Dans le contexte du large éventail stylistique nourrissant et pérennisant la musique bretonne et celtique et que nous mettons en exergue, sur nos pages en ligne, par la rédaction de nombreuses chroniques, il nous manquait une pièce maitresse de cette vivante et identitaire expression artistique, celle du légendaire Trio E.D.F. !
En effet, nous n’avions, jusqu’alors, reçu, de cette formation de renom, d’autre part, astucieusement nommée, aucun « service de presse », concernant l’une de ses créations.
Ce sésame étant un préalable à toute mise en lumière rédactionnelle, au sein des colonnes numériques de Culture et celtie, l’e-MAGazine, faute de toute réception, nous étions, à notre grand regret, restés muets sur ces trois artistes de la « Breizh beat generation », pourtant pétris d’un réel et, ô combien, pérenne talent.
Grâce à l’initiative de leur attachée de presse, Soizick FONTENNEAU (Voir le site), nous sommes heureux, après écoute et réécoute attentives de leur nouveau disque, de palier à cette évidente carence.
E.D.F… Ce sigle, par ailleurs, autrement, largement et « publiquement » connu, est, ici, l’enseigne collective de trois musiciens bretons : Patrick EWEN, Gérard DELAHAYE et Melaine FAVENNEC.
Formé en 1999, ce trio propose de la chanson française folk, mais, aussi, de la chanson bretonne aux sonorités celtiques.
Le trio E.D.F. avait, jusqu’à ce jour, publié 5 albums notables, sous forme de deux trilogies : « Kan Tri » (2003), « Tri Men » (2007), « Kan Tri Men » (2011), pour ce premier triptyque musical, puis, pour la seconde série thématique : « Route 66 » (2014), « Route 29 » (2016), complétée, en ce mois de juin 2019, par ce dernier enregistrement trilingue, « En Route pour la gloire », que nous avons le plaisir de vous présenter.
« En Route pour la gloire », affublé de sa facétieuse dénomination, marque, peut-être, le dernier opus de ces trois malicieux compères de notes et de mots.
Le programme propose 13 morceaux d’un réalisme enjoué, parfois dénonciateurs, mais toujours poétiques.
Dans ce disque, nous retrouvons leurs habituelles influences musicales qui prennent racine dans la chanson française, la tradition bretonne et celtique, le folk américain mais, aussi, dans le blues et le rock.
Patrick EWEN est au chant, accordéon diatonique, harmonica et… au violon !
Gérard DELAHAYE est au chant, aux guitares, électrique et acoustique et… au violon !
Mélaine FAVENNEC, est au chant, guitare acoustique, cornemuse électronique et… au violon !
Tous trois sont violonistes… violoneux. Mais ils savent apporter à chacune de leur pièce, par leur remarquable pratique multi-instrumentiste, plus que de timides couleurs complémentaires, de bien rayonnantes teintes émanant des autres instruments qu’ils pratiquent avec une certaine maestria.
Ils chantent, principalement, en français, mais aussi, en breton et en anglais.
N’oublions pas que ce sont, avant tout, trois individualités qui mènent des carrières en solo, fondées, notamment, sur une riche expérience de la scène. Ils sont, chacun, rompus à chanter en leader ou comme choriste… et, croyez-nous, ça s’entend !
Non campés sur leurs respectifs et indiscutables talents, ces trois chanteurs et musiciens établis savent faire appel aux talents des autres, afin d’enrichir, encore, leurs substantielles créations.
Pour « En Route pour la gloire », Patrick, Gérard et Melaine ont invité :
- La grande Annie EBREL pour une participation anglophone inattendue.
- Le bassiste virtuose Cédrick ALEXANDRE qui intervient à la contrebasse et à la basse fretless.
Côté formations additionnelles,
- Le quatuor vocal BARBA LOUTIG, constitué de d’Enora de PARSCAU, Esla CORRE, Lina BELLARD et Loeiza BEAUVIR, qui apportent aération et féminité.
- Le PLOUN FIDDLE BAND et ses près de 40 violons, placés sous la direction de Dan ROSS.
Côté compositions et textes, c’est Melaine FAVENNEC et Gérard DELAHAYE qui œuvrent, dans les deux registres, pour concevoir des musiques alertes et séduisantes et ciseler des textes assortis de croustillants et justes mots.
