Surprenante, la « première de jaquette » contenant ce nouveau Compact-Disc reçu !
Il n’y apparaît, en effet, aucun portrait, pas même une silhouette de musicien, mais, au cœur d’un herbeux décor champêtre à l’horizon forestier lointain et sous un bleu ciel immaculé, l’image d’un féerique râtelier à foin de pâtures surmonté d’une précaire et incurvée toiture, bâtie de deux fragments de tôle ondulée et de quelques branchages, sommairement déposés.
Mais édifiante, cette rustique illustration, sur laquelle, avec plus d’attention, nous pouvons distinguer la présence de deux instruments boisés et cordés, délicatement adossés à ce pittoresque mobilier rural.
Une guitare, un violon… un duo ?
Nous obtenons, immédiatement, la réponse en lisant les noms des deux artistes, respectivement titulaires de ces deux magiques « coffrets à notes » aux manches tendus de cordes que l’on pince ou que l’on frotte pour inviter ces dernières à chanter et à danser !
Presque discrètement, en fine écriture de blanc parée, pour notre plus grande joie, apparaissent deux noms d’instrumentistes qui comptent dans la musique bretonne : Philippe LE GALLOU… et Pierrick LEMOU !
En quelques trop courtes lignes, il en faudrait plus de cent, rappelons, que trop brièvement, les itinéraires culturels et musicaux de ces deux remarquables artistes.
Philippe LE GALLOU est guitariste, compositeur et enseignant certifié en éducation musicale.
Après l'obtention, en l988, d'une licence de Musicologie à l'Université de Rennes II, il participe à de nombreuses formations de blues et de jazz en tant que musicien professionnel et enseigne l'éducation musicale, en collège et lycée, à Rennes et en sa région.
Ayant suivi des stages avec des guitaristes tels que Mauro SERRI (blues), Gilles CLEMENT (jazz) ou Soïg SIBERIL (celtique), il se passionne pour la guitare acoustique et, plus particulièrement, pour les musiques celtiques.
Philippe LE GALLOU participe à diverses formations et séances d'enregistrements, dont BACKDOOR MEN, LA VOLUTE, Pierrick LEMOU Band... Il collabore désormais avec la chanteuse Nolwenn MONJARRET ( 1).
Pierrick LEMOU, violoniste breton, marque, dès l’adolescence, sa passion pour la musique bretonne par du collectage, ce qui contribuera à en faire un expert de la culture musicale bretonne. Il est, notamment, l’auteur du CD référent « Sonneurs de violon en Bretagne » et du livre « Musique bretonne ».
Pierrick a bourlingué et navigué de concerts en festivals, en Bretagne et à travers le monde pour présenter, à des publics divers, la musique de Haute et de Basse Bretagne.
Il s’est exprimé au sein de plusieurs groupes reconnus, dont, DJIBOUDJEP, CABESTAN, LA GODINETTE…
Il s’est produit sur de nombreuses scènes ou a œuvré dans les huis clos des studios d’enregistrement, auprès d’excellents musiciens, dont, pour n’en citer que quelques-uns, Gerry et Eilish O'CONNORS, Paddy MOLONEY, Jean BARON, Etienne GRANJEAN, Carlos NUNEZ… sans oublier, au début des années 90, cinq années de route partagée avec Alan STIVELL.
Depuis toujours, passionné par les musiques anciennes, il explore leurs parallèles et cousinages quant à leur modalité, vers les musiques traditionnelles celtiques, notamment au travers de son concert et album, « VIOLONS DE TERRE » (CD à retenir) .
Revenons à cette champêtre jaquette sur laquelle figure ce fronton patronymique de référence.
Sous celui-ci, aussi finement, mentionné, mais, cette fois, en bleu marine, est écrit : « Pazioù Dañs » (Pas de danses)…
Résumons notre première approche visuelle : Une guitare, un violon, deux musiciens chevronnés et talentueux, une invitation à la danse ; on entend, déjà, les mélodies qui, en plus de nous faire vibrer, vont, sans nul doute, nous faire, frénétiquement, bouger !
« Pazioù Dañs », de Philippe LE GALLOU et Pierrick LEMOU, ce sont 10 instrumentaux, dont 9 traditionnels, avec pour 2 d’entre eux, des airs adossés à des compositions de Pierrick LEMOU et une superbe composition signée des deux virtuoses.
Toutes les pièces sont arrangées par Philippe LE GALLOU.
En tout, une musique particulièrement colorée et, souvent, virevoltante qui nous mène, entre-autre, du kas ha barh, à la suite de ronds de Loudia, de l’an dro et la scottish, à l’hanter-dro, jusqu’au plinn final.
