En cette mi-mars, sous de consistantes averses neigeuses qui ne font, toutefois, que laquer les trottoirs, la capitale fait, ce soir, triste et hivernale mine.
Une persistante fraîcheur nous fait hâter le pas vers le légendaire music-hall parisien au front duquel s’affichent, en célèbres et lumineuses lettres rouges, le nom d’Alan Stivell.
A peine installés dans la salle, nous remarquons, immédiatement, dans la pénombre de la scène, l’emblématique instrument du musicien breton qui se tient fièrement campé sur son socle, au centre du plateau.
Côté cour, une autre harpe, mais acoustique, attend posément. Sans être altière, ses courbes sont élégantes.
Il est 20 heures.
Les lumières de la salle s’éteignent. Tout s'explique, la harpiste, Una Ni Flannagàin, se présente devant le très nombreux public. Rien de plus normal, puisque nous fêtons, ce soir, l’Irlande, que de commencer cette soirée en sa charmante compagnie. Elle nous séduira avec son répertoire traditionnel venu du pays des grands lacs et des vertes prairies.
20 h 45.
Sous les acclamations, Alan Stivell traverse, seul, la scène de l’Olympia et rejoint la harpe prestigieuse dont il est, depuis tant d’années, le seigneur et maître.
« Bonsoir ! Merci d’être venus si nombreux. C’est une opportunité formidable d’être réunis pour cette Saint-Patrick. Cela fait un peu plus de cinquante ans, en fait, que j’ai pris le nom de Stivell et que je suis passé dans la classe des musiciens professionnels… A cette époque… j’ai inventé le picking… pour la harpe… »
A ce propos… le « finger picking », qu’est-ce ?
Il s’agit d’une technique de jeu utilisée, en général, à la guitare acoustique. Le picking est très répandu chez les bluesmen et les joueurs de country. La basse est jouée avec le pouce, sur l’une ou plusieurs cordes laissant le champ libre aux autres doigts pour pincer les autres cordes. Fréquentant assidûment, dans les années soixante, l’American Center où bon nombre de folksingers américains se produisaient, Alan, en artiste attentif et novateur, adapta, dès 1966, cette technique peu évidente, à la harpe, ce qui demeure un fait unique.
Mais revenons en 2018, à notre soirée.
L’artiste ouvre le spectacle avec cette magnifique chanson : « Marig ar Pollanton ». Harpiste de très haute volée, nous constatons que l’artiste n’a rien perdu de son habituelle virtuosité, ses doigts véloces flattent les cordes de l’indissociable instrument de sa vie dont le son se révèle d’une extrême pureté.
« Nous allons commencer avec un morceau extrait de mon tout premier album…un disque important dans ma carrière…« Reflets !».
La plainte d’un Uilleann Pipe, suivi du roulement sourd de percussions, signe l’introduction de cette ode flamboyante dédiée à une Bretagne combative et porteuse de ses couleurs et de ses idées.
Puis, nous voyagerons vers la mystérieuse cité « d’Ys », morceau extrait du sublime et référant album « Renaissance de la harpe celtique ».
L’artiste breton nous invite à traverser, avec lui, un peu plus de cinquante années en puisant parmi ses très nombreux enregistrements et les succès qu’il juge les plus représentatifs de sa carrière et de ses multiples expériences musicales.
La soirée sera belle et chaleureuse…
« La hargne au cœur » nous rappelle la combativité et le caractère affirmé des Bretons, qu’ils soient marins, pêcheurs, skippers… ou harpeurs. Comme nous commémorons la Saint-Patrick, place à quelques chansons évoquant le pays d’Eire avec « Brian Boru » et le très rythmé « Cease fire » interprété en gaélique, car n’oublions que le chanteur est polyglotte et s’exprime dans plusieurs langues. Multi-instrumentiste, il est aussi un expert au whistle. Suivront : « New’Amzer (Spring) », « Foggy Dew », « An Allarc’h »… l’ambiance, dans la salle, va crescendo lorsque STIVELL s’avance, bombarde à la main, vers le micro. Nous avons l’impression de revivre son inoubliable et fondateur concert de 1972. Ovation est faite au pérenne artiste qui salue les spectateurs, bras levés, en vainqueur, à la fin de ce chant guerrier.
« Je veux vous présenter Robert le Gall… Lorsque l’on parle de chanson à boire, Robert le Gall est toujours présent… Enfin, on peut chanter une chanson à boire, sans boire… N’est-ce pas » ?
Timidement, le musicien s’avance sur la scène. Il accompagnera le harpiste à la guitare.
«Son Ar Chistr » !
Encore un morceau anthologique datant de ces inoubliables années soixante-dix. L’assistance va, alors, chanter avec ferveur, cette histoire de bouteille de cidre en compagnie de ces fidèles complices.
