Trois raisons pour revenir aux anciennes provinces du royaume de France

Chronique publié le 31/01/19 13:36 dans Politique par Philippe Argouarch pour ABP
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Des territoires dont certains sont des entités distinctes depuis 2500 ans.

Bien sûr le nom même de province est contestable et contesté puisqu'il signifie en latin "le pays des vaincus". Il est toutefois à noter que si ces peuples initiaux ont été vaincus par les Romains à des moments et des endroits différents c'est qu'ils formaient déjà des identités et des territoires distincts. Revenir à ces régions est inévitable pour trois raisons de taille : ce sont des entités bien plus anciennes que les départements ; ce sont des territoires à forte identité et finalement ce sont les unités de base de la future république européenne.

Des territoires plus anciens que les États

Alors que les départements n'existent que depuis 230 ans, la pluspart des provinces de l'ancien régime ont plus de 1000 ans. Certaines même ont 2500 ans et remontent directement à une peuplade celtique arrivée au 5e siècle av. J.-C. comme la Saintonge-Aunis qui correspond au territoire qu'occupait la tribu gauloise des Santons, comme d'ailleurs le Poitou, ancien territoire des Pictons, ou l'Auvergne, ancien territoire des Arvernes. On peut faire remonter d'autres territoires à leur constitution en tant que royaume indépendant comme la Bretagne en 849 ou la Provence en 855, ou en duché comme la Normandie en 911 ou l'Orléanais, voire en comté comme Nice ou le comté de Foix. Beaucoup de ces territoires ont été indépendants à un moment ou à un autre de leur histoire. Certains ont appartenu à certains moments à différents états ou royaumes comme l'Alsace, la Lorraine, la Corse, la Savoie, l'Aquitaine, la Normandie ou le comté de Nice.

Des territoires à forte identité pour une économie forte

Il est maintenant reconnu par toutes sortes d'études au niveau international que les économies les plus dynamiques sont intrinsèquement liées à une identité forte. L’identité a fait son entrée dans l’analyse économique depuis une dizaine d’années. Des travaux pionniers tels que ceux d’Alesina, Baqir et Easterly (1999) ont ainsi mis en avant le rôle de l’identité ethnique dans la fourniture de biens publics aux Etats-Unis, et ont depuis été suivis par de nombreuses études. L' étude théorique majeure qui analyse les conséquences de l’introduction de l’identité dans le mode de raisonnement économique est une collaboration de plus de dix ans entre les économistes américains George Akerlof (prix Nobel en économie) et Rachel Kranton (PhD), résumée dans leur livre Identity Economics (2011). En Bretagne, le professeur d'économie Joseph Le Bihan a organise depuis 25 ans des conférences sur le sujet de la nécessité d'enraciner l'économie dans l'identité. Ces réflexions ont débouché sur la création de Produit en Bretagne.

En France, et en général en Europe, les identités les plus fortes se retrouvent dans les anciennes provinces. Même si elles sont souvent ancrées dans des parlers, composantes de ces identités, comme le breton et le gallo en Bretagne, le poitevin en Poitou, l'alemanique en Alsace, ces identités dépassent le plus souvent les aires linguistiques. D'ailleurs des régions comme la Provence , le Languedoc et l'Aquitaine partagent l'occitan. Le poids d'une histoire et d'une identité communes semble l'emporter sur les différences linguistiques bien que la langue reste dans certains cas une arme politique contre l'uniformisation et l'assimilation hep brezhoneg, Breizh ebet. disent les Bretons (sans le breton, pas de Bretagne).

L'identité de ces anciennes provinces est constituée non seulement de personnes partageant un héritage culturel, d'une faune et d'une flore, et de paysages spécifiques, mais aussi d'un savoir faire unique. On dit un "baudet du Poitou", une "vache normande", un boeuf limousin, une "choucroute alsacienne", une "salade niçoise", un "bleu d'Auvergne", du "boeuf bourguignon", une "carbonade flamande", une fondue savoyarde, ou un "homard breton" ou encore un "Épagneul breton" et non pas un "baudet des deux-sèvres", une "choucroute du bas-Rhin", un épagneul coastarmoricain ou un "homard finistérien" ! Il n'y a pas "de vin de la Marne" mais du "Champagne", pas de "Maine-et-Loire" mais des "vins d'Anjou" comme des "rosés de Provence" ou des "vins d'Alsace". A part une ou deux exceptions comme la Vendée, les départements ne sont ni des terroirs, ni des pays, encore moins des appellations contrôlées connues mondialement.

Le projet de diviser la France en départements commença avant la révolution. Il s'agissait au début de simplifier la fiscalité, mais la révolution reprit le concept et pensa par la même occasion faire table rase du passé et d'identités millénaires en quadrillant le territoire comme un jeu de dames. C'est un échec comme le sera le nouveau découpage régional arbitraire issu de la réforme territoriale de 2014.

Des territoires à l'échelle européenne

Comme l'affirment la politologue Ulrike Guérot (voir notre article) et le philosophe et politologue suisse Jean-François Billeter, la république européenne ne pourra se construire sur les états-nations trop peu désireux de partager leur pouvoir avec un gouvernement fédéral mais devra se construire à partir des régions, les anciennes divisions territoriales qui ont existé depuis la nuit des temps avant les États-nations. "le retour des régions en Europe est désormais irréversible" a déclaré Ulrike Guérot dans une tribune du Monde du 22/12/17. "L’Histoire politique de l’Europe butte sur l’idée de nations qui ne peuvent pas déléguer leur souveraineté car c'est dans leur essence d'être des États souverains" écrit Jean-François Billeter dans Demain l’Europe chez Allia éditions.

Ce qu'a parfaitement compris Ulrike Guérot c'est que construire une République européenne n'est pas plus difficile que de construire la République française en 1790 : une république où 90% des habitants ne parlaient pas le français ! Plus facile même, car il n'y aura, ni génocide vendéen, ni de Robespierre, ni de Bonaparte, juste la volonté des citoyens européens d'instaurer un droit européen universel et supra-national et une égalité devant ce droit. De Cervantes à Mozart, de Marco Polo à Jules Verne, de Copernic à Galilée, des mégalithes aux cathédrales, il s'agit d'abord d'assumer un héritage et une culture commune à tous les Européens. Ensuite, il s'agit d'entrevoir un futur commun dans un monde dominé par les États-Unis, la Fédération de Russie et la Chine.

Sans ce projet politique, l'Europe économique ne survivra pas. Pour créer une Europe politique, une république européenne confédérale, il faudra donc abandonner les États nationaux et helvétiser tout le continent. Les régions seront les cantons suisses avec les même droits. Ils seront représentés par un sénat comme les landers allemands ou les états américains.

Le seul fait que les états nationaux soient à l'origine de deux guerres mondiales ayant causé la mort de 40 millions de personnes uniquement sur ce continent est suffisant aux yeux de beaucoup, pour les discréditer à tout jamais.


Vos commentaires :
Mardi 7 mai 2024
@ Alain Vallée qui écrit «La disparition des Etats actuels ou futurs de l'UE est une dangereuse utopie» ben oui on disait aussi ça en 1788 et pourtant l'histoire a fait son chemin. Il ne s'agit pas d'empire mais de démocraties avec un vrai Sénat des «états-régions» avec deux sénateurs par territoire en plus d'un vrai parlement et aucune interférence avec les cultures et les langues.
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