La note figurant sur le pan interne gauche de la jaquette précise :
« Le choix des thèmes de danses, non exhaustif, s’est axé autour des constructions mélodiques et rythmiques qui nous ont séduits musicalement, tout en s’inspirant, parfois, du jeu de couple biniou/bombarde […/…] ».
Philipe LE GALLOU et Pierrick LEMOU ajoutent :
[…/…] « Nous avons puisé nos sources, en partie, dans l’éminent recueil « Tonioù Breiz Izel » de Polig MONJARRET, ainsi que dans nos collectages personnels ».
Edité en intégralité en 1984, « Tonioù Breiz Izel - Musique populaire de Basse-Bretagne » est une référente anthologie que nous devons à ce grand et célèbre collecteur et défenseur de la musique et de la culture bretonne.
Cette essentielle collection d'airs traditionnels fait partie des « bibles » indispensables à tout musicien breton qui se respecte. Pas moins de 3 000 airs de Basse-Bretagne (Vannetais, Cornouaille, Léon, Trégor) ont, en effet, été collectés, puis rassemblés par cette figure emblématique du renouveau de la culture bretonne, d'après guerre.
Ces pièces ont été notées, sur le vif, dans les années 1940-1950, par le cofondateur de la B.A.S. (Bodadeg ar Sonerion) et des bagadoù… Monsieur Polig MONJARRET !
Sans cette fort précieuse démarche, un grand nombre de mélodies et de musiques et chants à danser auraient disparu avec leurs interprètes, nous privant, ainsi d’une référence indispensable en matière de musique populaire armoricaine.
Pour donner, encore plus de corps, parfois quelques touches d’exotisme ou d'universalisme à cet excellent et captif programme basé sur la tradition de la musique à danser de Bretagne, Philippe et Pierrick on invité, à la contrebasse, Pierre SERGENT, à l’harmonica, Bruno ROUILLÉ et au N’goni, le chanteur, compositeur et musicien bamakois, Pedro KOUYATÉ.
Parmi les morceaux, en fait, peu connus, qu’ils ont soigneusement sélectionnés pour leur spécificité et originalité mélodiques, même si, tous, sans exception, nous ont séduits, nous avons, particulièrement, apprécié :
- En plage 3, « Jabadaou », une danse bretonne traditionnellement pratiquée dans l'ouest et le sud-ouest de la Cornouaille, particulièrement « endiablée », ou le Dobro, le violon et, invité du duo de cordes, l’harmonica de Bruno ROUILLÉ semblent, par leurs sonorités associées et, pour ce dernier instrument, spécifiques, nous conduire du « grand ouest » à la périphérie d’un « Far-West », avec une touche country aux dernières notes bluesy.
Original et vigoureux à souhait !
- En piste 6, une très attractive suite de deux thèmes, conjointement composée par Pierrick LEMOU et Philippe LE GALLOU et doublement titrée « La belle de l'Etunel - War hent Bamako mélodie ».
Nous y retrouvons les deux virtuoses aux enchanteresses cordes, auxquelles viennent s’ajouter les africaines sonorités de celles de la guitare traditionnelle malienne de Pedro KOUYATÉ, au N'Goni.
Quelques pincées de cette harpe-luth, mêlées à la guitare de Philippe, puis le violon de Pierrick s’élève, en pleins et déliés, dessinant de magiques arabesques, aussi nostalgiques qu’évanescentes, au cœur d’un thème qui tourne admirablement bien dans les volutes d’une caresse auditive des plus sensuelles.
Quelle est gracieuse, cette belle de l'Etunel, peut-être, légendaire personnage féminin dont la diaphane silhouette se reflète, certainement, sur le miroir de l’étang du même nom, situé, dans la vallée du Serein, entre Treffendel et Monterfil… à quelques encablures de Brocéliande.
A mi chemin de la pièce, celui qui mène, sans nul doute, le titre le précise, à Bamako, Pedro KOUYATÉ reprend la mélodie en main et cordes, avant que Philippe LE GALLOU impose un convaincant et joyeux rythme de marche qui, in fine, fédère, les 3 instrumentistes, dans une parfaite harmonie, subtilement teintée de world. Quelle réussite, à écouter en boucle !
