Non, l'immersion n'est pas inconstitutionnelle !

Lettre ouverte publié le 8/09/21 11:17 dans Langues de Bretagne par Jean-Claude Le Ruyet pour Jean-Claude Le Ruyet

Non, l’immersion n’est pas inconstitutionnelle !

Par Tugdual Kalvez

L’immersion est une méthode pédagogique. Ce n’est pas une conception idéologique. Elle vise l’efficacité de l’enseignement linguistique, sans prétendre échapper aux lois, que ses tenants n’ont jamais mis en cause. Le prétendre est contraire à la réalité.

D’ailleurs, personne n’a cru qu’en utilisant une langue minorisée dans la cour de l’école, par exemple, c’était remettre en cause la Constitution de la 5e République. Il faut vraiment avoir l’esprit tordu pour y trouver un lien. Jamais avant M. Macron la question n’avait effleuré personne et n’avait jamais été évoquée. Le faire aujourd’hui, c’est vouloir voir la contestation où elle n’est pas.

Le retour du «symbole» ?

L’interdiction de parler breton dans la cour de l’école a déjà été utilisée par la France aux XIXe et XXe siècles, afin d’éradiquer la langue bretonne de la pratique des élèves, eux qui ne connaissaient familialement que le breton. L’enfant pris sur le fait été affublé, par des maîtres d’école eux-mêmes bretonnants, du «symbole», par exemple un petit sabot de bois attaché à une cordelette, qu’il devait porter autour du cou. Il le transmettait à l’un de ses camarades pris par lui en flagrant délit de parler breton. Le dernier à porter le «symbole» était puni. Par exemple, il était condamné à écrire cinquante fois: « Je ne parlerai plus jamais breton » !

C’est comme cela que la France a fabriqué des générations d’hommes et de femmes honteux de leur langue et de leur culture. Ce «symbole» était la marque infamante infligée aux enfants, pour leur donner mauvaise conscience, et nombre d’entre eux ont été atteints du complexe d’infériorité.

Deux poids deux mesures

Jetons un regard sur les sections européennes. Elles sont très sélectives et le nombre de places disponibles est souvent inférieur à la demande. Les élèves reçoivent un enseignement renforcé dans la langue choisie. A partir de la seconde, ils peuvent suivre un enseignement non linguistique dans cette langue, c’est-à-dire portant sur une matière qui les intéresse.

Le «Guide pour l’enseignement en langue vivante étrangère de l’école au lycée», du Ministère de l’Education Nationale et de la jeunesse, donne toutes les explications nécessaires pour faciliter son choix: «Oser les langues vivantes étrangères», Mars 2020. On y lit, page 34, un développement intitulé « Hors de la classe » ; le voici.

« Dans tous les espaces de l’école, la langue cible peut devenir progressivement langue de communication: salles de classe, bien sûr, mais aussi cour, couloirs, cantine... Ainsi, les élèves prennent progressivement l’habitude d’interagir avec les adultes en langue vivante étrangère, celle-ci devenant alors langue de communication dans l’école ».

Ce texte donne la description de l’immersion ! Elle est non seulement autorisée, mais recommandée dans les sections européennes. On y pratique l’immersion sans le dire, sans l’appeler par son nom. Alors, pourquoi la pratique-t-on ? Pour son efficacité ! C’est un complément pratique aux cours de langue proprement dits, dans les moments de vie de l’établissement.

On constate, ainsi, que l’immersion n’est pas contraire à la Constitution lorsqu’elle met en œuvre l’anglais, l’allemand, l’espagnol, l’arabe…, mais qu’elle le devient en ce qui concerne le breton, le corse, le basque,… c’est-à-dire des langues territoriales de l’Hexagone. La liberté pédagogique serait, ainsi, limitée pour le breton par rapport aux langues internationales importées dans l’Hexagone. Celles-ci sont, de ce fait, favorisées, quand le breton est limité dans sa pratique, sous un prétexte nationaliste fallacieux. A cette limitation de liberté s’ajoute une inégalité de traitement, c’est-à-dire la remise en question de l’égalité. Liberté et égalité pour l’anglais, l’allemand, etc mais privation de liberté et discrimination pour le breton, le basque, le flamand, l’alsacien, le catalan, le corse, etc.

Si le breton, langue territoriale de l’Hexagone, est inconstitutionnel, utilisé hors des cours de langue ou en langue, combien plus l’anglais doit-il l’être dans la même utilisation, « hors de la classe », qui est une langue étrangère à l’Hexagone !

Justice pour les langues territoriales !

Nous ne demandons pas qu’on supprime cet avantage pédagogique accordé aux classes européennes. Nous demandons seulement l’égalité de traitement pour les langues territoriales de l’Hexagone.

