Parler objectivement — scientifiquement — de nationalisme, ou du nationalisme, est un exercice difficile — et souvent incompris — dans la mesure où ce concept est frappé d’empreintes idéologiques péjoratives dans le sens commun. Si le développement de ce champ particulier de la sociologie historique et politique remonte aux années 1960, les travaux majeurs (dont ceux d’Ernest Gellner) sur le — ou les — nationalismes sont parus plus récemment, à partir des années 1980. Il semblerait cependant que ces travaux soient trop récents et par trop négligés pour permettre l’éclosion d’un discours réellement neutre dans la sphère publique. Pour autant, l’urgence d’une clarification est réelle car l’usage politique du « nationalisme » pourrait bien être le lieu d’une forme de pression symbolique routinière et « endémique ». C’est la question que Ronan Le Coadic examine dans son dernier ouvrage « Macron, nationaliste banal ? ».
L’hypothèse de travail de Ronan le Coadic est que tout nationalisme, quel qu’il soit, est avant tout un fait social et qu’il doit être examiné avec toute la rigueur requise en science humaine. Le sociologue breton fait le tour des différents travaux de recherche sur le nationalisme. Sur un plan théorique, le nationalisme s’analyse comme un processus social que l’on observe très généralement dès lors que l’on s’intéresse à la formation des identités collectives en lien avec les projets politiques tel que la formation d’États. Les travaux d’analyse sociale du nationalisme, peuvent différer par l’accent mis sur tel ou tel aspect, mais ils ont ceci en commun d’être totalement exempts de jugement de valeur. Ils relèvent aussi que le nationalisme institutionnalisé n’a pas la même représentation sociale que le nationalisme minoritaire. Travailler sur le nationalisme impose au sociologue de repérer les biais idéologiques. L’analyse textuelle des discours peut alors constituer une mine d’informations.
Ronan le Coadic a réalisé une étude de cas, dans un contexte d’actualité, en analysant un corpus constitué de discours du président Emmanuel Macron. Ces neuf adresses aux Français, entretiens, et discours de vœux ont été diffusés en 2020 dans une période fortement marquée par l’épidémie du COVID. Alors que la fonction suprême situe le président E. Macron à la tête d’une nation institutionnalisée, les conditions de l’usage par celui-ci de la rhétorique nationaliste ont retenu l’attention de l’auteur. Le contexte de cette période, troublée et incertaine, imposé par la crise sanitaire, offre en outre l’opportunité de mettre la ferveur des discours à l’épreuve des faits, et de pouvoir relever les contradictions. L’orientation proeuropéenne du Président pouvait laisser imaginer que le nationalisme, tant vilipendé, était quelque peu dépassé par une ouverture au monde placée sous le signe de la modernité. Il n’en est rien. Ronan le Coadic approfondit l’analyse de ce hiatus.
Sur un plan méthodologique Ronan Le Coadic applique une grille de lecture à cette analyse textuelle des différents discours. Le corpus est décortiqué selon trois axes : les thématiques (le sentiment de communauté, l’orgueilleuse conscience de soi, prétention à la puissance nationale), celui des stratégies narratives (construction du « nous », la perpétuation, la justification) et celui des formes linguistiques (usage du nous, figures de style comme les métaphores). L’auteur évalue si le propos tenu par le président Macron peut être considéré comme nationaliste et, le cas échéant, tente de caractériser ce nationalisme. De fait, Le lecteur parcourt les éléments recueillis par de Ronan Le Coadic et observe l’évidence d’un nationalisme institutionnalisé, implicite et normatif mais qui ne se présente pas comme tel. En ce sens, il est « banal » selon le terme de Michael Billig, tellement évident et naturel que le mot « nationalisme » ne saurait qu’être réservé à la description de conduites déviantes.
La conclusion de Ronan Le Coadic met en lumière le nationalisme du président E. Macron et le situe dans sa lignée historique. Cherchant le fondement des circonstances de ce nationalisme, l’auteur formule l’hypothèse d’une stratégie narrative. Ensuite, Ronan Le Coadic revient à la question de fond : comment le nationalisme, qui est un phénomène d’ordre culturel, une manière d’être au monde à l’échelle collective dans le cadre d’un projet politique, devient-il un enjeu politique et un moyen de stigmatisation ? Si les raisons propres à la France sont sociales, historiques et philosophiques (l’universalisme de la philosophie politique des Lumières) les conséquences sont aujourd’hui réelles : une clôture anachronique du champ du débat politique, notamment, sur tout ce qui touche les identités régionales. L’intention de l’auteur est avant tout didactique. Ce livre intéressera aussi bien le lecteur qui souhaite enrichir ses connaissances sur le champ du nationalisme que le militant qui désire fonder son action sur des bases théoriques bien étayées.
Jean-françois Blanchard, sociologue, chercheur associé au CRBC - Université de Rennes
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