La France n’a pas le monopole de la défense des droits humains, même s’il lui plaît d’enfourcher cette monture lorsque les conditions sont réunies. Pourquoi nous montrerions-nous plus exigeants envers elle ? Au nom de quoi ne songerait-elle pas avant tout à ses intérêts bien compris, comme les autres Etats nations ? L’ogre économique et militaire chinois n’est pas de ceux que l’on affronte la fleur au fusil. D’ailleurs, Les Ouigours stérilisés dans leur camp d’internement ont compris. Ils n’attendent plus rien de l’Etat français, sinon le silence.
Pourquoi exiger qu’il en soit différemment pour ce qui concerne Hong Kong ?
Qu’est-ce que ça peut faire que l’étau chinois se resserre sur la démocratie là-bas ?
Les bonnes raisons justifiant le silence ne manquent pas.
La période est difficile pour tous et mérite bien l’autorité.
Ce n’est pas ça qui changera la nature antidémocratique du régime chinois ni ses énormes potentialités économiques dont il est préférable de profiter plutôt que d’encourir les représailles. Un épiphénomène de plus dans la longue vie des Etats nations. Après tout, ne sont-ils pas un peu tous quelque part… un peu chinois ?
Bien sûr qu’il eût été possible de dire les mots et d’adopter des mesures fortes de rétorsion économiques contre l’Etat chinois. L’économie en a vu d’autres.
Ce qui me gêne le plus, c’est que nous avons perdu l’amour de la liberté.
Souvent je pense à la maxime de Tocqueville. « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle-même est fait pour servir ». La liberté doit être aimée pour elle-même, ici comme partout ailleurs. Sinon, c’est que nous entamons cette lente glissade vers la tyrannie, d’un seul ou d’un groupe. Et c’est la tendance forte à laquelle nous assistons partout.
La liberté pour elle-même ne doit jamais disparaître derrière les bénéfices qu’elle procure et encore moins derrière les risques qu’il convient d’encourir pour la préserver, y compris chez les autres
La liberté est un sentiment que la France ne recherche plus. La France régresse sur ce terrain comme ailleurs.
Le Conseil d’Etat s’efforce de maintenir des libertés que les élus sacrifient avec aisance, comme la liberté de manifester. Le gouvernement s’efforce de limiter la liberté d’expression sur le net.
Nous savons bien que le concept de patrie des droits de l’homme ne veut rien dire. Il s’agit même d’une hérésie. Si les droits appartiennent à la patrie, elle est libre de faire ce qu’elle en veut, et c’est bien ce qu’elle fait de nos langues patrimonialisées, promises à la disparition.
Mais il régnait en France cet amour de la liberté, la défense des opprimés, cette passion pour la liberté d’expression
Sans ce charme, et cette saveur, la France ne veut plus dire grand-chose.
Yvon Ollivier
auteur
■J'ai lu ton texte avec intérêt. Sans t'offenser, permets moi quelques petites précisions. La France n'est pas le pays - ou la patrie, quoique ce terme me hérisse particulièrement les poils - des droits de l'homme, mais plutôt le pays de la déclaration des droits de l'homme, là où ce texte fondateur a été écrit et promulgué. Ce n'est pas vraiment la même chose, à mes yeux, quand on voit ce que la France en a fait par la suite, de ces grands «idéaux». Et les deux dernières phrase de ton propos m'ont laissé plutôt perplexe, venant de toi dont, sans flagornerie aucune, j'apprécie les textes et les réflexions. Je cite : «mais il régnait en France cet amour de la liberté, de la défense des opprimés, cette passion pour la liberté d'expression. Sans ce charme, et cette saveur, la France ne veut plus dire grand chose.» Amour de la liberté, vraiment, quand les colonnes infernales massacraient les Vendéens et les Bretons au motif qu'ils étaient réfractaires aux «bienfaits» supposés de la «république» naissante? Ou quand, au début du vingtième siècle, les congrégations religieuses étaient pourchassées et expulsées, pour satisfaire les visées laïcardes du petit père Combes? Défense des opprimés, quand la la révolution industrielle envoyait sans le moindre scrupule des gosses de 8 ans se détruire les poumons au fond des mines du Nord? Passion par la liberté d'expression, dis tu, quand le système républicain d'éducation, fondé par le grand colonialiste Ferry, a passé le plus clair de son temps à piétiner les langues régionales? Et elle a tapé fort, la France, dans ce domaine, car il faut y aller pour arriver à enlever de la bouche d'un enfant la la langue de sa mère... Mais tu as raison sur un point, quand tu dis que «la France ne veut plus dire grand-chose». Car elle n'a jamais dit grand chose, en vérité.
Amicalement,
Michel Le Tallec