Dans quelques jours le festival de musiques extrêmes Hellfest 2018 de Clisson en Loire-Atlantique affichera une nouvelle fois complet. Dès le vendredi matin à l’ouverture des portes, les deux conteneurs dédiés au merchanding seront pris d’assaut, avec parfois une heure de queue pour les festivaliers. Le merchandising est un poste financier important pour la manifestation. Son catalogue est géré par Guillaume Delautre, un ancien disquaire nantais devenu salarié de l’association et qui s’occupe aussi de l’Extrème market. Le merch et le market c’est aussi l’image du Festival, ce n’est pas donné à tout le monde de maîtriser ces postes clé. Depuis 2014, un produit dit « accessoire » aux côtés du vêtement, fait son bonhomme de chemin et est réclamé chaque année, il s’agit d’un doudou 1er âge, marionnette, brodé du H et qui fait le signe de ralliement des metalheads avec sa patte, on a demandé à son créateur Eric Léost de revenir sur la genèse de Hellfy, le doudou Metal.
ABP : Depuis quand vas-tu au Hellfest ?
E. L : J’y vais depuis 2006. C’est grâce à Sophie Poulhazan, de Plozévet. Un jour je reçois au bureau un coup de fil désespéré d’une fille en 3ème au collège de Plozévet qui cherchait un stage de deux jours, elle galérait, c’était son dernier essai au téléphone le vendredi. Je lui ai dit de ne plus s’inquiéter et d’être là le lundi matin suivant. Je l’ai trouvé à 9h assise par terre, le dos contre la porte de mon bureau au 1er étage, plutôt que dans le hall en bas, déjà j’ai trouvé ça cool pour ses 15 ans. Pendant les deux jours du stage j’avais un déplacement à Nantes pour des rendez-vous. Et là, en voiture à un feu, on s’arrête pile devant l’affiche du Hellfest, en plein centre-ville, elle connaissait quasiment tous les groupes, ça m’a scotché, j’en connaissais moins qu’elle, j’avais perdu le fil dans les années 90. La vision de cette affiche je m’en rappellerai toute ma vie, c’était un pur moment de rock’n’roll pour un finistérien de mon âge, de la génération des Festivals Elixir et Tamaris et coincé en 2006 entre les Vieilles charrues généralistes, le FIL de Lorient et le Bout du monde à Crozon. J’ai décidé tout de suite d’y aller. Après le stage, j’ai demandé la permission pour elle à sa maman si elle pouvait venir avec son ami Florian, ils sont venus. Et ils m’ont à nouveau accompagné en 2007, où non seulement Korn y annulait 2 fois de suite sa venue mais les conditions météorologiques étaient dantesques, jamais vécu ça auparavant, le festival a vraiment failli couler. Et pour finir mon alternateur a cramé et on est tombé en panne sur la voie express en rentrant à 4 heures du matin. C’est un taxi qui nous a ramené à Pouldreuzic, depuis Savenay, 630 euros payés par l’assurance. Sophie et Florian étaient à l’époque de futurs étudiants en biologie. Aujourd’hui, 13 ans après ils bossent tous les deux dans leur partie, ils sont mariés, maison et tout le tremblement, on s’est revus sous l’arbre en fer Hellfest l’année dernière.
ABP : Comment est venue l’idée de proposer un doudou ?
E. L : En 2008 j’ai du arrêter mon activité, ça m’a pris 3 ans pour y revenir, en 2011. Mais je n’ai jamais arrêté de fréquenter le Hellfest. En 2013, deux ans après la reprise de mon activité de créateur de peluches, je me suis dit que ce serait quand même top d’allier enfin mes deux passions, avoir voulu des faire des peluches quand j’étais petit et avoir travaillé dans les industries musicales quand j’étais adulte, dans les années 90 au sein de labels à Paris. J’ai appelé la structure et demandé le responsable du merchandising, on m’a passé Guillaume Delautre, on s’est parlé rapidement et on s’est vu 3 semaines plus tard, dans leurs nouveaux bureaux à Cugand, dans l’ancienne tannerie où Serge Danot, le créateur de Pollux et du Manège enchanté, avait également eu ses studios. Plus tard lorsque j’ai livré la première fournée de peluches Hellfy, madame Danot était ce jour là en train de déménager les dernières archives de la société, vieilles boîtes en fer de pellicules et tout, dans un fourgon, c’était émouvant, j’étais fan du manège enchanté évidemment, qui avait bercé mon enfance et qui avait été en partie avec « La maison de toutou », « Saturnin » et consorts, l’univers classique de Disney en prime, un déclencheur de ce que j’ai voulu faire plus tard, dès mon enfance. Guillaume vendait déjà des body et des bavoirs pour les enfants dans sa collection, et il pensait également à un doudou. Le fait que j’ai le sourcing, l’expérience et que je sois une boîte bretonne finistérienne, notre rencontre aussi, on a pas mal parlé musique, l’a décidé à passer le pas, il