Pourquoi les Bretons ont perdu la Grande-Bretagne : la véritable raison

Chronique publié le 30/11/18 14:02 dans Histoire de Bretagne par Philippe Argouarch pour ABP
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Alex Kingston dans le rôle de Boudicca dans le film Boudicca. Chez les Celtes, avant l'invasion romaine, même les femmes portaient des armes.

De nombreuses raisons ont été avancées concernant la conquête de la Grande-Bretagne, à l'époque une province de l'empire romain appelée Brittania, par les Saxons, les Angles et les Jutes. On a avancé le départ des légions rappelées pour défendre la Gaule et aussi la peste jaune, aussi appelée "peste de Justinien", qui affecta tout particulièrement les ports, et les ports étaient aussi des places fortes verrous de la défense de l'île. Tous ces facteurs ne suffisent cependant pas à expliquer la chute d'une civilisation avancée devant des "barbares".

La vérité qui s'impose est que les Bretons n'ont pas été en mesure de se défendre contre les envahisseurs tout simplement parce qu'ils avaient été désarmés par les Romains. Même si les Bretons , comme tous les habitants de l'empire, acquirent la citoyenneté romaine en 212, ils ne sont pas armés et ne possèdent pas d'armes, sauf pour ceux qui vivent au fin fond des campagnes où il faut se défendre contre les loups et les ours. La même chose s'applique d'ailleurs aux Gaulois. Durant la Pax romana, les peuples conquis ont été désarmés. La défense de l'empire est assurée exclusivement par les légions et, ce détail est important pour la suite des évènements, par les troupes auxiliaires recrutées au-delà du Rhin. Seul le légionnaire a le droit de porter des armes et des armures. La fabrication et la vente de ces armures sont d'ailleurs strictement contrôlées.

Quand les légions romaines quittent la Grande Bretagne pour la dernière fois en 407, les Britto-romains se retrouvent sans défense aucune. Le chroniqueur breton, connu sous son nom latin Nennius, ne s'y trompe pas quand, dans son Historia Brittonum ou Histoire des Bretons, publiée au début du IXe siècle, mais basée sur des sources du VIe siècle, il écrit (page 42 de l'édition de Christiane Kerboul) : "Hengest [le roi saxon] était un homme expérimenté, rusé et habile. Comme il avait observé ce roi breton inefficace [Vortigern] et ce peuple qui vivait sans armes , après avoir tenu conseil, il dit au roi breton 'nous sommes peu nombreux mais si tu veux nous demanderons de l'aide [...en Germanie] pour avoir des renforts et nous battre pour toi'." . Gildas le Sage, l'unique source de cette époque écrit la même chose au VIe siècle, quand il dit dans sa "Décadence de la Bretagne" que celle-çi fut laissée "totalement ignorante des pratiques de guerre".

Non seulement les Bretons n'ont plus d'armée, sont désarmés, mais de plus, sauf pour les vétérans des légions romaines qui ont survécu les guerres civiles de l'empire et ne se sont pas établis sur le continent, ils ne savent plus se battre. Les quelques vétérans bretons, anciens légionnaires du Limes, et quelques cavaliers sarmates, opposeront contre les envahisseurs une résistance héroïque mais vaine, à l'origine de la légende arthurienne. Comme l'explique Nennius, pour compléter les effectifs, ils font appel à des barbares pour les défendre comme Rome le faisait souvent. Contre qui ? contre les Bretons restés libres: les Pictes, et contre les incursions des autres peuples celtes aussi restés libres, les Scotts et les Gaels. Si ces peuples n'ont jamais été conquis par les Anglo-saxons, c'est justement parce qu'ils n'avaient jamais étés conquis par les Romains et étaient restés armés donc difficiles à subjuguer.

Ce qui s'est passé en Grande Bretagne est la même chose que ce qui s'est passé sur le continent. Quand les auxiliaires wisigoths et ostrogoths n'ont plus été payés, ils se sont révoltés et ont pillé l'empire avant de s'en emparer. Les Saxons ont fait la même chose dans la Brittania.

Nous Bretons de Bretagne sommes les descendants des Bretons romanisés et christianisés qui ont préféré l'exil et la liberté.


Vos commentaires :
Jeudi 25 avril 2024
@ Philippe Argouarc'h, merci pour ce rappel concernant la réalité des migrations bretonnes, même cet élément pourtant évident (parenté de langue, nom des territoires, des bourgs, des lieux-dits, des gens etc) est remis en cause par l'idéologie actuelle avec un écho déprimant je trouve chez de nombreux militants bretons ! Du pur révisionnisme...et encore là vous vous basez sur des liens génétiques qui auraient pu disparaitre tout bonnement avec le temps (bouleversements démographiques qui auraient pu exister depuis le VIIIème siècle) !

Pour moi la toponymie et micro-toponymie suffit amplement...on ne s'appelle pas Cornouaille, Domononée, «Plou», «Ker» partout, on ne change pas de chefs ou chefs spirituels, on ne change pas spontanément de langue pour quelques migrants qui seraient passés par là (comme ce fut probablement le cas sur la cote nord de l'espagne)...surtout qu'il y a quand même un vrai bras de mer entre les deux Bretagne, et une liaison terrestre immédiate avec l'espace gallican-romain et l'Europe.

Personnellement, même si c'est assez politiquement incorrect dans l'Emsav, je fais ce parallèle entre la dé-britonnisation idéologique de la Bretagne (doute sur les migrations, sur l'extension de la langue et son unité etc) avec le déséqulibre démographique qui s'opère très récemment entre l'Ouest et l'Est de la Bretagne et la certaine unanimité autour de la question nantaise y compris chez des bretons très peu portés sur la question bretonne. Il y a dans cette nostalgie nantaise, et en particulier autour du personnage d'Anne de Bretagne, une volonté d'encrer profondément nos deux bottes ailleurs, ailleurs dans les têtes, ailleurs dans le sol. Nous voulons être de bons français en somme, de l'ouest parisien ou des bords de la Loire (la Loire, le berceau de la romanité en Gaule).

Concernant l'article, je pense qu'il y a un gros manque sur les causes de la chute bretonne-insulaire, une explication abusivement passée sous silence, qui est le culte de la faiblesse et de la démunition dans la religion chrétienne, qui s'était installée au sud de la Bretagne-insulaire et dans le reste de l'Empire sur les 150 années qui ont précédées l'arrimage anglo-saxon...ajouter à cela l'éloignement breton de la métropole romaine, et l'encerclement par des peuples non-chrétiens (bretons du nord, gaels, peuplades germaniques), la faiblesse était patente. La religion chrétienne a entrainé pendant de nombreux siècles une reculade des peuples «orphelins de Rome» en Ibérie, en Bretagne insulaire, en Gaule, dans l'Empire d'Orient etc

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