Bécassine : un film qui ne méritait pas ce tintamarre

Chronique publié le 1/06/18 13:33 dans Cultures par Philippe Argouarch pour ABP
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J'ai vu hier soir à Quimper en avant-première le film Bécassine de Bruno Podalydès. Ce film n'a rien à voir avec la bande-annonce qui laissait présager le pire. À la limite on se demande si cette bande annonce maladroite qui présente Bécassine dans une série de bourdes burlesques de comic-books de gamins de 10 ans n'a pas été réalisée juste pour créer une polémique. Les polémiques faisant toujours augmenter les recettes.

Faire un film sur Bécassine n'était pas forcément une bonne idée au vu de toutes les controverses qui ont tourné autour de la première héroïne au monde de bandes dessinées (1905). Sauf que des milliers de femmes ont été bercées dans leur enfance par les mésaventures de la bonne bretonne. Les enfants pouvaient s'identifier à Bécassine car eux-mêmes faisaient les mêmes gaffes. A noter que les Bretonnes et les Bretons n'ont pas la même approche sur le sujet de Bécassine. Très peu de Bretons ont pu s'identifier dans leur enfance à la découverte du monde par cette Bécassine. C'était des livres de filles. Quant aux jeunes d'aujourd'hui, ils ne savent même pas qui c'est.

Le mauvais côté est tout ce que le personnage rappelle. Cette triste période qui va de 1850 à 1950, un siècle où les Bretons furent de la chair à canon et les Bretonnes des bonnes à tout faire, y compris les trottoirs de Paris.

Pour commencer, le film de Podalydès n'a rien à voir avec le film d'un certain Pierre Caron, sorti début 1940, où l'on voit Bécassine arriver à Paris avec un cochonnet, qu'elle allaitera au biberon dans sa chambre de bonne. Un film raciste dans lequel la marquise de Grand'Air déclare dès les premières minutes du film "Elle arrive de chez les sauvages...". Le reste est du même calibre.

Si, selon Stephen Spielberg, un bon film a besoin pour réussir de trois choses : un bon directeur, de bons acteurs et d'une bonne histoire, le Bécassine de Bruno Podalydès ne rentre certainement pas dans cette catégorie, même si Emeline Bayard joue le personnage de Bécassine avec tact et une délicatesse touchante. L'histoire elle-même, ne présente aucun intérêt et ne sert qu'à soutenir les incidents de parcours de Bécassine à travers son amour pour Loulotte, une enfant dont elle a la garde. Oui, la bonne est surtout une nourrice, une nounou très attachante en fait. Cette bécassine n'arrivera jamais à Paris et ne verra jamais cette satanée tour Eiffel que l'on voit sur les affiches du film.

Une Bécassine pas du tout idiote

Selon Stephen Hawkings, "l'intelligence est l'aptitude à s'adapter au changement". Cette Bécassine est intelligente car elle s'adapte au monde technique et aux gens du château même si elle ne comprend toujours pas très bien le français comme la Bécassine des bandes dessinées. Elle apprend vite et devient une femme moderne, conduit la voiture de la maison, prend des décisions, répond du tac au tac, et finit par avoir raison. Cette Bécassine est inventive. Elle invente une machine pour contrôler la cuisson des oeufs à la coque et une autre pour automatiser les biberons de nuit. On est loin de la bonne, gourde et un peu bébête, montée à Paris travailler pour des maîtres bourgeois cupides et prétentieux. Le film se déroule dans un château imaginaire à quelques kilomètres de Clocher-les-Bécasses chez la marquise de Grand'Air.

La Bécassine du film est naïve, gentille, spontanée et dépourvue de toute malice. Oui elle garde le caractère de la BD mais dans le monde de coquins, d'escrocs, d'arrivistes et de déchus qu'elle côtoie, elle finit par représenter une bouffée d'air frais. Cette sorte d'Amélie Poulain bretonne pleine de tendresse, imprévisible, et créative finit par s'imposer

Bruno Podalydès se défend

Après la projection, le réalisateur et Émeline Bayard ont répondu aux questions des spectateurs, environ deux cents personnes, surtout de vieilles dames dont on devinait que les albums de bandes dessinées de Bécassine avaient bercé leur enfance. Très peu d'enfants étaient présents et aucun adolescent. À propos de l'appel au boycott lancé par un groupe de nationalistes bretons, Bruno Podalydès a déclaré que son propos "n’était pas du tout de me moquer de la Bretagne et des Bretons". On le croit volontiers. Il a aussi dit être "parfaitement au courant" du contexte historique qui a accompagné la création de cette BD en 1905, quand des milliers de Bretonnes venaient à Paris pour travailler comme bonnes au sein de riches familles bourgeoises.

