Un journal risque de mourir / Un jornau qu’ei a’s morir

Chronique publié le 5/07/18 19:29 dans par pour

Atau un jornau que risca de’s morir. Qu’ei tostemps grèu e inquietant per la democracia e peu pluralisme.Mes en mei d’aquò, aqueste còp, que s’ageish d’un jornau en lenga occitana. Qu’ei lo sol qui ei redigit a 100% en occitan.

Ainsi un journal risque de mourir ! C’est toujours grave et inquiétant pour la démocratie et le pluralisme.

Mais en plus, cette fois-ci, ce n’est pas n’importe quel journal ; c’est le seul qui est rédigé à 100% en langue occitane et qui, en plus, a la qualité de journal d’information*

Nous l’avons créé il y a 23 ans. Nous étions deux à tenter l’aventure après y avoir réfléchi durant plusieurs mois.

Pour dire la vérité, de mon côté, ce fut aussi le résultat de plusieurs années de réflexion et de maturation. Après avoir travaillé sur l’occitanisme, son histoire et sa presse, j’avais acquis la conviction qu’il fallait un journal, hebdomadaire au moins. C’était aussi le produit des observations de ce qui se passait ailleurs en Europe. Ma conclusion était qu’il ne pouvait se faire aucune politique linguistique sans une presse dans la langue. Plus que tout autre, en raison de son territoire, la langue occitane a besoin d’une presse.

Certes, au départ, le projet était modeste et peu nombreux étaient ceux qui y croyaient et nous encouragèrent. Mais il y en eut ; assez en tous cas pour que nous lancions le projet.

Puis vinrent les premiers abonnés, certains surpris de recevoir encore le journal au bout de trois mois, comme s’il y avait une fatalité de l’échec. Puis vint la vie au quotidien d’un journal d’information en occitan, avec ses questions, ses difficultés mais aussi les critiques, les râleurs et, inversement, les inconditionnels.

Un journal risque de mourir et je suis en colère et triste à la fois.

C’est à Max Rouquette, l’écrivain, le poète, l’occitaniste à qui je demandai de rédiger le premier éditorial. Il nous fit le grand honneur d’accepter. Aujourd’hui, alors que je n’ai plus aucune responsabilité dans la rédaction et la gestion de ce journal depuis sept ans, je suis à deux doigts de lui présenter des excuses. Au nom de qui ? Pas au nom du journal qui a connu bien des difficultés, pas au nom du journal qui était loin d’être parfait et dont je connais les qualités et les défauts. Non, au nom de ceux qui n’ont pas compris qu’on ne peut pas prétendre faire une politique linguistique sans avoir une presse dans la langue.

Un journal est bien plus que des pages noircies au fil des semaines, des mois et des années : c’est un symbole ; et ce symbole vit depuis 1995. Il vit malgré les difficultés, les entraves, les mesquineries légales et les brimades administratives que nous avons trouvées sur notre chemin et que trouvent tous ceux qui en France mettent en place des outils au service de la langue occitane.

C’est vrai, ce journal n’est pas parfait. Il est trop ceci pour les uns ou trop cela pour les autres. Il est à l’image d’un mouvement qui l’a fait naître : têtu, contradictoire, divers mais qui a pour but de promouvoir la langue occitane.

Il est malade, comme toute la presse aujourd’hui, à part quelques exceptions ; faut-il le laisser mourir pour autant ? Faut-il achever le malade et sa petite famille composée de deux revues pour enfants ? Celles-ci ont vécu comme elles ont pu, elles aussi. Mais elles ont grandi, servi. Elles ont été les premières du genre, traduites en plusieurs langues, et sans elles non plus pas de politique linguistique. Comment pourra t-on donner des lecteurs à l’œuvre de Max Rouquette, de Joan Bodon, de Miquèu de Camelat, de Frédéric Mistral si l’on a pas créé auparavant la simple envie de lire de l’occitan, dès le plus jeune âge ?

Donc si ce journal disparaît c’est une partie du mouvement en faveur de la langue qui mourra. Si cet hebdomadaire meurt il ne sera plus critiquable. Une de ses qualités premières est en effet d’exister. Il permet même aux lecteurs critiques, de dire autour d’eux : « Oui, il existe un hebdomadaire en occitan ! » Il est un argument pour affirmer qu’il est normal de donner à une langue une place entière dans la société, de lui donner le droit de parler de tout.

Et ce journal, combien d’informations a-t-il fait circuler ? Combien d’informations qui à leur tour ont permis la naissance d’idées, d’initiatives, d’actions et de réactions ?

Un journal risque de mourir et j’entends dire que le soutenir pourrait mettre à mal le principe d’indépendance rédactionnelle ! Mais connaissez-vous le niveau d’indépendance d’un mort ? Savez-vous que la ligne rédactionnelle d’un journal qui ne paraît plus est un chef d’œuvre d’indépendance ?

