Ce vendredi 11 janvier se tenait à Rennes, à l’Hôtel de Courcy, la 1re édition du Forum de la Différenciation Territoriale, organisée par la Chaire « Territoires et Mutations de l’action publique » (TMAP) de SciencesPo Rennes. À cette occasion, chercheurs, élus, praticiens de l’action publique et acteurs de la société civile ont pu réfléchir et imaginer ensemble les cadres d’action et les possibilités d’une France différenciée. Ce forum a été l’occasion, pour Loïg Chesnais-Girard, Président de la Région Bretagne, d’y développer sa vision de la régionalisation et de la différenciation.
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«Mesdames, Monsieur,
Après les très brillantes interventions que nous venons d’écouter, que vous dire de plus ?
En ces temps de morosité, je veux commencer par être positif et donc par me féliciter des avancées proposées par le Gouvernement sur cette question de la différenciation. M’en féliciter car nous venons de loin.
Je note que nous parlons tous de différenciation comme s’il s’agissait d’une évidence. Et en effet, le terme a été repris et consacré par le Président de la République dans d’importants discours ; il se trouve depuis placé au centre de tous nos débats ; il est au cœur des travaux conduits en vue de la réforme constitutionnelle. Et cela nous paraîtrait presque naturel. Pourtant, souvenons-nous en, l’irruption de ce terme dans le débat public n’est pas si ancienne. C’est lors des travaux préparatoires aux dernières réformes territoriales, lois Maptam et Notre, qu’il s’est progressivement invité puis imposé dans les échanges. Et, il faut le dire, la Bretagne n’y a pas été pour rien, le Conseil régional et Jean-Yves Le Drian en tête. Mais je veux aussi rendre hommage au travail effectué avec constance par Romain Pasquier.
De quoi s’agissait-il à l’époque ? De gagner un premier combat sémantique et théorique pour redéfinir le concept de décentralisation. Sortir des controverses techniques et administratives dans lesquelles elle s’était enlisée - dans laquelle on l’avait sciemment enlisée, devrais-je dire, sans verser dans le complotisme… Il s’agissait de revenir à de vraies questions politiques, à la hauteur des enjeux.
Je m’explique. Depuis l’élan majeur de 1982, qui fut, à l’époque, une vraie grande réforme politique marquant l’Histoire comme, en leur temps, les lois de 1901 ou de 1905, la décentralisation avait fini par s’embourber dans des débats subalternes et gestionnaires. En 1982, en une phrase, aussi limpide et simple que finement ciselée : « les collectivités s’administrent librement par des conseils élus. » on modifiait en profondeur les équilibres de notre République, on sortait d’un cycle millénaire de centralisme et de centralisation, on assumait donc une vraie réforme politique. Je note aussi, par incidence, que, dans l’héritage de Portalis et des grands législateurs de la IIIe république, nous n’avions pas perdu à l’époque les clés des lois fortes, courtes et efficaces : « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement… »
Depuis, il faut bien le dire, de projet politique, la décentralisation s’est muée en débat d’experts. Sans doute techniquement passionnants, mais quand même réservés à quelques spécialistes. Ainsi se produisait ce paradoxe, mais qui résonne aujourd’hui de manière particulière à nos oreilles, de discuter d’un sujet devant rapprocher la décision des citoyens, bien à l’abri des attentes et des expressions de ces mêmes citoyens, au nom desquels on revendiquait l’action. Qu’on ne s’étonne pas, dès lors, qu’un jour, ces derniers nous fassent part de leur mécontentement. (...)»
L'intégralité de l'intervention du Président de Région Chesnais-Girard est à retrouver en pièce jointe.
■«C’est d’ailleurs bien conscients de cette difficulté très concrète que nous avons abordé en Bretagne
nos derniers travaux sur la différenciation, animés par Jean Michel Le Boulanger.
Ils ont consisté à proposer des avancées modestes, ne demandant pas de bouleversements législatifs ou
règlementaires. Ces idées ont souvent porté sur des propositions d’évolution des modalités de
fonctionnement de l’État, d’une plus grande déconcentration, plus que sur de nouvelles étapes de
décentralisation. Il s’agissait, dans un contexte peu favorable, de proposer des avancées pragmatiques
et concrètes, assez indépendantes, il faut le dire, de la question constitutionnelle.
Ces propositions sont sur la table et on doit bien constater que, toutes modestes soient-elles, elles se heurtent encore à bien des objections de la part du niveau central.»
Certes le modèle républicain français existe et nous y sommes intégrés, mais, concernant ce qui est ici pudiquement nommé la «différenciation», c'est sans conteste également la lanterne rouge persistante par rapport aux pays comparables.
En effet, nul n'ignore plus aujourd'hui l'aveuglante réalité que nous offre le contexte démocratique occidental sur ces questions : Confédération helvétique, Espagne des Généralités, Allemagne fédérale, Belgique, Pays-Bas fédéralises. L'Italie s'y est mise elle aussi et même le Royaume Uni respecte l'existence de ses nationalités. Ajoutons outre-Atlantique le Québec et les provinces canadiennes, les Etats brésiliens, les USA qui formaient déjà un état fédéral le jour de leur indépendance, avec seulement 3 millions d'habitants à l'époque ...
L'Ecosse, et le Pays de Galles, la Catalogne ou l'Euskadi, la Bavière ou la Wallonie : voilà le niveau de dévolution auquel doit se trouver confrontée la problématique bretonne, bien loin du niveau retardataire et subalterne d'un gros département administratif sans grande initiative, tel un mineur sous tutelle, comme c'est le cas actuellement.
Même la Corse avec ses 300 000 habitants en remontrent à une Bretagne de 4,6 millions !
Elle est pourtant placée dans le même système que nous ...
Eh bien justement, voilà une raison de plus pour poser au CR la question qui me vient en premier après ces considérations périphériques : «La pusillanimité de vos demandes n'implique-t-elle pas déjà le caractère négligeable que celles-ci revêtent aux yeux du pouvoir sollicité ?».
Personnellement et nonobstant les efforts que vous pouvez faire par ailleurs sur des taches moins exposées, je crois qu'il faut examiner cette piste devenue indispensable.
On nous donne un os à ronger pendant quelques années (l'espoir fait vivre!!) tout en continuant de centraliser encore plus. Il n'y a pas de rapport de force en place. Les régions sont gérées par des élus des grands partis jacobins (PS, PC, RN, LFI, LREM etc.…) qui sont à la botte du pouvoir central aux mains de l'oligarchie française en grande partie parisienne et issue des grandes écoles de pouvoir ENA, Sciences Po, Polytechnique, Les Mines etc.…..
Je ne parle pas de suppression des départements mais d'un mandat unique sur les deux assemblées. Ceci est un préalable à un statut spécifique ou un droit à la «différenciation»