je suis resté au premier degré, tout en soignant la musicalité des mots. Il va de soi que ce n'est pas là qu'on va expérimenter une poésie hermétique d'avant-garde…Voilà pour ceux et celles qui n'auraient pas déjà remarqué ces détails.

Evidemment je n’impose à personne de reprendre ma version.

[ABP] Merci de ces précisions


Vos commentaires :
Lundi 6 mai 2024
1- concernant les deux derniers vers du refrain, la modification de la fin du 2e vers avait été proposée par Albert Boché, car celle écrite par Taldir n'a pas de sens: tra ma 'vo mor 'vel mur en he zro. Boché proposait: Tra ma 'vo mor 'vel mur tro-dro.
Correction a minima, d'autant que Taldir utilise l'expression par ailleurs dans le chant. Stivell va plus loin dans la modification: Tra ma vo ar mor digor dro-dro = tant que la mer sera ouverte aux alentours.
Pour moi, il faut respecter le texte de l'auteur s'il ne comporte pas d'erreur de breton, et c'est le cas.
A noter qu'il écrit son texte pour des chanteurs: di-igor = deux notes sur le -i- de digor ; idem pour tro-odro = deux notes sur le -o- de tro (il aurait mieux valu écrire tro-o dro dans ce cas)... Cette écriture ne se justifie pas, qui prend les chanteurs pour des niais.
2- le nouveau couplet. Traduction:
Nantes et Rennes près des frontières sans porte
Aux vents de l'Est, au voisin Français (en breton, on emploie un pluriel dans ce cas) Et Brest qui regarde avec honneur l'archipel de la Celtie Frère et soeur avec tous les autres peuples.
Il n'y a pas de verbe, mais des juxtapositions. Et de bons sentiments... mais la forme laisse sérieusement à désirer. Le 2e vers: D'avelioù, D'an amezeg est sans lien avec le précédent...
Dans le 4e vers, on doit dire: breur on d'an holl bobloù all. AN Naoned est fautif, tout comme RoazHon (H étymologiquement impossible).
Cela fait beaucoup d'insuffisances dans un si court texte.
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