m’a dit « présente moi un projet ». J’ai pensé à un loup, en hommage à Steppenwolf et leur tube « Born to be wild », qui incarne bien pour moi beaucoup de valeurs associées au hard des gens de ma génération. Le loup on pourrait en parler des heures dans le Metal, et on irait loin, chez les scandinaves notamment, les écossais aussi… Mais moi je l’ai fait au départ vraiment pour Steppenwolf, je ne savais même pas que c’était le tire d’un roman de Hermann Hesse. Pour le code couleur, j’ai pris un mauve pourpre en hommage à Deep purple, mais aussi à tout l’univers du film fantastique, (devenu « d’horreur »), Holywoodien et de la Hammer brittanique, et sa littérature associée, de Peter Pan à Frankenstein et Dracula. Aussi parce que c’est un code couleur plus ou moins «mainstream» et accepté par tous les genres dans le Metal ou les autres. Je savais, enfin…j’étais persuadé que ce public adhérerait à l’idée de transmission de leurs valeurs pour leurs enfants, voire petits-enfants par un doudou. Beaucoup plus facilement que pour un public généraliste, je savais depuis longtemps que je m’adressais à une communauté qualitative, fan de merch de surcroit, et surtout qui a su gardé un esprit libre, curieux, voire rebelle depuis l’enfance. Guillaume a trouvé le nom, HELLFY. Et juste avant le prototypage j’ai demandé à Cécilia Olivier, à qui j’avais commandé les illustrations, que sa patte fasse le signe Metal, c’est le seul doudou 1er âge au monde à le faire, à ma connaissance. La première année j’ai pu l’offrir à Jerry Only des « Misfits », imaginez le délire. Les artistes l’adorent, certains en ont fait leur « chaussette» pour leur club de golf. L’année suivante, Pierrot, un gars de Paimpont en Brocéliande, a créé une page FB et balladé Hellfy de festival en festival. J’ai de nombreux témoignages de personnes qui l’on vu depuis, au Rock am ring, au Motocultor, à Wacken, au Fall of summer et même au Download.
ABP : Combien de peluches ont été vendues depuis 2013 ?
E. L : Guillaume voulait en faire 1000 pour l’édition 2014, je l’ai convaincu d’aller jusqu’à 1500. Le dimanche matin je suis allé sur le site. Sous le doudou Hellfy dans les caissons de merchandising il y avait une feuille « out of stock », j’ai pensé que c’était pour le t-shirt à côté, car déjà à l’époque chaque année battait les records de la précédente pour les articles référencés. Mais non, tout avait été liquidé, plus de doudous en 2 jours dès la première année. Il a fallu en refaire pour Noël. Depuis on augmente chaque année, et c’est pareil hahaha, rupture. Et tant mieux, n’importe quel entrepreneur préfère une rupture de stock que des cartons qui traînent. Pour le doudou faut venir le vendredi ouarf ! Sur l’ensemble des 5 modèles depuis 2014, le 25 juin de cette année, on sera à plus de 12 000 pièces.
ABP : Le doudou a t-il évolué ?
E. L : Alors oui dès la 2e année on a changé le code couleur, il a évolué en loup-garou rouge profond avec une mèche Devilock, enfin moitié punk moitié Devilock, thanks Jerry Only. Mais ce n’est pas évident pour les cheveux avec les normes CE. Le design aussi, en 3D quand il faut modéliser les prototypes, ça prend du temps, et le temps file, d’un Hellfest à l’autre croyez-moi, les équipes sont à fond d’une année sur l’autre, c’est invraisemblable, pour aller toujours plus haut en innovation. Pour la 3ème édition on a imaginé aller vers un panda ou un Hellfy version black metal avec un code noir et blanc. Mais les dessins faisaient un peu peur aux enfants, avec les cicatrices sur la bouche. Par manque de temps pour développer le truc on est resté sur Hellfy en rouge, noir et blanc, blanc que l’on a enlevé finalement par peur des attaques sur la reprise du code couleur du drapeau nazi. Personnellement je voulais garder les 3 couleurs, qui sont les couleurs fondamentales de l’alchimie. Mais ces foutus nazis avec Himmler et les délires de l’Ahnenerbe, ont dévoyé tellement de symboles importants, runiques et tantriques, qu’on en paie encore le prix fort encore aujourd’hui. Sans parler des réminiscences de la Thule-Gesellschaft véhiculées par les néo-idéologues du NSBM (National Socialism Black Metal). Et puis le Festival sortait à l’époque de plusieurs années d’attaques incessantes, il fallait rester prudent. Pour changer en 2017, Guillaume a parlé d’un raton-laveur dont le contour des yeux reprendrait un peu le maquillage de Kiss et c’est Folenn, l’illustrateur et tatoueur de Clisson qui l’a dessiné. Carton encore en 2017 puisque le samedi soir tout était vendu. Cette année Rockoon 2 revient, en vert cette fois ci, en vert … et contre tout, évidemment !
