Guerre en Ukraine, fin du premier acte : la résistance ukrainienne a gagné la bataille de Kiev. Aussi, quelle que soit l’issue des futures batailles, l’Ukraine en tant que pays indépendant a sauvé sa peau, et il pourra continuer à exister sur la scène internationale, même s’il venait à perdre la moitié est de son territoire.
Cette première défaite amène Poutine à réviser à la baisse ses objectifs. Faute de pouvoir inféoder l’Ukraine entière comme l’est la Biélorussie, il vise désormais à récupérer une moitié de son territoire, avec le projet d’y établir une « République du Donbass » aussi étendue que possible, pro-russe, et qui ferait sécession avec le reste de l’Ukraine. C’est tout l’enjeu du deuxième acte de cette guerre. Il ne fait que commencer.
Depuis une semaine et le début du retrait des forces russes des alentours de Kiev, les opérations militaires marquent une pause car la Russie doit se réorganiser et rassembler son armée sur le nouveau théâtre d’opérations. L’armée ukrainienne en fait probablement autant en renforçant ses positions et ses chaînes d’approvisionnement en armes et en vivres vers Kharkiv, Marioupol et tous les champs de bataille qui résistent encore à l’assaut des armes russes. La grande bataille qui s’annonce sur le front est, de Kharkiv au nord à Marioupol au sud, sera capitale pour l’avenir.
L’Ukraine est partagée en deux par le fleuve Dniepr qui se jette dans la Mer Noire à Kherson, tout près de la Crimée. Ce port a été la première cible de l’invasion russe, et il est déjà tombé sous contrôle de l’armée de Poutine. Puis les troupes russes ont progressé vers l’Est, le long des côtes de la Mer d’Azov, jusqu’à buter sur la résistance de la ville de Marioupol, objectif militaire essentiel pour installer leur mainmise territoriale sur le sud du Donbass.
Au nord, la deuxième ville d’Ukraine, Kharkiv, a été attaquée comme Kiev par des troupes venues de la frontière nord du pays. Elle a elle aussi résisté à cette attaque, mais elle reste encore un objectif de l’offensive russe. Elle doit s’attendre, comme tous les centres urbains de ce front de l’est, à une attaque généralisée et massive d’ici quelques jours.
Dans cet intervalle, la guerre en Ukraine est en train de franchir un nouveau seuil. Les rues jonchées de cadavres de civils dans Boutcha au nord de Kiev, ou le massacre accompli par missiles interposés dans une gare bondée de femmes et enfants prenant les trains de l’exil vers l’ouest à Kramatorsk, ne sont pas de simples bavures. Elles participent à la guerre dont les civils sont une simple composante. En massacrant ceux qui ont provoqué sa défaite par leur soutien à la résistance à Kiyv, l’armée russe envoie un message à ceux qui le font, ou s’apprêtent à le faire, à Marioupol, Kharkiv ou Kherson. En détruisant la gare bondée de passagers de Kramatorsk, elle freine l’exil vers l’Ouest des familles, obligeant les gens à rester sur place, ce qui pénalise la résistance ukrainienne qui doit alors partager les stocks de vivres et prendre en charge une population sans défense. Ce sont ce que l’on appelle communément les « horreurs de la guerre ».
Durant cette pause des combats, la diplomatie internationale elle aussi prend ses options pour l’avenir. Ainsi la Présidente de la Commission Européenne, Ursula Von der Leyen a fait, à la suite de la présidente du Parlement Européen Roberta Metsola, le voyage de Kiev pour rencontrer le Président Zelinski et lui remettre les formulaires officiels qui permettront à la future Ukraine, qu’elle soit victorieuse ou réduite à la portion congrue, d’adhérer à l’Union Européenne.
Ce voyage témoigne de deux choses. Tout d’abord que le climat de sécurité à Kiev est suffisant, et pas seulement aux yeux du pouvoir ukrainien, pour que les responsables de l’UE s’autorisent de tels déplacements. Donc la victoire des Ukrainiens à Kiev est acquise désormais. Deuxième message : Poutine et ses chantages aux approvisionnements en gaz ne sont pas suffisants pour empêcher un tel affichage, et donc pour empêcher l’Europe, le Royaume Uni et les USA de renforcer encore leur soutien, y compris militaire, au régime ukrainien. Ce que d’ailleurs la venue qui a suivi de Boris Johnson à Kyiv a aussi confirmé. Certains gouvernants commencent donc à parier sérieusement sur une victoire militaire relative de l’Ukraine, la Russie devant se contenter de la situation ante au Donbass, éventuellement augmenté de quelques conquêtes autour de la Crimée.
Car Marioupol n’est pas tombée. L’explosion surprise d’un navire de guerre russe bondé d’armements destinés à un débarquement musclé n’est certainement pas étrangère à ce revers militaire des Russes. L’appui logistique occidental n’y est pas pour rien.
Voilà le climat qui prévaut alors que les combats s’apprêtent à redoubler dans les jours à venir. La guerre en Ukraine n’est pas finie. Son issue dépendra de la capacité de résistance de l’Ukraine, et, de cette issue dépendra beaucoup de l’avenir géopolitique de l’Europe.
François Alfonsi
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