Connaissez-vous la " Breizhitude "?

Chronique publié le 26/01/22 11:23 dans Politique par Yvon Ollivier pour ABP
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Log Chesnay-Girard à la manifestation de Guingamp pour la langue bretonne en 2021.

La Breizhitude, c’est notre condition humaine singulière consistant à célébrer une identité que l’on possède de moins en moins, faute de transmission de la langue et de ses fondamentaux.

C’est notre capacité à célébrer une Histoire que l’on ne connaît plus.

C’est notre manière à nous de conjurer les droits et l’autonomie que nous n’avons plus, la partition de notre territoire, dans une identité positive de façade et très bon marché.

Devenus largement étranger à nous-mêmes et pour conjurer cette dépossession de soi, nous déclamons à tue-tête notre Breizhitude.

Je ne dis pas qu’il faut la taire, bien sûr, puisque c’est notre manière à nous de rappeler qui nous sommes.

Je dis simplement que la Breizhitude ne doit jamais nous faire oublier l’essentiel qui nous a été dérobé, et que l’on dérobe encore à nos enfants dans l’indifférence générale de nos responsables politiques : nos langues, notre Histoire.

A quoi bon bêler une identité devenue positive lorsque ses fondamentaux disparaissent ? Je crois que c’est la manière que nous avons trouvée de conjurer notre impuissance, ou de fuir notre réalité.

Drôle de condition humaine, que la Breizhitude.

Elle est fruit de la honte de soi de générations d’hommes et de femmes, honte instiguée par le dominant bourgeois et parisien, honte intériorisée au plus jeune âge par l’école, sous la pression du modèle assis sur sa « civilisation supérieure ».

La Breizhitude est l’un des pires états d’humanité que je connaisse, pire encore peut-être, que la négritude

La négritude au moins se voyait : « La simple reconnaissance du fait d’être noir, et l’acceptation de ce fait, de notre destin de noir, de notre histoire et de notre culture » selon Aimé Césaire. Elle fut le lieu de tous les drames, l’esclavage ou le travail obligatoire des Africains jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale, elle fut le lieu de toutes les violences. Elle en est devenue positive dans un mouvement de balancier assez naturel pour qui se soucie d’humanité.

Surtout, la négritude avait l’avantage d’être un bloc inoxydable, non corrompu par une personnalité extérieure, un havre protecteur avant de reprendre le large.

Notre Breizhitude à nous ne se voit pas ou de moins en moins. Elle est le moyen de fuir notre dépossession de nous-mêmes. Elle est une réaction d’ordre psychologique, avant tout. Un ressenti mêlé de fierté d’être différent, de violences psychologiques accumulées et de l’idée encore persistante de notre infériorité ou de notre secondarisation.

Nous recelons toujours les violences subies par nos parents. Le sabot à l’école n’a toujours pas quitté le cou des enfants des enfants. Les traumatismes sont transgénérationnels. Qui en parle aujourd’hui ? La République porte beau comme au premier jour et nous n’avons même pas le droit de prononcer le nom du coupable. Et nous les voyons encore, ces traumatismes, dans le hiatus saisissant entre les noms que porte notre terre et le statut inférieur accordé à nos langues.

Les formes de domination que nous avons subies sont morales, juste morales, et je crois pouvoir dire qu’elles sont les pires car il est bien plus difficile de se remettre des coups portés à l’âme. Le corps libéré, qui ployait sous les chaines, se relève beaucoup plus vite.

Nous connaissons l’égalité de droits au sein d’un ordre qui nous apprécie si peu qu’il a juré notre perte, comme si notre père était un père mal aimant, mal traitant. Comment être égaux lorsque le droit vous déconsidère ? N’est-il pas temps de faire le procès du père ?

Comment trouver les mots pour décrire une situation objectivement coloniale lorsque la « civilisation supérieure » vous rejette dans l’humanité inférieure mais vous accorde le droit de vote en compensation et célèbre votre courage de petite patrie au service de la grande ?

Nos élus surfent sur la Breizhitude. Ils se dédouanent à peu de frais de leur servilité, de l’absence des politiques publiques qui permettraient de sauver nos langues et de leur incapacité à demander les droits et le statut qui nous permettraient de rester Peuple.

Qu’une initiative surgisse avec «Breizh » dedans, et vous les verrez accourir verser leur écot, comme la rose jetée sur le cercueil qui s’en va dans la terre profonde de Bretagne.

Nos élus ont compris, et le premier d’entre eux -le socialiste Chesnais-Girard- que la Brezhitude était un atout pour attirer les touristes en mal d’exotisme et pour dompter les militants bretons qui dépendent de ses subsides.

Si on se mêle un peu de faire de la politique, c’est toujours à l’ombre du parti parisien, comme si ce peuple de marin n’osait plus naviguer en solo. La honte ou le sentiment de secondarisation sont toujours présents, sous l’angle d’une terrifiante perte de confiance, comme si l’être était durablement atteint d’une forme de secondarisation maladive.

La politique est une chose trop sérieuse pour être laissée aux Bretons, sauf lorsqu’ils sont soumis au système qui les récompense. Mais c’est comme ça depuis si longtemps.

Et puis, il est tellement plus simple d’être « régionaliste ».

Le « régionalisme » vous permet de concilier votre Breizhitude avec la grande patrie comme avec la langue française que nous parlons au quotidien.

Qu’il est rassurant ce « régionalisme-là » ! Il permet de suivre de belles carrières et ne fait jamais mal au derrière.

Le « régionalisme » vous permet de surfer sur la Breizhitude, que le Pouvoir apprécie, car cet état d’homme est un état d’homme très soumis, au fond.

Je n’aime pas le « régionalisme » car c’est un faux-amis. D’ailleurs, je crois bien qu’il est mort depuis longtemps. Les élections régionales de 2021 viennent d’en sonner le glas.

Mais c’est encore lui qui tue nos langues aujourd’hui, car elles sont des « langues régionales ».

Les Bretons sont en train de creuser leur propre tombe car ils vivent dans une belle région.

Je n’aime pas plus la Breizhitude et il me tarde de changer de condition d’homme.

La Breizhitude créée des hommes « régionalistes » et donc soumis, résignés devant les forces en action.

La Breizhitude, c’est la victoire posthume du Botrel bêlant sur tous ceux qui travaillent d’arrache pied pour défendre nos langues ou recouvrir nos droits.

Je crois que l’âme bretonne n’est pas de ce côté-là. Elle n’est pas bêlante pour conjurer la situation dramatique dans laquelle on se trouve.

C’est une âme libre, travailleuse, toujours prête à prendre le large, à affronter le réel et tous ses drames. Elle n’a rien de française, bien sûr.

Et surtout, elle n’est pas « régionale » et soumise, notre âme. Une âme est unique et libre toujours, sinon, c’est qu’elle n’est plus.

Demain, je ne bêlerai plus ma Breizhitude.

Y OLLIVIER

auteur


Vos commentaires :
Dimanche 5 mai 2024
La «Breizhitude» : détestable aspect du séculaire Breizhicide !
AV
0

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