Puis, revenant à un sujet plus sérieux l’artiste nous interpelle, une nouvelle fois, sur le devenir des langues régionales. Car que deviendront nos multiples cultures sans l’immuabilité de ces langues. Il est nécessaire de les transmettre et les protéger…
« C’est indispensable…. A moins qu’elle ne soit éradiquée… dans l’avenir », ajoutera ce plus qu’opiniâtre défenseur qu’est Alan.
A cet instant, les envolées de notes venues d’une électrique guitare métallique et rageuse, dont les distorsions ne sont pas sans nous évoquer celles d’un certain Jimmy Hendrix, viennent couvrir les premiers accords de harpe de Stivell dans « Brezhoneg' raok ». Nous l’avons bien compris, cette seconde partie du spectacle sera, souvent, plus proche du rock, voire du hard rock, style dans lequel le musicien excelle, car le rock celtique, c’est lui qui en est l’instigateur. Tout le public reprend en chœur :
« Hep Brezhoneg, hep Brezhoneg,
Hep Brezhoneg, Breizh ebet,
Hep Brezhoneg, hep Brezhoneg,
Arabat komz diwar benn Breizh »
De fait, sans langue bretonne, pas de Bretagne…
« On ne va pas terminer sans jouer le final de la Symphonie Celtique ? »
Il ne manque, comme par le passé, que les files de danseurs bigarrés pour s’élancer aux premières mesures de « Spered Hollwedell ». Dommage !
Impossible de ne pas entendre la fameuse « Suite Sud-Armoricaine » qui affola à l’époque, les chars et enflamma les foules voici… quelque cinquante années, déjà !
Impossible, aussi, de terminer, comme il se doit, cette soirée sans la partager avec les turbulents matelots nantais… voici l’inévitable « Tri martolod » !
Les applaudissements nourris incitent Alan, et ses efficaces musiciens, à rester sur le mythique plateau parisien, quelques minutes encore.
« Nous n’allons pas partir sans rendre un hommage à Liam O’Flynn qui vient de nous quitter, voici quelques jours. Nous dédierons cette chanson aux amis qui nous ont quittés cette année… »
Una Ni Flannagàin, qui assurait la première partie, rejoint Alan sur scène. Leurs deux harpes réunies égrèneront, à l’unisson, les mélodieux arpèges de « Kimiad ». Séquence émotion.
Mais le public, qui a marqué, tout au long du spectacle, sa croissante ferveur ne souhaite, visiblement, pas en rester là.
« On a du mal à se quitter…On peut, sans doute essayer, de chanter ensemble quelque chose de facile ».
Ce sera, A Capella, le « Bro Goz ma zadoù ».
Merci Alan pour ces intimes, intenses et panoramiques instants moments passés en votre compagnie, et qui prouvent à ceux, qui en douteraient encore, que vous demeurez, au-delà des nombreux styles que vous avez explorés, Folk, New age, Ambient, Electro, World, le patron indétrônable d’une pop celtique raffinée et enracinée issue, d’une grande connaissance des fondements de la culture traditionnelle..
Texte et photos : Anny MAURUSSANE
20 autres photos de ce concert, sur DEUX PAGES, sur Culture et celtie, l'e-MAGazine : (voir le site)
Illustration sonore de la page : Introduction du spectacle - Extrait de « Marig ar Pollanton » (01:37)
Prise de son et montage : Gérard SIMON
Autres pages, sur Culture et celtie, l'e-MAGazine, concernant, Alan STIVELL :
- Alan STIVELL «AMzer» et e-interview (2015) (voir le site)
- “Sur la route des plus belles légendes celtes« Livre d'Alan STIVELL, Thierry JOLIF et Yvon BOËLLE.
- Alan STIVELL à l'Olympia »40ème anniversaire« (DVD+CD) - Juillet 2013
- 1972 - 2012 Alan STIVELL à l'Olympia : un parcours plus qu'un retour !
- Alan STIVELL embrase les Nuits Salines à Batz sur Mer, le 24 Juillet 2010
- Alan STIVELL... un harper hero au Festival Les Nuits Salines 2010.
- Alan Stivell : le CD « EMERALD » (2009)
- Jeudi 19 novembre 2009, Alan STIVELL enflamme le Bataclan, à Pari
- Au Croisic, le Triangle blanc présente le livre « Alan Stivell ou l'itinéraire d'un harper hero...»
Pour retrouver le parcours d'Alan STIVELL de 1953 à 2008 :
- Le dossier »Culture et Celtie, le MAGazine :
Alan STIVELL, un musicien, une oeuvre...
- Le livre :
«Alan Stivell ou l'itinéraire d'un harper hero»
Site officiel d'Alan STIVELL : (voir le site)
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