L’interdiction de l’immersion pour les langues territoriales ne tient donc pas juridiquement et devra être levée sans tarder, puisqu’elle est constitutionnelle pour les langues étrangères des sections européennes.

Quant au Conseil constitutionnel, il pourrait se tirer d’embarras si le Premier ministre lui demandait de consulter les travaux préparatoires à la rédaction de l’article 2 de la Constitution, pour retrouver les « intentions du législateur », lesquelles sont sans ambiguïté, selon la juriste Anne Levade. Plusieurs parlementaires méfiants avaient publiquement exigé que ledit article ne soit jamais utilisé contre les langues régionales, ce à quoi le gouvernement s’était explicitement engagé.

La manière la plus simple et la plus sérieuse de reconnaître la légalité de l’immersion consiste, comme le propose le député Paul Molac, de compléter l’article 75-1 de la Constitution, disant : « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France », par la précision : « l’enseignement par immersion de ces langues est constitutionnel ». Il y aura, alors, égalité entre les langues territoriales de l’Hexagone et les langues internationales professées dans les classes européennes.

Avec de la bonne volonté, c’est réalisable avant l’élection présidentielle de 2022.

Tugdual KALVEZ, Philosophe,

membre de l’Institut Culturel de Bretagne (composante de Bretagne majeure).


Vos commentaires :
Michel Vernet
Vendredi 22 novembre 2024
Vous écrivez « Ce texte donne la description de l’immersion ! ». Oui, c'est vrai, mais il a été publié en mars 2020, c'est-à-dire bien avant la décision du Conseil constitutionnel. Un tel texte ne pourrait plus être publié aujourd'hui. L'enseignement immersif est donc bel et bien inconstitutionnel et doit donc cesser. Les écoles qui l'appliquent doivent désormais adopter un enseignement paritaire, où le français est la langue d'enseignement d'au moins la moitié des matières et la langue de communication à la cantine ou dans la cour de récréation. Voir à ce sujet les propos de M. Blanquer tenus le 28 mai, et où ce dernier précise bien que « le français doit être présent tous les jours » :
Voir le site

Petillon p
Vendredi 22 novembre 2024
Sklaer evel lagad an naer... Ar menozioù broadelour gall zo war gresk araok an dilennadegoù. Petra gortoz eus ar re se ? Netra siwazh... Dre voneur zo tud o deus savet ar skolioù Diwan maez lezenn evit mont waraok !

Daoust hagen ar pobl breizad zo prest da soutenn ar re a vo maez lezenn evit savetaet hor yezh ? Aze emañ an dalc'h !


Lucien Le Mahre
Vendredi 22 novembre 2024
Contrairement aux options éclairées prises par la plupart de nos voisins il y a des décennies déjà, les langues régionales sont restées politiquement incorrectes dans une France entravée par un nationalisme d'Etat centralisé encore teinté d'un reste de colonialisme intérieur, que l'on nomme aussi «jacobinisme».

La constitutionnalité ou non de l'immersif des langues régionales est une triste farce. Quant à sa légitimité, on «oublie» toujours dans l'équation que la quasi totalité de la vie quotidienne française ( éducation, vie professionnelle, médias etc...) se fait en langue française.
Alors l'immersif réel, pour un Breton, il est où, au bout du compte ?


Yann L
Vendredi 22 novembre 2024
Quelques remarques:
-la décision du CC sur l'enseignement immersif ne vise que les langues régionales.
-elle ignore les langues étrangères.
-en ce sens, elle introduit une discrimination des unes par rapport aux autres.
-Ainsi, elle viole l'article 1 de la constitution et l’article 14 de la CEDH;

Anne Merrien
Vendredi 22 novembre 2024
Trois classes immersives publiques ont bien été ouvertes au Pays Basque, après la décision du Conseil Constitutionnel. L'aura du dit conseil tient aussi à la pertinence de ses décisions et aux circonstances dans lesquelles elles ont été prises (une saisine peu conforme). L'ennui, c'est que le rapport de forces est plus favorable au Pays Basque qu'en Bretagne.

Jean-Paul Touzalin
Vendredi 22 novembre 2024
c/o M Vernet: Pourquoi un texte publié en mars 2020 ne pourrait-il être pris en compte aujourd'hui?
Le « bel et bien inconstitutionnel» me semble une exagération sans guère de sens et les propos de M. Blanquer oblitèrent la réalité des classes bilingues ( multilingues ? ) européennes. Il y a des instructions officielles de l'Éducation dite nationale et la liberté de pédagogie du professeur ... Ça vaut le coup de continuer à enseigner « en immersif », non?