- S’étirant, sur plus de 7 minutes, nous avons été, également, séduits, conquis par la Suite de Ronds de Loudia qui unit, magnifiquement, traditionnels et composition de Pierrick LEMOU en mettant en lumière, tous les jeux, toutes les sonorités des deux compères. C’est, tour à tour, léger, endiablé, mesuré, limpide, entêtant, en réponse, en très courts soli : les pauses, entre pièces, ponctuant la suite, facilitent ce fort large et talentueux exposé musical, en couple, qui se termine par l’adhésion chantée d’un chœur d’oiseaux. Ambiance, on ne peut plus, pastorale !
Sans un instant hésiter, mélomanes et/ou danseurs, procurez-vous cet enthousiasmant disque « Pazioù Dañs » qui livre, vraiment, à notre écoute, une approche singulière du répertoire traditionnel breton à danser, ravivant, dans une contemporanéité maîtrisée, l’époque où cette expression musicale et corporelle était intégrée au quotidien, notamment aux instants saisonniers de la vie rurale.
La danse et leurs mélodies dépassaient, alors, au-delà des veillées ou des repas de fête, le simple aspect ludique du loisir, pour être l’un des éléments de la force communautaire mobilisée pour les travaux des champs, les moissons, les arrachages de pommes de terre, la récolte du sarrasin, le défrichage des talus, l’aplanissement du sol en terre battue des maisons…
Au cours de l’année, à de nombreuses occasions, la communauté villageoise se trouvait, ainsi, réunie pour travailler, certes, durement, mais, aussi pour chanter et danser à l’issue de ces lourds labeurs.
La ruralité, chaque terroir, se trouvent, ainsi, étroitement liés à la danse.
C’est bien tout le sens suggéré par l’illustration maîtresse de la jaquette que vous n’aurez aucun mal à repérer dans les bacs ou sur les pages en ligne de votre disquaire.
Tout au long du programme, le brillant duo de cordes, à la fois, compère et complice, nous distille un très agréable spectre sonore, tissé entre une guitare inventive, profonde et distinguée et un violon au souple et espiègle phrasé, chantant, subtile, nous offrant quelques discrètes digressions stylistiques, mais respectant, intégralement et scrupuleusement, les caractéristiques fondamentales des différentes danses.
A la fois, dans l’approche de la musique à danser ET à écouter, enrichissez votre discothèque du brillant et nouvel enregistrement « Pazioù dañs », finement concocté par les deux excellents instrumentistes Philippe LE GALLOU et Pierrick LEMOU.
Gérard SIMON
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( 1) Nos chroniques sur les albums de Nolwenn MONJARRET et Philippe LE GALLOU :
- Album « An Arvor », (Voir chronique)
- Album « Ar Roue Prri - Le Roi d'Argile », (Voir chronique)
- Album « Son Elena - Ballades e Breizh ». (Voir chronique)
Illustration sonore de la page : Philippe LE GALLOU et Pierrick LEMOU - «Ronds de Loire Vilaine» - Extrait de 01:00.
D'autres extraits sonores sur Culture et celtie, l'e-MAGazine (Voir site)
- La page de Philippe LE GALLOU : (Voir page)
- La page SAVAREZ de Pierrick LEMOU : (Voir page SAVAREZ)
Les titres du CD «Pazioù Dañs».
01 - Ronds de Loire Vilaine (Traditionnel, arrangements Philippe LE GALLOU) - 03:18.
02 - Kas ha-barh(Traditionnel n°4 «Le pays d'en bas», Compo. Pierrick LEMOU, arrangements Philippe LE GALLOU) - 05:05.
03 - Jabadaou (Traditionnel, arrangements Philippe LE GALLOU) - 04:00.
04 - Androu (Traditionnel, arrangements Philippe LE GALLOU) - 05:00.
05 - Dañs Tro, Ton kentañ, tamm kreiz, ton diwezhañ (Traditionnel, arrangements Philippe LE GALLOU) - 08:18.
06 - La belle de l'Etunel - War hent Bamako mélodie, marche (Composition Pierrick LEMOU et Philippe LE GALLOU) - 05:32.
07 - Suite de ronds de Loudia (Trad. n°3 «La truite sur Riz d'or», Compo. P. LEMOU, arrangements P. LE GALLOU) - 07:43.
08 - Scottisches en reels : Miss Thompson's / The Derry reel (Traditionnel, arrangements Philippe LE GALLOU) - 04:05.
09 - Hanter drou (Traditionnel, arrangements Philippe LE GALLOU) 04:50.
10 - Dañs tro plinn Ton simpl, bal, ton doubl (Traditionnel, arrangements Philippe LE GALLOU) - 07:35
Durée totale : 56 minutes.
CD «Pazioù Dañs».
Parution : 6 mai 2022.
Distribué par COOP BREIZH - (Voir site)
Réf : 4016472.
© Culture et Celtie
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