En parfait contrepoint avec une apparente désuétude ou un iconique traditionalisme figé dans ses règles et ses rigides certitudes, voici, à contrario, un disque qui s’inscrit dans une approche artistique novatrice propice à pérenniser les racines bretonnes dans un contemporain plus actuel.
Point n’est besoin d’utiliser de façon, finalement, assez conformiste, le flow d’une voix qui râpe ou les hyper basses d’un électro qui percute en boucle pour, nécessairement, installer dans le présent, d’anciennes structures mélodiques à danser supportant des textes du XIXème siècle.
C’est, entre autres, ce que semblent s’être donné pour objectif Mélanie Chauvel et Wenceslas Hervieux qui nous proposent, leur premier album à danser « piano-voix », titré « Dis-moi oui ou dis-moi non ».
Loin des sonorités celtiques référentes habituelles, dépourvu de toute intervention à la bombarde, biniou kozh ou cornemuse, voire accordéon diatonique, guitare accordée en DAGDAD ou harpe celtique, un simple « piano-voix » pour interpréter des mélodies bretonnes, bien que déjà abordé par quelques artistes de renom, est, déjà, une gageure, mais une voix féminine, chantant, de surcroît, en français, sur les notes d’un piano « jazzant » la partition pour créer de la musique à danser, par ailleurs, rigoureusement praticable en fest-noz, là, c’est très fort et ambitieux !
C’est pourtant ce que nous présente, avec grande réussite, « Chauvel Hervieux, le couple », brillant duo, dans le dossier de presse, ainsi, dénommé, eu égard à sa double acception conjugale et musicale.
Mélanie et Wenceslas ne sont, en effet, pas unis que sur la scène ou en studio, mais, aussi, dans la vie. Quant au vocable « couple », il suggère, autant, le couple de musiciens bretons, biniou-bombarde qui, traditionnellement, fait danser.
Quoi de plus légitime que d’insuffler, par cette appellation, l’évocation de cette image structurelle pour ces deux présents incitateurs à la danse, rompus, depuis longtemps, à l’exercice.
Dès son adolescence, Mélanie chante, en fest-noz, notamment, avec sa sœur (Les soeurs Chauvel ) et les Guernettes.
De son côté, Wenceslas, devenu accordéoniste, pianiste, organiste et chanteur, avait pris, très tôt, conscience de la culture populaire, lors de sa première venue au festival des Maîtres Sonneurs de Saint-Chartier où Il accompagnait son oncle, Gilbert Hervieux, qui y tenait son stand de fabrication de biniou et de bombardes.
A l’âge de vingt ans, Mélanie et Wenceslas ont collecté, chacun de leur côté. Mélanie, accompagnée de Charles Quimbert, dans un premier temps, dans la région du Sel-de-Bretagne, en Ille-et-Vilaine, Wenceslas, initié par Gilbert Hervieux, dans son secteur morbihannais du Vincentais.
Il y a une vingtaine d'années, ils créent, alors, le Duo Chauvel-Hervieux avec Mélanie, au chant et Wenceslas à l’accordéon.
Dans cette configuration vocalo-instrumentale, le couple a été primé à Monterfil et à la Bogue d’Or.
Puis, en 2015, c’est en formule à danser, voix et piano, que Mélanie et Wenceslas ont fait leur première scène, dans le cadre d'un fest-noz donné au Festival Fisel costarmoricain de Rostrenen.
Au travers des 13 plages constituant « Dis-moi oui ou dis-moi non », respectivement, collectées par les deux artistes, nous retrouvons, tout naturellement, Mélanie Chauvel, au chant et Wenceslas Hervieux, au Piano, ainsi qu’aux arrangements et compositions.
Dans un univers inédit à écouter et/ou à danser, teinté de boogie woogie, parfois de transe, de classique ou d’un délicieux style bastringue, vous êtes, partagé entre le désir de vous lever pour marquer le pas et celui d’écouter, attentivement, la très chantante tessiture de Mélanie et la vélocité instrumentale de Wenceslas.
Avec « Dis-moi oui ou dis-moi non »., vous assistez, en fait, dans une ambiance, parfois, quasi-cabaret, à un véritable concert à danser, ce qui, à notre humble avis, doit se constater, également, in situ, du fait de la qualité vocale et musicale, qui, au-delà d’une solide et fiable rythmique nécessaire à la danse, laisse filtrer le charme de très belles mélodies et d’acrobatiques développements ornementaux.
Côté textes, le programme est constitué de thèmes inédits du XIXème siècle, collectés à Redon et dans ses environs ainsi que dans les villes de Nantes et Rennes, voire, pour partie, inventés, spécifiquement, pour l’album.
Wenceslas a modifié, très sensiblement, certains thèmes et, en tant que lecteur de partitions, quelques musiques déchiffrées, notamment, sur les recueils représentant un catalogue de 150 titres que lui a apportés le collecteur en pays de Redon, Albert Poulain, ceci, juste avant sa disparition.