Kerbarh
Vendredi 22 novembre 2024
Une fois de plus , l’état français est en retard d’une guerre ! Les jacobins ruinent les peuples de France !

Krys 44
Vendredi 22 novembre 2024
Il me , semble qu'outre l'habituel discours amenant au jacobinisme , il serait bon de se mettre d'accord sur ce qu'est «la méthode immersive» .
«La méthode immersive» est la seule qui amène un enfant à être bilingue . Puisque c'est toujours la langue de l'environnement qui domine , et il est important qu'une langue domine , on ne peut amener des enfants au bilinguisme qu'en pratiquant «la méthode immersive». C'est cette pédagogie est pratiquée depuis des lustres au Canada français où la maîtrise de l'anglais est indispensable ...Je ne précise pas pourquoi . Ce sont d'ailleurs des Bretons qui l'avaient amenée ici , après l'avoir vu pratiquer durant un séjour professionnel au Canada !
Le bilinguisme n'existe que si un enfant a acquis deux schémas différents de deux langues différentes entre 2 et 6-7 ans . Après , il pourra parler 7 langues ou plus , il ne sera plus jamais bilingue . Or , c'est le fait d'être bilingue qui est un «plus» extraordinaire , qui rend très aisé l'apprentissage des langues par la suite . Les Parisiens qui n'ont pas cette chance , ne possédant pas de langue locale autre que le français , sont-ils jaloux ? Les héritiers de l'abbé Grégoire trépignent-ils d'horreur ? Ou bien n'est-ce qu'une question de démantèlement de l'école publique ? Alors , que ceux qui vilipendent les écoles soi-disant privées , en fait associatives , qui demandent depuis des lustres à être intégrées à l'éducation nationale , et qui semblent «déranger» beaucoup plus que celles privées cathos, réfléchissent un tout petit peu ! Ils sont en train de jouer contre leur camp ! C'est tout le système scolaire qu'ils vont participer à désagréger ! Ils font eux-aussi «dans le clientélisme» et c'est pitoyable ! Les interprétations de la constitution peuvent beaucoup diverger , et la tordre un peu plus pour en arriver à ses fins n'est pas nouveau . C'est la blonde Marine qui va être contente !

Charlie
Vendredi 22 novembre 2024
Quand on sait que la méthode immersive est utilisée au sein des lycées français de l'étranger, ces mêmes lycées français obtenant comme diwan des résultats nettement supérieurs à la moyenne, on comprend bien que le problème de fond n'est pas pédagogique mais bien idéologique. L'état français rejette toujours autant ses racines, et continue sa quête de l'universalisme révolutionnaire. C'est un dogme, et bien que ce soit irréel, bien que ce ne soit que pure agression vis à vis des peuples de France, ils continueront à le défendre, c'est la base du sectarisme malheureusement.

Tugdual Kalvez
Vendredi 22 novembre 2024
Setu ma respont d'an Ao. Vernet:
Ce texte figure sur le site du ministère de l'Education et il n'a pas été remis en cause par ledit ministère.
D'autre part, le français est présent tous les jours dans les écoles Diwan et autres, car un certain nombre
de cours sont faits dans cette langue.
Respont da P. Petillon:
A-du on ganeoc'h kant dre gant !