Il existe des façons de régler ce problème sans pour autant porter un coup fatal à l’indépendance d’un journal. Faut-il encore vouloir y réfléchir quelques minutes.

Tout cela me fait penser à ce que certains disent à propos de la politique linguistique en France. Ils ne font rien et pourtant ils récusent le fait que l’on tue des langues et prétendent même qu’il faut « les laisser vivre », que rien ne les en empêche. Le « laisser vivre » ressemble bien à un « laisser mourir ». Laisser mourir un journal en difficulté revient à participer à sa mise à mort.

Un journal risque de mourir sans qu’il n’y ait rien de prévu pour le remplacer. J’ai dirigé ce journal durant quinze ans. D’autres ont pris la suite. Ceux qui l’ont connu de l’intérieur savent, ou devraient savoir, l’énergie qu’il a fallu dépenser et les sacrifices qu’il a fallu faire. Mais ce sont surtout des années d’expérience, d’expérimentation et d’innovation parfois, qui seront perdues. Ce n’est pas un modèle parfait et je le répète, je connais ses qualités et ses défauts. Mais peut-on dénoncer les défauts d’un objet quand il n’existe pas et proposer de l’améliorer quand il est mort ?

Je sais que les médias ont beaucoup changé en quelques années. J’en ai vécu les mutations de l’intérieur et les nouvelles technologies ont fait évoluer le métier. Mais le fond reste le même. Qu’il y ait demain un journal en occitan sur papier ou un journal numérique importe peu, ce n’est qu’une question de forme. Ce qui est indispensable c’est une équipe de journalistes pour écrire, pour avoir le temps et les moyens de vérifier, croiser, et hiérarchiser l’information. Sinon reviendra le règne de la rumeur, celui du twitt, des réseaux sociaux avec leurs approximations et leurs outrances.

Alors, à ceux qui ont le pouvoir d’empêcher ce journal de mourir, à ceux qui ne semblent pas savoir que la presse en démocratie a toujours besoin de l’aide publique**, je donne à relire les dernières lignes de l’éditorial du N°1 de ce journal , signé de Max Rouquette et que j’évoquais auparavant : : « Per un agach total de l’Occitània tota, dins sa vida al quotidian. E jos la lutz de çò que se fai defòra dins l’Euròpa e lo mond. E nòstre astre ne depend. Cal a l’esfòrç qu’aicí s’entemena uoi lo còp d’espatla de totes. Aquel grand pas en davant se deu pas arrestar a mieg camin. Aquí mon vòt per durbir una « Setmana » que deu durar d’ans e d’ans. Se nos volem tirar de l’ombra ont poirissem ».

Si ce journal meurt d’autres initiatives risquent de suivre le même chemin. Alors plutôt que de se demander « A qui le tour ? » je préfère poser la question autrement et de façon plus positive : que faisons-nous ? Nous le donnons ce coup d’épaule dont parlait Max Rouquette ?

David Grosclaude

*Ce statut qui correspond à des critères précis a donné lieu à une bataille qui a duré de 1995 à 2003 et il existe un décret qui reconnaît que de publier un hebdomadaire dans une des langues régionales pratiquée en France est un acte d’information au même titre que si c’était un hebdomadaire en langue française. Ce décret publié en 2003 est le résultat de la bataille que ce journal a menée avec ses lecteurs auprès de divers ministres de la Culture et de la Communication. C’est Jean-Jacques Aillagon qui l’a signé et il reste comme le « décret Setmana ».

**La presse est soutenue au titre de la défense du pluralisme et de la libre circulation des idées. Il n’existe aucun journal d’information en France qui ne soit aidé. Les aides sont multiples et variées. C’est le prix de la démocratie et du pluralisme. Sinon la presse serait au service de grands groupes industriels et de grands groupes de pression. La discrimination dont est victime un journal en occitan existe encore dans divers domaines, même si on lui attribue en général les aides de droit commun. Mais cela est le résultat d’une longue bataille et d’une mobilisation importante. Et c’est une chose connue que ce qui a été gagné ne l’est jamais pour l’éternité. Il existe un risque permanent de retour en arrière.

Un jornau qu’ei a’s morir

Atau un jornau que risca de’s morir. Qu’ei tostemps grèu e inquietant per la democracia e peu pluralisme.

Mes en mei d’aquò, aqueste còp, que s’ageish d’un jornau en lenga occitana. Qu’ei lo sol qui ei redigit a 100% dens la lenga e qui aja la qualitat de jornau d’informacion*

Que’u hasom espelir 23 ans a. Qu’èram dus a ns’aviar en aquera aventura après de i aver soscat pendent mantuns mes.