ABP : Quelles sont tes influences en matière de Metal ?
E. L : Aujourd’hui j’écoute de tout. Quand j’ai travaillé à développer des artistes dans les années 90, j’ai signé en distribution des catalogues du monde entier, en musiques du monde particulièrement. Et en VI ou variété internationale, comme on disait, où U2 et MUSE sont classés. Mais au départ, dès 9 ans Je viens plus du blues et du rock’n’roll. J’étais fan de Jimmy Hendrix dont j'avais un poster sur la porte de ma chambre, Eric Clapton avec Cream, Jimmy page avec les Yardbirds ou Pete Townhsend. J’ai continué avec Carlos Santana et Franck Zappa. Le truc c’était Guitar Hero. Accompagné d’un chanteur qui matchait, c’était le jackpot. C’est Ritchie Blackmore qui m’a le plus impressionné à l’époque, puis Jimmy Page, et Neil Young avec le Crazy Horse, ou Rory Gallagher. Mes premiers Guitar Hero ce sont eux, sans oublier Duane Allman et Dickey Betts parce que j’ai un faible pour le sudiste. Je n’ai pas suivi particulièrement Alice Cooper ou Black Sabbath au début des années 70, je suivais plus le progressif, je le regrette, surtout Alice Cooper. Après Van Halen fin 70 puis les ébouriffantes années 80 du hair et du trash, il y a eu Pantera, deux frères Texans tape-dur avec l’ajout d’un exta-terrestre nommé Anselmo. Dimebag Darell, il te découpait au burin du granit brut avec sa corde de mi, un son que personne n’a jamais refait, et il te ciselait un bas relief en solo avec les cordes du bas. « Primal concrete sledge » c’est un menhir de dentelles en fait. Aujourd’hui j’aime quand « Sick of it all » fait du bruit ou quand « Angelus apatrida » et « Vektor » la jouent technique, ou le mix des deux. Anselmo, je continue à suivre tous ses projets, j’aime le bruit organisé. Mais au final, comme je suis old school, limite formé baba cool Woodstock avec l'Airplane et Ten years after, c’est sûr que je suis Plutôt « Kashmir » et « Jimmy Page » que Varg Vikernes et les conneries de résurgence Thule néo-païennes qu’il a propagé. Et plutôt Alestorm en 2018 que Coven en 1967, même si il parait que Hellfy doit les remercier pour le signe des cornes. L’émergence Trash, Death et Black je ne les pas vraiment suivi de près, et ce malgré que je bossais dans le milieu musical ! Là encore c’est un regret. Par contre dans les années 90, je suis devenu grâce à mon travail spécialisé en Rai algérien, en Rumba Zaïroise, en Salsa, en Klezmer, en musiques traditionnelles du monde entier en fait, et c’était top, Paris était au cœur des musiques croisées. Je n’ai donc appris qu’à rebours à écouter du Black et du Death, de l’Indus etc, plus tard, chez Musidisc, où l'on distribuait Roadrunner notamment. Les positionnements satanistes ou anti-chrétiens du Black Metal à partir de la deuxième vague ne m’intéressent pas car pour moi le diable n’existe pas. Je comprends la réaction au détournement d’anciens symboles et cultes qui ont été et synchrétisés par l’église, mais réagir à l’extrème dans l’autre sens, c’est dangereux. Je suis old school pagan, pas néo-païen, c’est mon bon fond celtique et breton on dira... Même si je sais ce qui s’est passé ici il y a longtemps, je ne vais pas passer le reste de ma vie à être anti-chrétien de base. Combattre tous les dogmes, ça oui par contre. Je vais vous dire, le Hellfest a un vrai bon fond, il part d’un vrai bon sentiment de la part de Ben Barbaud et Yoann le Névé. Et ils ont été ultra larges et ouverts dans leur programmation, le monde Metal sur toute la planète le dit, les groupes en premier. Aucun autre festival de Metal n’ouvre une telle programmation. Ils n’ont jamais mérité les critiques et les attaques des milieux catholiques traditionalistes dont ils ont souffert. Ils auraient pu répondre que Rome a détruit les dieux Païens comme Daesh attaque la chrétienté aujourd’hui, (c’est à la mode) ils ne l’ont jamais fait, ce n’est pas la peine d’en rajouter une couche. Ces gars pour moi sont avant tout des fans d’ondes, de liberté et de la façon de les utiliser pour réunir les gens. Oui je sais c’est « métal-physique» mais c’est ce que je pense. Allez les gars créez un nouveau sous-sous-sous genre, le Métal-meta-physique.
