Quand un touriste arrive en Bretagne pour la première fois, même s'il ne connaît rien de l'Histoire de Bretagne, même s'il ne sait pas que cette région a autrefois été un État indépendant, même s'il ne sait pas qu'il existe une langue bretonne millénaire qui était encore parlée par un million de personnes au début du XXe siècle, même s'il n'entend pas parler breton le jour du marché près du gîte qu'il a loué, ses yeux lisent du breton sur les panneaux à l'entrée des villages et des hameaux qu'il traverse avec sa voiture ou son vélo, ou sur les cartes qu'il consulte. Il entend même des noms de villages et de hameaux bretons égrenés par une voix sympa par son GPS. Surpris de ces sonorités qui ne sont pas françaises, il ne peut que se poser des questions.
C'est aussi la même découverte pour un enfant breton qui vient d'apprendre à lire la langue nationale, et qui, dans la voiture de ses parents découvre sur les bords des routes des panneaux écrits dans une langue dont il n'a jamais entendu parler à l'école ou à la maison si ses parents ne sont pas brittophones, ce qui est la majorité des cas.
La toponymie dans toute la partie ouest de la Bretagne est une sorte de pièce à conviction indestructible, éternelle même, une évidence du crime commis : une preuve de l'annexion par la France d'un pays qui n'avait rien à voir avec la France. C'est aussi le cas pour nos patronymes bretons, même l'État ne peut les changer.
On peut interdire l'enseignement de l'Histoire d'un pays, on peut marginaliser l'utilisation de sa langue, refuser le statut de minorité nationale, compartimenter son territoire en départements, mais comme pour les patronymes des habitants, il est difficile de changer les toponymes.
Cette opération de francisation des noms de lieux existe pourtant en particulier au sein des nouveaux lotissements lors de la construction obligatoire de HLM au sein des communes ou de simples constructions de nouveaux quartiers résidentiels.
En 2019 à Telgruc, au fond de la baie de Douarnenez, à la demande des services de la Poste, la municipalité de Telgruc décide en février 2019 de donner des noms d'oiseaux comme «pélicans», «fous de bassan», ou «frégate», des espèces qui n'existent même pas sur ce littoral, aux rues d'un nouveau lotissement. Grâce à l'association EOST, qui travaillait depuis 20 ans à la préservation de la toponymie bretonne, c'est toute la Bretagne qui fut alertée de ce qui se tramait. Une centaine d'universitaires et d'artistes signèrent un appel à Quimper le 9 septembre pour stopper cette francisation (voir notre article). Une manifestation suivit et devant la levée de boucliers, la municipalité fit marche arrière.
Le président de l'Association EOST, Yann-Bêr Kemener, a fini par écrire un livre intitulé Guide des noms de lieux bretons, un trésor à préserver, un patrimoine à partager. Ce livre très bien illustré, édité par Skol Vreizh, vous aidera à déchiffrer ces noms de lieux que vous voyez, pour certains plusieurs fois par jour.
Beaucoup des saints bretons n'ont jamais existé. San, ar zan en vieux breton veut dire fond humide d'une vallée ou simplement «ruisseau de la vallée» et en y ajoutant un t on a créé un saint. La preuve avancée par l'auteur du livre est la quasi absence du féminin «santez» dans les noms de lieux mais aussi que des patronymes et même des anciens cadastres ont conservé l'ancienne orthographe.
A cela s'est ajouté l'ignorance des cartographes et des topographes qui ont par exemple francisé des Kroashent, la croisée des chemins ou carrefour en «Le croissant ». L'orthographe de beaucoup de noms de lieux bretons a souvent été massacrée par une simple transcription de sonorités bretonnes via des syllabes françaises connues. Ainsi Penn kêr ganabeg est devenu Kerganapé.
Ma langue me remue les tripes et le cœur parce qu’elle me relie à mes grands-mères, à mes ancêtres, à mes parents, à mon fils, à mes amis, à ma terre, qui par ses noms de villes, de lieux-dits, de rivières, de champs, me parlent et me disent leur histoire et me permettent d’y inscrire la mienne. - Nolwenn Korbell
Cet ouvrage est un guide pour comprendre l'histoire du monde qui vous entoure. Ces noms de lieux bretons nous parlent, nous racontent une histoire, comme l'a si bien dit Nolwenn korbell. Le livre comprend un lexique de 15 pages de noms bretons courants dans la toponymie. Il complète une cinquantaine de pages qui classifie par thèmes, regroupe, traduit, et explique la toponymie en langue bretonne. Il vous donnera des explications et de significations, mais il vous aidera aussi à participer aux choix de votre municipalité concernant la toponymie et l'odonymie (la science des noms de rues). Vous pouvez aussi participer aux cartes en lignes, commentées en breton de Open Street map. Chez vous, vous pouvez donner un nom breton à votre maison ou à votre bateau si vous êtes marin-pêcheur ou à votre start-up si vous en créez une. Sans oublier bien sûr vos enfants. Rappelons ici que le prénom breton «Malo» est en tête des prénoms masculins donnés en Bretagne en 2021.
Yann-Bêr Kemener est un écrivain breton, il est l’auteur de livres d’Histoire sur Telgruc-sur-mer, mais également de romans, de nouvelles et de livres pour enfants en breton. Il a également rédigé des manuels pour l’apprentissage de la langue bretonne ainsi que des cahiers de vacances en breton.
■Peut-être que l'on devrait donner, ou redonner un nom breton à nos domiciles, surtout en ville, et pas seulement à la villa secondaire, Mon Rêve?