Manifestation à Rostrenen hier : la Bretagne divisée
La journaliste de Radio Kreiz Breizh, Morgan Large, qui enquête sur le lobby agroalimentaire en Bretagne, est la cible d'intimidations depuis des années. Une manifestation de soutien a été organisée à Rostrenen, dans les Côtes d’Armor, ce mardi 6 avril. Elle a rassemblé entre 500 et 1000 personnes selon les sources. A noter que AFP était là, alors que l’Agence France Presse était absente de la manifestation de Quimper pour l’enseignement des langues régionales qui avait rassemblé 5 à 6 fois plus de monde et de nombreux élus le 13 mars dernier.
La manifestation était organisée par le collectif de journalistes bretons Kelaouiñ. Ce collectif dénonce les nombreuses menaces dont Morgan Large est l’objet depuis plusieurs années.
Morgan Large est née en 1971 dans une famille de paysans bretons du centre Bretagne. Après avoir suivi une formation agricole, elle a rejoint Radio Kreiz Breizh, une station de radio bretonne bilingue créée en 1983 en centre Bretagne. Elle anime l’émission La petite lanterne et réalise des reportages pour Radio Kreiz Breizh et parfois France Inter.
Une émission de France 5 controversée Le Monde en Face : Bretagne, une terre sacrifiée sur les abus de l’agro-business l’a fait connaître au reste de la France. Le documentaire présentait la Bretagne comme la première région agro-alimentaire d’Europe avec plus de 1,5 million d’hectares de terres soumis à l’agriculture intensive. Elle présentait aussi le revers de la médaille : algues vertes, maladies professionnelles, rejets toxiques, épidémies mortelles chez les animaux et détérioration de la condition animale des élevages.
Les attaques dont Morgan Large est la victime auraient commencé après la diffusion d'une émission de France Culture dans laquelle Morgan Large avait suggéré une collusion entre les intérêts des industriels et agriculteurs locaux, d'une part, et leurs positions d’élus d'autre part.
En décembre 2020, après la diffusion sur France 5 du documentaire intitulé Bretagne, une terre sacrifiée (replay suspendu), la branche bretonne de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) a qualifié le documentaire de « fiction » et mis la photo de Morgan Large sur son compte Twitter. Selon Morgan Large, cette démarche l’aurait désignée comme cible.
Le 13 décembre 2020, les portes des studios de Radio Kreiz Breizh à Saint-Nicodème (Côtes d'Armor) ainsi que leurs futurs locaux à Rostrenen ont été forcés.
Le 31 mars 2021, Morgan Large, qui s’apprêtait à prendre le volant de sa voiture, découvre que des boulons d’une de ses roues arrière ont été ôtés, mettant ainsi sa vie et celle de sa fille en danger.
Bien sûr rien ne prouve que les boulons ont été enlevés par des fervents défenseurs de l’agro-business breton, mais l’ensemble des intimidations depuis 2018 dont est victime cette journaliste reste une menace pour le journalisme et la liberté d’informer. Même chose au sujet de l’association L214. Ces citoyens-reporters s’infiltrent de nuit subrepticement en Bretagne dans des élevages de porcs. C’est illégal mais nous avons tous le droit fondamental de savoir ce qui s’y passe. D’ailleurs France Télévisions utilise régulièrement des caméras cachées.
L’information est un bien commun, au même titre que les paysages, les rivières, l’air, la langue bretonne, la culture, les truites sauvages, les hirondelles qui sont arrivées ces jours-ci...__Morgan Large à Rostrenen
Récemment Inès Léraud, auteure de la BD-enquête Algues vertes, l'histoire interdite aux éditions Delcourt, a aussi été victime d’intimidations. Elle est d’ailleurs à l'origine de la création d'une ONG Splann ! qui va aider les journalistes à faire des reportages conséquents.
La Bretagne n’est plus vraiment divisée entre gauche et droite mais elle est devenue un épicentre d’un autre conflit. Le conflit entre l’agro-business (et l’industrie en général) et les écologistes. Ce conflit bien sûr dépasse le cadre de la Bretagne. Il oppose deux visions du monde, celle qui place la nécessité de créer des entreprises locales qui doivent être compétitives pour survivre et garder des emplois locaux afin d’éviter le départ de nos enfants vers les lieux de travail en région parisienne ou ailleurs. Elle a pour slogan « Vivre, travailler et décider au pays ». Et en face, ceux qui se battent pour préserver l’environnement, la biodiversité, le climat, les paysages, les rivières, l’air pur, le littoral, la mer et les plages. Les prochaines élections régionales mettront au pouvoir ceux qui sauront fusionner ces deux nécessités ou tout simplement le camp qui sera majoritaire.
■