ABP : Quelles scènes fréquentes-tu au Hellfest et que réponds-tu aux détracteurs du développement de la marque Hellfest ?
E. L : Pour rebondir sur mes dernières phrases, si l’univers est vibratoire, et il l’est, je devrais être en permanence dans la Valley à écouter Hawkwind avec une bouteille de Jack Daniel's et en fumant des pétards, mes jumelles fixées sur la statue de Lemmy leur ancien bassiste plus bas en War Zone... Et c’est ce que je fais en quelque sorte, je vais partout et c’est compliqué à gérer tant le site est grand. J’aime les dernières heures le dimanche soir, c’est jamais évident à décider où l’on va aller. Je me fixe des objectifs sur des groupes et chaque fois je les réalise pas car je bosse un peu sur zone. On est également vite détourné par des rencontres, par plein de choses, on perd aussi la notion du temps pendant trois jours c’est assez étrange, bref faut se laisser porter. Mais je voudrais revoir Steve Wilson en solo, après le 1er passage de Porcupine Tree en 2008. Joan Jett évidemment. Meshuggah, Therion, Hollywood Vampires, Bad religion, Nile, Deftones que j’ai jamais vu encore… revoir Dimmu Borgir, re-re-revoir Megadeth même si… Et At the Gates, re-re voir Nightwish et Maiden haha, Kadavar, Iced Earth, bon j’arrête. En ce qui concerne les attaques sur le Grand Magic Circus Fête Foraine, aimant à touristes, etc, sachant par où ils sont passés, je soutiens à 100% Ben Barbaud, Yoann le Névé et l’équipe, sur les choix de développements économiques et leur ténacité sans jamais avoir trahi ou renié leurs valeurs artistiques. Ce sont des self-made men devenus auto entrepreneurs qui ont réussi et bravo, des deux mains. Et je vais même en rajouter, je constate qu’au final une fois de plus l’un des festivals majeurs français est en Bretagne historique, qu’il est indépendant juridiquement et financièrement, c’est vrai ou pas ? Et que le Download, contrôlé par la multinationale Live Nation, est venu s’installer à Paris grâce au travail de Clisson et pas l’inverse. Sur le développement des infrastructures au niveau déco, sur la stabilisation des sols et ses aménagements nombreux, le pari a été payant et même Wacken, « le grand frère historique» Allemand s’en inspire. Pour rester « en famille » on signalera au passage que le Motocultor est aussi en Bretagne et il y a trois semaines j’étais à Plozevet (encore Plozevet !), où un basque vient de créer « Courts of Chaos », un petit cousin du Motocultor. Pour être présent le dimanche à chaque conférence de presse du fondateur du Hellfest, son mélange de décontraction et d’assurance ainsi que sa passion sont intactes. Pour le développement à venir, développer une grande aire, dédiée aux kids et aux plus petits, qui viennent de plus en plus nombreux avec leurs parents, ce serait cool. J’aimerais aussi voir Brian May en tête d’affiche, et qu’il donne une conférence sur l’astrophysique, car il est astrophysicien, en plus de défendre la cause animale et le veganisme. J’aimerais une petite chapelle, un petit lieu aménagé avec des conférences sur l’archéologie, les anciennes civilisations, les mythologies, je pense très fort qu’une partie du public est concernée par ça. Et puisque le festival est joué chaque solstice d’été, un nouveau décor mégalithique façon Stonehenge, orienté sur les solstices et les équinoxes serait bienvenu, histoire de continuer à propager de bonnes ondes. Old pagan baba school suis-je, je vous dis…
ABP : T’y es-tu fait des amis après toutes ces années ?
E. L : Oui, même si j’y allais seul au début. J’y ai rencontré un Galicien, Alvaro, un passionné, un fan de Trash et de Heavy. Un grand gars métalleux à 200% puisqu’il est professionnellement soudeur sur des chantiers navals à la Corogne, ou sur des sites nucléaires. Beaucoup de monde le reconnait chaque année maintenant, à cause de son chapeau emblématique, sa dégaine et ses t-shirt WASP. Cette année ils viennent de Galice à 20, quatre fourgons remplis d’Espagnols! L’Espagne est très présente au Hellfest, et quelle chance, ils sont extra. Le premier doudou que j’ai offert en 2014, c’était à Hayley Leggs, la performeuse et journaliste de NYMPHERNO, et c’est un rituel maintenant que de lui offrir le nouveau doudou chaque année. Je salue enfin ici le travail de Roger Wessier et sa femme Fabienne, et Olivier Garnier, des relations presse REPLICA, ils font un boulot énorme et carré. Tout comme les musiciens métalleux en général, ils ne sont jamais fatigués, toujours au boulot et sur de nouveaux projets, c’est impressionnant.
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