Entà díser la vertat, de las meas parts, qu’estó tanben lo resultat de quauques annadas de reflexion e de maturacion. Après d’aver tribalhat sus l’occitanisme, la soa istòria e la soa premsa, qu’avèvi la conviccion que hasèva necèra un jornau, setmanèr au mensh. Qu’èra tanben lo resultat de l’observacion de çò qui’s passava aulhors en Euròpa. La conclusion qui’n tiravi qu’èra que no’s podèva pas har nada politica lingüistica shens ua premsa dens la lenga. Mei que tota auta, en rason deu son territòri gran, la lenga occitana qu’a besonh aquera premsa.

Solide, lo projècte qu’èra modèste tà començar e paucs èran los que i credèvan e qui ns’encoratgèn. Totun que n’i avó pro entà que posquim aviar lo projècte. Puish qu’arribèn los prumèrs abonats, daubuns estonats de recéber enqüèra lo jornau au cap de tres mes, com se i avosse ua fatalitat dens la mauescaduda.

Puish que viengón los dias de tot dia, la vita vitanta d’un jornau d’informacion en occitan, dab las questions, las criticas, los criticós e los morganhaires e arroganhaires, mes tanben dab los incondicionaus.

Un jornau qu’ei a’s morir e que soi a l’encòp esmalit e triste.

Qu’ei a Max Roqueta, l’escrivan, lo poèta, l’occitanista qui demandèi d’escríver lo prumèr editoriau. Que’ns hasó lo gran aunor d’acceptar.

Uei, mentre qu’èi deishat desempuish sèt ans tota responsabilitat en la gestion e la redaccion d’aqueth jornau, que’m demandi se no’u vau pas presentar excusas. Au nom de qui ? Pas au nom deu jornau qui conegó tantas dificultats, pas au nom deu jornau qui n’èra pas perfèit e de qui coneishi las qualitats e los defauts. Non, mes au nom d’aqueths qui n’an pas comprés qu’ei impossible d’aver la pretencion de har ua politica lingüistica shens aver ua premsa dens la lenga.

Un jornau qu’ei hòrt mei qu’ua seguida de paginas ennegridas au briu de las setmanas, deus mes e de las annadas : qu’ei un simbeu, e aqueth simbeu que viu desempuish 23 ans. Que viu a maugrat las dificultats, entravas e mesquinerias legaus e las misèrias administrativas qui trobèm suu noste camin e qui tròban la màger part d’aqueths qui, en França, apitan quauquarren au servici de la lenga occitana.

Vertat ei qu’aqueth jornau n’ei pas perfèit. Qu’ei tròp aquò segon los uns o tròp aquerò segon los autes. Que’s sembla au movement qui l’a hèit espelir : capborrut, divèrs, còps que i a contradictòri mes tostemps virat cap a la promocion de la lenga occitana.

Qu’ei malaut com n’ei tota la premsa au dia de uei, hòra de quauques excepcions ; e’u cau deishar morir pr’amor d’aquò ? E cau aucíder lo malaut e la soa petita familha compausada de duas revistas per mainatges? Aquestas tanben qu’an viscut com an podut. Mes qu’an creishut, qu’an rendut servici. Qu’estón las prumèras d’aquera sòrta, arreviradas en mantuas lengas, e shens eras non i aurà pas tanpauc de politica lingüistica. Quin poderàn dar lectors a l’òbra de Max Roqueta, de Joan Bodon, de Miquèu de Camelat, de Frederic Mistral se n’avem pas hèit vàder l’enveja de léger en occitan de mainatge enlà ?

Donc, se desapareish aqueth jornau qu’ei ua partida deu moviment en favor de la lenga qui desapareisherà tanben. Se’s moreish non serà pas mei criticable. Ua de las soas prumèras qualitats qu’ei d’existir. Que da lo parat, quitament aus lectors critics, de díser au lor entorn : « Òc, qu’existeish un setmanèr en occitan » e d’explicar qu’ei normau de dar a la lenga ua plaça vertadèra e sancèra en la societat, de’u dar lo dret de parlar de tot.

E aqueste jornau, quantas informacions a hèit circular ? Quantas informacions qui an permetut la neishença d’ideas, d’iniciativas, d’accions o de reaccions ?

Un jornau qu’ei en perilh de mort e qu’enteni à díser que de’u sostiéner que poderé anar en contra deu principi d’independéncia redaccionau ! Mes e coneishetz lo nivèu d’independéncia d’un mort ? E sabetz que la linha redaccionau d’un jornau qui no’s publica pas mei ei un cap d’òbra d’independéncia ?