Patrick EWEN, quant à lui, fournit au paysage musical embrassé dans ce CD, la touche irlandaise, en apportant un traditionnel, « The Blarney Stone », pittoresquement agrémenté de la souriante voix d’Annie EBREL et des violons du PLOUN FIDDLE BAND qui, tous, évoluent dans une ambiance de pub, par une légère réverbération sur les cordes, judicieusement, suggérée.
Après une enchanteresse mélodie « Jardin d’amour », dont vous découvriez un très court extrait dès l’affichage de notre page, où les paroles signées de Melaine content l’histoire d’un homme qui parle à sa barque comme à une femme, la priant de le ramener vers sa bien aimée, se fait entendre l’adaptation d’un long poème du trégorrrois, Yvon LE MEN, « La Ballade de la Montagne », avec un texte réduit et revisité, également, mis en musique par Gérard DELAHAYE, mélodie qui se mue en exotique « Ballade du Montenegro », une analogie poétique avec la montagne noire du massif armoricain.
« Et moi j'ai connu un roi, j’ai connu un prince
Qui n'a pas voulu être roi, a voulu rester prince.
Et moi qui vis près de la mer, au bout de la Bretagne
Il m'a fait aimer son pays de la noire montagne,
C' est le Monténégro, c’est Ie Monténégro ».
C’est assez pétillant, vocalement collectif, avec, en réponse au chant solo, les chœurs féminins et les frappes de mains du BARBA LOUTIG rythmant les vivaces ornementations des guitares acoustiques.
Puis, le traditionnel irlandais, plus-haut mentionné, fait place à une superbe ode à la mer nourricière, signée FAVENNEC. Sur un traditionnel écossais, avec la participation des chœurs BARBA LOUTIG et des chœurs et violons du PLOUN FIDDLE BAND, « La mer qui donne » sonne comme un chant de travail tel qu’il se pratiquait au nord de l’Ecosse ou dans les iles Hébrides. Cette chanson décrit les difficultés existentielles, mais aussi, la soudaine abondance qui peut découler d’une rude et spécifique situation géographique.
Sur le livret, Melaine précise :
« À la manière d'un chant de foulage tel qu'il se chantait au nord de l’Écosse, dans les iles Hébrides... Comme l’île est vraiment au large, parfois, ce n'est pas facile. Il y a tant de vent sur l'ile qu’aucun arbre n'y pousse. Il y a tant de jours sans argent que souvent, on ne mange pas.
Mais parfois après la tempête, c'est comme un miracle, il n'y a qu’à se baisser, je vous assure.
C'est vrai, il n'y a qu'à se baisser ».
C’est fort réussi et très pictural, particulièrement prenant, à notre regret, trop bref, cette 4ème plage étant la plus courte du programme proposé.
Suit une bien romantique valse du « Val de Vilaine », qui semble étendre la vision habituelle du trio, particulièrement tournée vers le Finistère, en envisageant, ici, d’autres horizons tout aussi mystérieux, entre Brocéliande et Combourg, entre bois et forêts…
Envoutantes spires celtiques…
« Je chevauchais dans le Val de Vilaine,
Bois et forêts, Brocéliande et Combourg.
Tu m'es apparue dans la brume et les chênes.
Coule, coule Vilaine,
Sur nos amours. »
En plage 6, surtout, ne manquez pas, un très inattendu, surprenant, « Dalloù er Baradoz », qui n’est autre que la reprise d’une pièce maitresse du répertoire d’Eric CLAPTON, « Tears in heaven ».
Les paroles originales signées de l’excellentissime guitar hero et rock-bluesman, légendaire leader de l’ex-Cream, à la carrière planétaire solo d’exception, ont été, minutieusement adaptées en breton, à la demande d’E.D.F., par Bernez TANGUI, poète en langue bretonne, également chanteur et peintre, créateur, avec Denez ABERNOT du groupe STORLOK, dans les années 1970, considéré comme le premier groupe de rock breton.