A noter que, collectés, en Pays de Redon, auprès de Claude Le Coz, par Mélanie et Wenceslas, certains thèmes originaux n’avaient, à leur origine, pas la vocation de faire danser.
C’est Wenceslas qui les a « tournés » en airs à danser, constante de toutes les plages enregistrées, puisque proposant, ridée 6 temps, hanter dro, tour, suite de Loudéac, pilé, polka, rond de Saint-Vincent et une magnifique mazurka, celle du « petit cordonnier ».
C’est une mélodie qu’Anna Desilles, la grande tante de Mélanie, chantait et que Wenceslas a modifiée pour créer les trois temps très rythmés de cette danse traditionnelle originaire de Pologne.
Après une introduction originelle, chantée par Anna, dite « Nana » par Mélanie, la cristalline voix de cette dernière virevolte agilement sur les allègres notes où les temps plus profonds de l’excellent pianiste.
Le texte est un croustillant clin d’œil :
« J’avais chez moi un pt’it appartement
Très bien situé sur le devant
Ce qui lui manque c’est une clef
Ce qui lui manque c’est une clef »
…/…
« Vous jeunes filles qui êtes à marier
Faites le choix d’un petit serrurier
Il s’y prendra si adroitement,
Qu’avec le bout de son instrument ».
Il ouvrira, youpla, youplala
Youplala, ouvrira vot’serrure ».
En plage 11, après, dans un style d’« exposé classique », un fort joli délié de piano, les plus anciens de nos visiteurs reconnaîtront, déjà par les paroles, inspiré du folklore juif ashkénaze (Laï, laï, laï), ce tube des années 50, signé d’Emil STERN, Eddie BARCLAY et Eddy MARNAY, créé par l’amie de Francis LEMARQUE, la chanteuse, Renée LEBAS et repris par André CLAVEAU, PATACHOU, puis par Line RENAUD et DALIDA.
« Tire, tire, tire l'aiguille ma fille
Demain, demain tu te maries mon amie
Tire, tire, tire, l'aiguille ma fille
Ta robe doit être finie.
Sous tes doigts naissent des fleurs
Faites de paillettes de diamants
Le diadème d'orangers porte-Bonheur
Est entre les mains de ta Maman.
Laï, laï, laï,
Laï, laï, laï
Tire, tire l'aguille ma fille
Laï, laï, laï
Laï, laï, laï
Tire, tire l'aguille ma fille »
…/…
Wenceslas en concocte, ici, une scottish, sous le titre de « Scottish… de l’aiguille » où, une nouvelle fois, la voix de Mélanie se révèle claire et alerte !
Vous le constaterez, plusieurs textes interprétés sont connus et reconnus de vous, parfois, portés par des mélodies quelque peu différentes ou connaissant d’autres développements musicaux.
Pour exemple, les paroles de ces deux vieilles chansons du pays nantais :
« C’est un p’tit cordonnier,
Lundi, mardi, jour de mai…».
Devenue « Ridée du petit cordonnier » (Ridée 6 temps).
Ou, en plage 10 :
« Dans les prisons de Nantes
L’y a un prisonnier.
Personne ne va le voir
Que la fille du geôlier »
…/…
La légère modification de quelques notes et mots nous livre une version éloignée du « standard » largement connu, mais, ici, la chanson apparaît dans sa forme originelle, celle de l’édition de 1902 (Imprimerie Librairie des écoles) rassemblant des « Vieilles chansons du pays nantais », dénichées par le prêtre, compositeur de musique religieuse, aussi collecteur et transcripteur de chansons traditionnelles, Albert Soreau.
A propos de ce titre, Wenceslas écrit, dans le livret joint au CD.
« C’est dans le recueil des Vieilles Chansons du Pays Nantais qu’on a trouvé cette chanson. Là, aussi, on a modifié quelques notes et quelques paroles ».
L’arrangement créé par le pianiste en fait un pilé menu, sous le tire « Pilé du prisonnier de Nantes ».
Puisque nous évoquons, taches d’encre et ratures semblent nous le prouver, les authentiques notes manuscrites de Mélanie et Wenceslas qui accompagnent l’intégralité des textes imprimés, il est temps de vous parler de ce livret qui vous en dira plus que nos propos sur les origines et les histoires narrées dans les morceaux choisis.
Celui-ci apparaît comme un vieux recueil de 12 pages, étiqueté à l’ancienne, quelque peu de travers, s’ouvrant sur des feuillets jaunis où la première lettre de chaque titre est, sobrement, enluminée.
Le graphisme, volontairement suranné, accentue l’aspect « racines patrimoniales » du programme.
Un verso d’antique carte postale avec une correspondance de Wenceslas invitant Mélanie à chanter ce programme à danser, ouvre, en couverture interne, ce pédagogique document.
Sur un identique support postal de correspondance, mais cette fois en dernière page du livret, enjouée, Mélanie répond à Wenceslas en lui faisant part de son ravissement et en sollicitant l’accordéoniste de jouer, cette fois, du piano.
«J’aime tellement vous entendre jouer du piano ! J’aime la rondeur du son de cet instrument ».