Que i a solucions entà reglar aquera question shens per aquò dar l’estocada a l’independéncia d’un jornau. Que cau sonque aver la volontat de i pensar quauques minutas. Tot aquò que’m hè pensar a çò que disen quauques opausants a tota politica en favor de las lengas ditas regionaus en França. Non hèn pas arren e que recusan lo hèit que son a tuar aqueras lengas en tot preténder que las cau « deishar víver » e qu’arren non las empacha d’existir. Lo « deishar víver » que sembla plan a un « deishar morir ». Deishar morir un jornau en dificultat qu’ei participar a la soa mesa a mort.

Un jornau qu’ei a’s morir shens que sia previst arren entà’u remplaçar. Qu’assegurèi la direccion d’aqueth jornau pendent quinze ans. D’autes que’n prengón la seguida. Los qui l’an conegut deu dehens saben, o deverén saber, l’energia qui caló despensar e los sacrificis qui caló har. Que son tanben annadas d’experiéncia, d’experimentacion e d’innovacion, còps que i a, qui seràn desperdiciadas. Aqueth jornau n’ei lhèu pas un modèle de perfeccion e qu’ac torni díser que coneishi las soas qualitats e los sons defauts. Mes e pensatz que sia possible de denonciar los defauts d’un objècte quan n’existeish pas e de prepausar de’u melhorar s’ei mort ?

Que sabi los mèdias qu’an cambiat hòrt en quauques annadas. Que n’èi viscut las mutacions deu dehens estant e las novèlas tecnologias qu’an hèit evolucionar lo mestièr. Totun lo hons que demora lo medish.

Que doman sia disponible un jornau en occitan sus papèr o numeric n’a pas nada importància, qu’ei sonque ua question de fòrma. Mes çò qui ei indispensable qu’ei d’aver ua equipa de jornalistas entà escríver, entà aver lo temps e los mejans de verificar, crotzar e ierarquizar l’informacion.

Senon que serà lo temps de la rumor, lo deu twitt, deus hialats sociaus dab las lors aproximacions e las lors otranças.

Alavetz, a aqueths qui an lo poder d’empachar aqueth jornau de morir, a aqueths qui semblan non pas saber que la premsa en democracia qu’a tostemps besonh l’ajuda publica** que dau a tornar léger las darrèras linhas de l’editoriau qu’evocavi un pauc abans, deu N°1 d’aqueth jornau, signat de Max Roqueta : « Per un agach total de l’Occitània tota, dins sa vida al quotidian. E jos la lutz de çò que se fai defòra dins l’Euròpa e lo mond. E nòstre astre ne depend. Cal a l’esfòrç qu’aicí s’entemena uoi lo còp d’espatla de totes. Aquel grand pas en davant se deu pas arrestar a mieg camin. Aquí mon vòt per durbir una « Setmana » que deu durar d’ans e d’ans. Se nos volem tirar de l’ombra ont poirissem ».

S’aqueth jornau e’s moresih d’autas realizacions qui poderén seguir lo medish camin. Alavetz meilèu que de’s demandar « de qui serà lo torn ? » que m’estimi mei de pausar la question d’un aute biaish, mei positiu : qué hèm ? e’u dam aqueth còp d’espatla de qui parlava Max Roqueta ?

David Grosclaude

*Aqueth estatut qui correspon a critèris hòrt precís, qu’estó l’objècte d’ua batalha qui durè de 1995 a 2003. Que i a adara un decret qui reconeish que de publicar un setmanèr d’informacion en ua de las lengas regionalas practicadas en França qu’ei un acte d’informacion au medish títol que quan ei ua publicacion en lenga francesa. Aqueth decret publicat en 2003 qu’ei lo resultat de la batalha qui miè aqueth setmanèr, dab lo sostien actiu deus sons lectors, auprès de diferents ministres de la Cultura e de la Comunicacion. Qu’ei Jean-Jacques Aillagon qui’u signè e que demora com lo « decret Setmana » pr’amor a l’epòca qu’èra la sola publicacion pertocada.

**La premsa qu’ei sostienguda au títol de la dfensa deu pluralisme e de la libra circulacion de las ideas. Non i a pas nat jornau d’informacion en França qui non sia pas ajudat . Las ajudas que son multiplas e variadas. Qu’ei lo prètz de la democracia e deu pluralisme. Senon èra atau la premsa que seré sonque au servici de grops industriaus grans o de grans grops de pression. La discriminacion de qui ei la victima un jornau en occitan qu’existeish enqüèra en domenis divèrs, quitament se l’atribueishen en generau las ajudas de dret comun. Mes qu’ei aquò lo resultat d’ua batalha e d’ua mobilizacion de la hòrtas. E qu’ei causa coneguda que çò de ganhat n’ei pas jamei ganhat per l’eternitat. Que i a un risc permanent de har arrepè.


Vos commentaires :
Loïc.L
Jeudi 14 novembre 2024
Et pourtant, c'est une très belle langue.

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