Beaucoup d'encre pour pas grand chose. Ce film restera ce qu'il aurait toujours dû être dès le début, un non évènement, un bouche trou familial pour des dimanches pluvieux ou pour combler à bon marché des grilles de télé à court de séries B américaines. La bande annonce est nulle et n'indique en aucun cas le véritable contenu du film. Les maladresses de Bécassine, surtout au début du film, genre dessins animés, sont inutiles. Une merde éléphantesque sur le parvis du château, provenant du chien de la marquise, est juste grotesque. Monsieur Podalydès, vous n'êtes pas Stephen Spielberg. La vulgarité n'est pas de la créativité. Un peu de retenue non ?

Finalement même si le réalisateur et Émeline Bayard ont voulu prendre le meilleur du personnage, le ressusciter aujourd'hui, fait quand même de Bruno Podalydès et de Why not productions, des complices de la diffamation envers une communauté. On ne peut que citer ce qu'écrivait Loïc de Châteaubriant dans une lettre à la poste à propos du timbre de Bécassine : "Nous ne sommes ni les uns ni les autres responsables de certains éléments douteux de notre histoire, mais il est des cas dans lesquels il n'est peut-être pas indispensable d'en rajouter." (voir notre article)

Cette comédie fera parfois sourire mais ne fera jamais rire pour cette raison.

Modifié le 3/6/18 à 14:00


Vos commentaires :
Dimanche 5 mai 2024
Je rejoins Philippe Argouarch, il n’y a pas lieu ici de s’offusquer au sujet du film de Bruno Podalydès et l’oeuvre de ce réalisateur ne mérite guère plus qu’un sourire indulgent.
On se serait attendu cependant à ce que l’énorme investissement inhérent à la production d’un film (recherches/documentation) l’aurait amené immanquablement à découvrir l’essence même de ce personnage de fiction…
Certes, la Bécassine de Bruno Podalydès et de Chantal Goya ne semble pas être tout à fait celle dessinée de 1903 jusqu’aux années 50 par Pinchon. L’ensemble des gens retiennent un personage naïf mais plutôt futé et sympathique, “tirant son épingle du jeu” entendons-nous dans l’émission En flânant de Roger Gicquel dans les années 90, suite à une polémique similaire. Il y a donc comme un quiproquo car Bécassine s’inscrit bien dans une culture française de divertissement ouvertement raciste contre les Bretons ayant sévi tout au long du siècle dernier.
A ce propos, personne ne parle curieusement de cette autre bande dessinée Les Petits Brazidec à Paris, parue en 1928, c’est d’une violence inouie, (consultable sur Gallica). Des petits Bretons originaires de Craboville (?) arrivent à Paris pour y être acceuillis par la famille bourgeoise Léveillée. Dès leur arrivée, les crabes qu’ils comptaient offrir à leurs hôtes pincent l’homme de service. A partir de là, ce n’est qu’une série de catastrophes et d’outrages auquels se livrent ces petits enfants, jusqu’aux singes qui les imitent lors de leur visite au zoo (à ce propos, on notera que le racisme anti-breton utilise aussi abondamment le bestiare locale dans un soucis de déshumanisation, on y trouve autant de cochons, de crabes ou de bécasses…).
Le cinéma n’est pas en reste, et si Bécassine, dans le film paru en 1939 donne le biberon à un porcelet, il était d’abord prévu dans le scénario qu’elle l’allaite directement au sein… Nous laissons de côté la triste série Imogène pour parler du film Elisa (1995) de Jean Becker avec comme actrice principale Vanessa Paradis. Il ait un passage particulièrement raciste. Pour le contexte de cette séquence passe encore que nous ayons à faire à un bal musette franchouillard plutôt qu’à un fest-noz, avec la presence de Bigoudènes, …sur l’Ile de Sein. Mais à un moment, voilà qu’un jeune garçon vient s’assoir auprès de l’héroine dans le dessin de flirter avec elle. Elle lui demande comment il s’appelle et ce dernier de répondre “Erwan Lagadec”, sur ces mots, Vanessa Paradis lui tourne le dos en déclarant avec mépris : “laisse tomber”.
Tout ceci nous amène à constater qu’il existe bien une reconnaissance du peuple breton, mais une reconnaissance négative. Ne pouvant nier au fond d’eux-mêmes l’évidence que nous avons une culture, une langue etc.. différentes, les attributs d’un peuple à part entière en somme, il faut alors inférieuriser, moquer, délégitimer ce qui fait de nous ce que nous sommes, à savoir un peuple au sens onusien du terme. La langue bretonne sur les momuments aux morts entre aussi, paradoxalement, dans cette mécanique de la reconnaissance négative. Jamais le “Maro evid ar Vro” inscrit dans l’espace publique n’offusqua qui que ce soit. Nombres de généraux ont même parlé de “race” bretonne en évoquant le sacrifice des soldats bretons. Ainsi, un bon Breton du vrai peuple Breton, ne pouvait être qu’un Breton mort.
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