Cet échange épistolaire, semblant être tracé à la plume Sergent Major, outre son aspect charmant et intime, conforme au duo, au couple, au-delà de cette interrogation « Dis-moi oui ou dis-moi non » reprise, en plage 4, dans « La petite alouette grise », nous éclaire, aussi, sur le sens du titre donné à l’album.
Pour l’élaboration de cet opus en « voix et piano », pour notre plus grand bonheur, ils se sont dits… oui !
Le disque est inséré dans une simple jaquette cartonnée à deux pans, toutefois, très élégante grâce, en façade, à la photo, en noir et blanc, « très années 50 », du couple et, dans le même chromatisme, aux deux portraits internes très expressifs et comiques des deux protagonistes, clichés signés par Tudal Hervieux.
La prise de son a été réalisée à Saint Vincent sur Oust (Morbihan), en décembre 2018 et à AudioSeed Recording d’Ercé en Lamée (Ille et Vilaine), en mars 2019 où il a été, également, mixé avant d’être masterisé au studio Definitive Mastering de Betton (Ille et Vilaine) (Voir site)
Toutes ces capitales étapes techniques ont été très soigneusement, réalisés par Fred Woff.
Au dos du livret sus décrit, une note de cet ingénieur du son nous précise que les artistes et lui-même ont voulu transporter la dynamique sonore d’origine, le plus fidèlement, possible. Fred Woff nous invite à ne pas hésiter à pousser le son de notre installation sonore pour, pleinement, profiter de la plage dynamique.
Nous avons suivi ses conseils avisés et, ainsi, la qualité sonore est venue s’additionner à la remarquable qualité artistique de cet opus.
J’espère que Fred Woff, Mélanie Chauvel et Wenceslas Hervieux ne nous en voudront pas d’avoir, sur cette page Internet, outrageusement compressé en mp3, quatre extraits de leur album.
Il faut bien présenter à nos internautes quelques mesures dans un format suffisamment calibré, compatible avec la fluidité du web de chacun de nos nombreux visiteurs.
Nous vous conseillons, vivement, ce CD original, osé, pleinement réussi qui élargit, encore, le spectre créatif découlant d’une musique bretonne enracinée portée, grâce à de vrais talents de musiciens, vers la modernité qui n’est pas forcément que d’opportuniste forme, mais de fond, ce qui est, ici, le cas…
Il s’agit d’un enregistrement atypique né de trois phases : collecte, imprégnation, créativité, permettant aux deux très talentueux et crédibles artistes d’adapter, arranger et transmettre, avec respect mais novation, la musique populaire de leur pays breton.
41 minutes durant lesquelles la danse reste reine, mais au travers d’une autre forme musicale et vocale !
Une nouvelle expérience à danser… et à écouter !
Un tendre et novateur fest-noz en « piano-voix », dans une ambiance, entre autre, jazzy, cabaret, il fallait le faire et « Chauvel Hervieux, le couple » l’a, magnifiquement, fait !
Gérard Simon
Illustration sonore de la page : Mélanie Chauvel et Wencenslas Hervieux - «Ridée du petit cordonnier» - Extrait de 01:01.
La page de Chauvel-Hervieux, le couple : (Voir site)
D'autres extraits sonores sur Culture et celtie, l'e-MAGazine : (Voir site)
Les titres du CD «Dis-moi oui ou dis-moi noni»
01. Ridée du petit cordonnier (Traditionnel / Wencenslas HERVIEUX) - 03:26.
02. Hanter Dro des lavandières (Traditionnel / Wencenslas HERVIEUX) - 05:14.
03. Tour bibilan (Traditionnel / Wencenslas HERVIEUX) - 03:31.
04. Suite de Loudéac
- Petite alouette grise (Traditionnel / Wencenslas HERVIEUX) - 03:00.
- Baleu des garçons trompeurs (Traditionnel / Wencenslas HERVIEUX) - 02:41.
- Je n'attendrai guère (Traditionnel / Wencenslas HERVIEUX) - 03:15.
- Berdawdaw (Traditionnel) - 01:34.
05. Le petit serrurier, par Anna DESILLES (Extrait) - 00:33.
06. Mazurka du petit serrurier (Traditionnel / Wencenslas HERVIEUX) - 03:29.
07. Pilé du prisonnier de Nantes (Traditionnel / Wencenslas HERVIEUX) - 04:38.
08. Scottish de l'aiguille (Traditionnel / Eddy MARNAY / Wencenslas HERVIEUX) - 03:10.
09. Polka du joli bas de laine (Traditionnel) - 03:39.
10. Rond de saint Vincent de sous les rideaux (Traditionnel / Wencenslas HERVIEUX) - 02:44.
Durée totale : 40:54.
CD «Dis-moi oui ou dis-moi non» - Mélanie Chauvel et Wencenslas Hervieux.
Parution : octobre 2019
Production : Tradi Wogie Prod. (Voir site)
Distribution : Coop Breizh (Voir site)
© Culture et Celtie
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