Etant un grand adepte d’Eric CLAPTON, de surcroit, plaçant cette chanson au zénith absolu de mes préférences et Dieu sait si elles sont très nombreuses à me ravir dans le répertoire de cet artiste britannique majeur, je ne vous cache pas que je redoutais, un peu, l’interprétation d’EWEN, FAVENNEC et DELAHAYE, comme je l’aurais appréhendé de tout autre artiste, aussi brillant soit-il ?
De fait, je dois vous avouer que j’ai trouvé cette adaptation très respectueuse de la version originale que j’ai entendue, pour ma part, au-delà de son enregistrement studio de 1992 (Album « Rush »), live et in situ, au Royal Albert Hall de Londres, le 26 mai 2013… Inoubliables instants !
L’arrangement pour 3 voix, signé de Gérard DELAHAYE, soutenu par le chœur du BARBA LOUTTIG est très valorisant, la ligne de contrebasse de Cedrik ALEXANDRE, est dans le ton qui convient au contexte dramatique du morceau.
Sur le livret, le trio précise :
« Cette célèbre ballade composée et chantée par Eric CLAPTON, nous a beaucoup, touchés. »
Et pour cause…
Si cette plage musicale échappe au contexte général du disque du trio, car, rappelons-le sujet, très intime de cette chanson est l’extrême douleur ressentie par Clapton après la mort de son fils Conor, âgé de quatre ans, tombé d'une fenêtre du 53e étage d'un appartement new yorkais, le 20 mars 1991, il faut aborder et accepter cette version comme un vibrant hommage au guitariste anglais.…
« Soñj 'p efe ouzhin
Ma 'n em welfemp 'r baradoz ?
Heñvel-mik 'vefe
Ma ‘n em welfemp 'r baradoz ?
Bez 'kreñv 'fell din
Mont war ma hent
Rak ne 'm eus tamm douar din
Er baradoz.
Dorn ha dom ganit
Ma 'n em welfemp ‘r baradoz ?
Chom em sav ganit
Ma 'n em welfemp 'r baradoz ?
War 'n hent bepred
Treuziñ deiz~noz
Rak, me oar, chom, n'hellan ket
Er baradoz »…
« Would you know my name
If I saw you in heaven ?
Would it be the same
If I saw you in heaven ?
I must be strong and carry on
Cause I know
I don't belong here
In heaven.
Would you hold my hand
If I saw you in heaven ?
Would you help me stand
If I saw you in heaven ?
I'll find my way
Through night and day
Cause I know I just can't stay here
In heaven »...
« Voulez-vous savoir mon nom
Si je te voyais au paradis ?
Serait-ce la même chose
Si je te voyais au paradis ?
Je dois être fort et continuer
Parce que je sais
Que je n'appartiens pas
Au paradis.
Veux-tu me tenir la main
Si je te voyais au paradis ?
Voulez-vous m'aider à rester
Si je te voyais au paradis ?
Je vais trouver mon chemin
A travers nuit et jour
Parce que je sais que je ne peux pas rester ici
Au paradis »...
Puis, retrouvant plus de légèreté, après « Roulez les années » qui traduit, pour le trio, ce bonheur de chanter sur les routes, « Le vieux pommier », faisant référence à Félix Leclerc qui disait : « Ce n’est pas parce que j’ai un vieux pommier que j’ai des vieilles pommes », le ravissant « Pluie d’été » qui corrobore l’adage stéréotypé : « L’été en Bretagne, il fait beau plusieurs fois par jour », le « Troadig KAMM », version bretonne du jeu de la marelle, gardez votre oreille attentive pour « La Civilisation ».
Il s’agit, alors, d’une charge pamphlétaire et en règle chantée et déclamée sur les méfaits de la civilisation/colonisation, envoyée sur une musique d’inspiration country.
« Nous avons quadrillé le continent de routes et de lignes,
Toujours plus loin, toujours plus vite, toujours plus haut.
Les trains, les camions, les 4x4, les motos et les avions de ligne,
Les Indiens pour nous regarder devaient se casser le dos.
Nous avons bâti des églises, des temples et des synagogues
Pour honorer notre dieu qui nous rend si forts,
Célébré les dix lois du décalogue,
Partagé le pain, partagé le vin, sur des millions de morts.
«Restez dans vos réserves, nous vous apporterons La Civilisation».»