Cosquer P.
Vendredi 22 novembre 2024
A tous les lecteurs afin qu'ils mesurent véritablement et profondément l'immense responsabilité de l'état français: Vous écrivez: « Je ne parlerai plus jamais breton » ! la méthode visait à travers chaque enfant puni, l'éclatement du groupe sociale... et donc par extension l'éclatement des peuples soumis à cette tradition républicaine française qui s'est toujours égarée; Il ne faut pas oublier que la guillotine à décapité ceux qui avaient d'autres solutions...... Même les Anglais ont compris il y a déjà bien longtemps (au canada) que leur politique linguistique n'avait aucun débouché qui puisse leur être favorable... bien au contraire. Dans « Abandon de la langue maternelle, paradoxe identitaire, honte et pathologie » le Docteur Pierre BOQUEL Médecin psychosomaticien, spécialité psychiatrie, psychothérapeute écrit: «La pratique du signal» ou du «symbole» est l’un des procédés mis en place pour asseoir la disqualification de la langue maternelle, c’est un des trois piliers d’un dispositif plus vaste que j’ai appelé «dispositif d’impasse des «patois»». Le terme d’impasse est important car il n’y aura guère d’alternative pour l’enfant pris dans ce dispositif que d’abandonner sa langue première. Le dispositif est construit selon trois axes complémentaires. Chaque axe contribue à verrouiller un peu plus les autres. Il y a d’abord l’axe principal de l’interdiction absolue de la langue régionale. Il ordonne les deux autres. La mise au point de la méthode directe ou naturelle est le deuxième axe. Il fallait que le français adopte les caractéristiques d’apprentissage d’une langue maternelle, qu’il se charge pour les enfants de qualités intuitives puisées dans la relation maternelle afin que la substitution soit la plus naturelle possible. Le troisième axe est la pratique du signal du «patois», chargé de faire respecter l’interdit premier. À ma connaissance, on n’a pas à ce jour identifié l’auteur de cette pratique qui s’est diffusée dans toutes les régions de France et même dans certaines colonies françaises. L’espace où elle se déroule est celui de la cour d’école et parfois de la classe, le temps est celui des récréations, les inter-cours, du début jusqu’à la fin de la journée. L’objectif affiché est d’identifier l’enfant qui brave l’interdit en parlant «patois» afin qu’il soit puni. La méthode est la circulation d’un objet appelé «signal» ou «symbole», habituellement un objet «neutre», quelconque (pierre, morceau de bâton, pièce de monnaie, etc.) jusqu’à ce que le dernier détenteur soit pris et effectue la punition. Cette dernière peut consister à écrire des lignes ayant pour sujet d’abaisser la langue régionale par rapport au français, mais peut aussi se transformer en épreuves physiques plus ou moins dures. Je pense que la valeur pernicieuse de cette pratique ne réside pas tant dans le châtiment qu’en amont de celui-ci, dans l’acte même de délation: préférer que l’autre ainsi dénoncé soit punit à la place de soi. Et l ’autre est un proche, un membre du groupe de copains... Avec la question linguistique, l’enjeu est donc relationnel et affectif. La délation coupe les liens affectifs et dissocie le groupe. La visée est donc, à mon avis, plus groupale qu’individuelle: produire une pratique divisante à l’intérieur d’un groupe de semblables dans lequel s’effectuent des phénomènes d’identification importants à cet âge. Comment le jeune délateur pourra t'-il se reconnaître dans la bande de ses camarades de son village, ne bascule-t-il pas du côté de l’enfant conforme aux prescriptions requises par l’école? Et, dans ce passage au conformisme républicain, il va être amené à renier tout ce qui a trait à ses conditions d’origines, langue et terre natale. La pratique du signal participe à une dislocation des liens communautaires au sein d’une collectivité. Cette dilution des liens sociaux fait non seulement le lit des troubles morbides mais génère chez l’individu une perte de l’estime de soi, une dévalorisation sur laquelle s’appuie le sentiment de honte.» «l’enfant ne peut ni être dans une relation affective avec ses camarades ni même avec ses parents car ceux-ci ont bien souvent validé et légitimé les moyens autoritaires employés pour que leur enfant apprenne le français. Deux principaux paradoxes résultent de la pratique du signal: 1) l’enfant ne peut exister dans la relation à l’autre que s’il n’existe pas linguistiquement (et donc affectivement), 2) la langue maternelle étant la langue de l’affect, le parent l’emploie inconsciemment pour blâmer, l’enfant de l’avoir parlée, et de s’être fait prendre. La langue maternelle énonçant elle-même l’interdit de son usage fait naître une situation paradoxale et ne peut que produire de la confusion chez l’enfant. Nous l’avons vu, les conditions de la honte sont alors réunies avec une atteinte de tous les liens, la viabilité relationnelle et psychique du sujet est fortement compromise.» «Or nous savons que tout traumatisme peut engendrer des pathologies à court ou moyen terme, certaines sont même parfois d’apparition très tardive par rapport aux évènements déclencheurs. Les connaissances actuelles sur l’état de stress post-traumatique montrent qu’une pathologie est susceptible de survenir chez le sujet exposé plus de trente ans après la survenue du facteur traumatisant. Cette période de silence est appelée «temps de latence» et, avec un certain humour, «période de méditation, d’incubation ou de rumination»(Barrois, 1998, p 24). Ce temps de calme apparent est variable d’un sujet à l’autre et il est probable que ce phénomène se retrouve aussi sur le plan collectif, c'est-à-dire que l’état de stress post-traumatique peut concerner un groupe, une communauté et s’étendre par répercussion sur plusieurs générations.»

Kristen
Vendredi 22 novembre 2024
@ Tugdual Kalvez
Excellente réflexion. Que les juristes se saisissent de ceci. Gant ma vo tud...
@ Cosquer P
Votre commentaire apporte une excellente contribution à cet article.
A nous de les «copier-coller» au maximum de nos contacts pour les faire connaître.
A wir galon.

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