51%, majorité absolue des voix et des sièges pour les indépendantistes
Le peuple catalan plus déterminé que jamais
En accordant 51% des suffrages aux partis indépendantistes catalans, pour la première fois depuis que les élections à la Generalitat existent, malgré l’emprisonnement et la répression judiciaire sans précédent en Europe à l’encontre de dirigeants politiques démocratiques, malgré un isolement européen et international obtenu par « l’union sacrée » des forces politiques espagnoles, gouvernementales et d’opposition, malgré une crise économique et sanitaire particulièrement sévère, malgré les conflits internes entre forces indépendantistes, les électeurs catalans ont augmenté leur soutien au projet indépendantiste de 3,5% depuis 2017, et leur vote a franchi la barre hautement politique de 50% des suffrages.
Les indépendantistes retrouvent de la sorte une majorité absolue encore plus forte au Parlement catalan, et ils sont assurés de pouvoir gouverner à nouveau les institutions de la Generalitat.
Le gouvernement sortant associait Junts, le parti de Carles Puigdemont exilé en Belgique, et ERC, le parti d’Oriol Junqueras emprisonné en Espagne. Contrairement à 2017, ERC a cette fois devancé Junts et compte un siège de plus (33 sièges contre 32). Père Aragones devrait donc conduire la coalition. Avec 65 voix sur une majorité absolue de 68 voix, cette coalition pourra compter sur le soutien sans participation de la troisième force indépendantiste représentée à la Generalitat, la CUP, comme cela était le cas lors de la précédente mandature.
Mais Oriol Junqueras a souhaité une majorité plus large associant toutes les forces favorables à l’autodétermination, y compris CUP, et qui pourrait éventuellement inclure la formation catalane En Comu proche de Podemos, qui s’est toujours prononcée pour le droit à l’autodétermination sans être indépendantiste. Un cycle de négociation va donc s’ouvrir, et un nouveau gouvernement indépendantiste s’installer d’ici quelques semaines à la tête des institutions de la Catalogne.
La première question à l’ordre du jour sera celle de l’amnistie pour les prisonniers politiques, ou, à tout le moins, leur rapide libération. Actuellement en régime pénitentiaire de niveau 3, qui correspond à une sorte de semi-liberté, Oriol Junqueras a pu participer à la campagne de ERC. Mais la décision favorable de l’administration pénitentiaire a été déférée devant la Cour Suprême pour être rapidement annulée. Ce premier dossier permettra d’évaluer la situation politique nouvelle à travers l’attitude du gouvernement Sanchez.
Autre dossier politiquement sensible dont le déroulement sera influencé par ce score : la procédure de levée de l’immunité parlementaire des trois députés européens de Junts, Carles Puigdemont, Toni Comìn et Clara Ponsatì devant le Parlement Européen. Ce débat aussi prend désormais une tournure nouvelle.
A court terme, ce score historique va aussi précipiter l’ouverture de la « table de négociation » que ERC a déjà mis dans la balance en permettant au Premier Ministre espagnol, Pedro Sanchez, d’avoir une majorité aux Cortes, le Parlement espagnol à Madrid.
Contre les espoirs ouvertement affichés par l’Etat espagnol et ses soutiens internationaux, à commencer par la France et sa presse de plus en plus anti-catalane, le dossier de l’indépendance de la Catalogne vient d’être relancé par la détermination qu’a montré le peuple catalan en ce 14 février 2021.
Ce communiqué est paru sur Le blog de François Alfonsi
■Tiern e peb Amzer
Selon moi, les «nationalismes périphériques» de la péninsule ibérique sont en réalité en déclin.
En effet, on observe une reconfiguration du jeu politique espagnol, vers un schéma plus proche des autres pays européens, où les métropoles profitant de la mondialisation dominent un monde post-chrétien, post-national et post-moderne. Le nouvel alignement est alors le suivant :
- D'un côté, les anciens bastions socialistes mais pauvres, comme l'Andalousie, sont pris par la droite populaire. Comme en France, le Nord désindustrialisé, ou le Nord-Ouest de l'Angleterre.
- D'un autre côté, les métropoles autrefois polarisées, s'affirment presque toutes progressistes-libérales-écolos, et finissent par entraîner leur région. Ainsi Paris, Berlin, Londres, et même les villes moyennes.
Ainsi dans la Catalogne dominée par Barcelone, il y a 51% de votes indépendantistes, mais... 58% de votes à gauche ! Et la domination du progressisme est encore plus frappante en voyant le reste : Junts (20%) s'est débarrassée de son aile droite, et se définit comme progressiste ; le PDeCAt a fait 2% (0 sièges) ; et parmi les castillanistes, on trouve, Ciudadanos, des libéraux agnostiques ; Vox, extrême-droite pour rire conduite par un métis ; reste le vieux PP, réduit à moins de 4% (3 sièges).
Donc l'idéologie dominante c'est le progressisme, pas le catalanisme. Signe des temps, la presse et la classe politique jette même en pature le vieux Pujol, qui a dirigé la Catalogne pendant 23 ans (1980-2003) avec la droite catalane (CiU), sous prétexte qu'il avait un compte offshore.
Que va devenir l'autonomisme dans ces conditions ? Dans l'ancien schéma, c'était simple, il s'agissait de défendre un 'demos' minoritaire, le demos catalan, écossais, etc. face à la prédation centraliste. Mais à l'ère de la gouvernance globale, ça se réduit à ceci : défendre le 'demos' minoritaire en tant qu'il est un meilleur relais des dogmes postmodernes : voyez à quel point notre peuple est plus écolo, progressiste, etc. On convoite les faveurs de la finance globale, dans la lutte contre la capitale. Quitte à y perdre son âme.
Un bémol sur un point dans l'immédiat tout de même : «Avec un pacte avec ERC tant au niveau catalan qu'espagnol, ils font une pierre trois coups : ils liquident la question indépendantiste, en échange de quoi ils assoient leur pouvoir en Espagne et reviennent au pouvoir en Catalogne après 10 ans dans l'opposition.»
Quel est l'intérêt pour ERC du coup ? Je suppose qu'une alliance ne pourrait se faire sans avancées concrètes pour la Catalogne (renforcement de l'autonomie, référendum etc).
@Killian : l'ERC s'était déjà alliée au PSC et aux 'écosocialistes' de 2003 à 2010, quand ils avaient à eux trois la majorité. La situation se représente de nouveau. Il faut croire que c'est leur logiciel. Pujol n'avait jamais gouverné avec l'ERC.
Je le sais bien mais, justement, cette alliance avait conduit à un nouveau statut accordé à la Catalogne, avec une autonomie financière complète notamment qui a été ensuite été contestée par les juges (proches des conservateurs bien souvent). Comme vous le savez, c'est cela qui a mis le feu aux poudres et fait grimper en flèche l'idée de référendum sur l'indépendance.