Dans le prolongement des excès liés à la civilisation, introduite, puis soutenue par une ligne de guitare électrique, « Trop c’est trop » apparait comme la séquence écologique de l’album. Le refrain est scandé, comme on le ferait dans un cortège revendicatif.
« Ils ont bien cru nous enterrer,
Mais nous sommes des graines.
Des graines, tout autant que de l’eau
Que de l’eau des fontaines,
Des gouttes de pluie.
Et comme la coupe est pleine,
Et comme l’eau c’est la vie,
Alors on dit, aussi :
Non la terre n’est pas infinie…
Trop c’est trop ! »
En conclusion du disque, introduit par des applaudissements et des exclamations de foule, sur les motifs de l’emblématique « Memphis Tennessee », de Chuck Berry, mais dans un style, très festif, quelque peu cajun, ponctué des « wap dou wap » du BARBA LOUTIG, le trio entonne pas moins de 8 minutes 30 d’un texte fleuve consacré à un certain STEPHANE GRAPPLEURY… « Jeu de mots », aurait dit Jacques CAPELOVICI, dit Maître Capelo, grammairien et co-animateur de jeux télévisés comme le « Francophonissime » ou « Des chiffres et des lettres ».
Gérard DELAHAYE, préface, ainsi, ce dernier marathon de notes et de mots :
« Je vous parle d'un temps que les moins de vingt ans... En ce temps-là, depuis la base stratégique de PIeyber-Christ, une armada de camions tout décorés de treille et de feuilles de vigne arrosait le Finistère d'un nectar vermeil digne des divinités celtes, et qui titrait 12,5 degrés.
À cette époque naquit la légende de Stéphane Grapp?eury. »
Mettant en lumière la couleur vocale bien spécifique de trois fortes personnalités artistiques, qu’elles soient, musicales, vocales ou humaines, le jeu de trois compères, de trois complices, cet album se révélant comme un vivifiant et actuel voyage entre Bretagne, Écosse, Iles Hébrides et Irlande, doit, absolument, figurer dans votre discothèque.
Sa diversité musicale, mais sa cohérence, sert des textes de qualité qu’il est bon de savourer, le livret du CD, à la main.
Au travers de mélodies et de récits croustillants d’humour, d’acuité et de pertinence, ce programme est, indiscutablement, marqué, par l’esprit breton et celtique.
Un séduisant contenant, pour un substantiel contenu, une osmose aboutie entre le fond et la forme, fruit d’une expérience acquise depuis près de 50 ans !
Dites-nous, vite, Patrick, Gérard et Melaine que cet opus n’est pas, pour E.D.F., votre dernier !
Gérard SIMON
Illustration sonore de la page : CD «En route pour la gloire» de Patrick EWEN, Gérard DELAHAYE et Melaine FAVENNEC
«Jardin d'amour» (Extrait de 01:05).
Les sites Internet officiels de :
Patrick EWEN : Page Tamm-kreiz.bzh
Gérard DELAHAYE : (Voir le site)
Melaine FAVENNEC : (Voir le site)
D'autres extratis sonores sur Culture et celtie, l'e-MAGazine (Voir le site)
Les titres du CD de Patrick EWEN, Gérard DELAHAYE et Melaine FAVENNEC - «En route pour la gloire».
01 - Jardin d'amour - 03:03
02 - Ballade du Montenegro - 03:46
03 - Blarney stone (Avec Annie EBREL) - 02:48
04 - La mer qui donne - 02:41
05 - Val de Vilaine - 03:26
06 - Daelou er baradoz (Tears in heaven) - 04:08
07 - Roulez les années - 03:00
08 - Vieux pommier - 03:48
09 - Pluie d'été - 03:45
10 - Troadic kamm - 03:32
11 - La civilisation - 04:10
12 - Trop c'est trop - 02:52
13 - Stéphane Grappfleury - 08:30
Durée totale : 49:29
CD de Patrick EWEN, Gérard DELAHAYE et Melaine FAVENNEC - «En route pour la gloire».
Parution : 07/06/19.
Production : Dylie Productions (Voir le site) - Distribution COOP BREIZH : (Voir le site)
Référence : 4016314.
© Culture et Celtie
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