Ulrike Guérot à Nantes : Il faut dénationaliser la démocratie

Compte rendu publié le 25/02/18 18:25 dans Europe par Philippe Argouarch pour ABP
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Amandine Crespy à gauche et Ulrike Guérot au centre.

La professeure et chercheuse Ulrike Guérot était à Nantes à la Maison des Sciences de l'homme Ange-Guépin jeudi dernier, invitée par l'Université de Nantes dans le cadre de son programme de recherche "Alliance Europa". Amandine Crespy, professeure en sciences politiques de l'Institut d’études européennes de l'Université libre à Bruxelles, avait aussi fait le déplacement pour apporter un peu de contradiction. Le thème était :"Qu'est-ce qui vient après la nation, la démocratie en Europe et au-delà des nations".

Les nations ne sont pas quelque chose d'éternel ; elles ont commencé, elles finiront. La confédération européenne, probablement, les remplacera. __Ernest Renan discours sur la nation (1888)

Vers une république d'Europe

Citant Arendt, qui pensait que la Révolution française avait échoué, Ulrike Guérot réaffirme que "la démocratie est en danger dans les mains d'un état-nation". Nous le savons en Catalogne, en Bretagne, en Corse et presque partout en Europe. Mais un [[état-nation]] c'est quoi ? Un état-nation est un état qui a nationalisé son ou ses peuples. Mais une nation démocratique c'est quoi ? Guérot commence par explorer le concept de nation, en redonnant cinq définitions les plus appropriées. Avant d'imaginer ce qui vient après l'état-nation, il était indispensable d'avoir une définition correcte, non passionnée de la nation. Tour à tour, elle invoque : Renan (un avenir commun), Benedict Anderson (une communauté imaginée), Marcel Maus (une solidarité commune), Pierre Rosanvallon (un vote commun), et Theodor Schieder (une communauté de citoyens). A ces cinq définitions, on pourrait ajouter une sixième, celle d'Ulrike Guérot : une loi commune, une définition qui rejoint en fait la définition que fit Cicéron de la république romaine. Car pour elle, "c'est la loi qui fait la nation". La république européenne qu'elle propose sera tout cela à la fois.

L'appartenance nationale a priorité sur la démocratie, car la nation a conquis l'état.__Hannah Arendt citée par Guérot

Il ne s'agit pas de passer d'un état-nation à un super-état-nation Europe comme certains ont bien voulu comprendre mais de dénationaliser la démocratie. Ulrike Guérot ne propose pas une nationalisation de l'Europe mais plutôt une "helvétisation". Une Europe où les cantons suisses seront les 70 régions européennes (elle a d'ailleurs présenté une carte d'Europe d'avant les créations d'état-nations -- qui sont effectivement des structures récentes, oui une carte médiévale). Il n'y aura pas de langue officielle, et l'État sera séparé de la culture. Chacun pourra vivre son identité et enseigner son histoire et ses langues. Par contre les lois, la fiscalité et la protection sociale seront normalisées. Elles seront les mêmes pour tous. Si la loi sera la même, des lois locales pourront bien sûr exister selon le principe de subsidiarité, un peu comme les états américains qui ont leur propre gouvernement et leur parlement.

Nation building

La question que se pose alors Ulrike Guérot et que l'on se pose tous est "comment imposer un intérêt général européen à des états qui ont des frontières constituées par des législations particulières". Citant Jacques Delors "En France on ne meurt pas pour la démocratie mais pour la république", elle se demande comme nous si c'est toujours le cas. On peut penser que non. Depuis Verdun et La Somme, les descendants des survivants de ces hécatombes se sont posé les bonnes questions. Des états qui peuvent envoyer des millions de gens vers de telles boucheries n'ont plus de légitimité, en tous cas n'ont plus la confiance des citoyens. Dans un sens on pourrait dire que les état-nations tels qu'on les connaît sont morts à Verdun et à Stalingrad. Ils sont en sursis. Ulrike Guérot comme Gilles Martin-Chauffier et d'autres visionnaires comme Yann Fouéré avant eux, l'ont compris.

La république d'Europe helvétisée n'est pas plus une utopie que l'était la Révolution française en 1788. D'ailleurs en 1788, 90% des Français ne parlaient pas le français. Et en 1788 il y avait encore davantage de différence entre un Corse et un Alsacien qu'il y en a aujourd'hui entre un Portugais et un Danois. La république française a échoué car elle aurait dû être européenne et girondine. Elle a failli l'être. La révolution avait défini la citoyenneté française comme "quiconque adhère à la révolution." Et effectivement en 1790, des Allemands et des Italiens, des Hollandais, s'étaient déclarés Français et étaient reconnus en tant que tels. Sauf que, Robespierre et les jacobins ont tout fait foirer pour finir par cette tentative monstrueuse, qu'on veut nous faire croire "glorieuse", d'établir cette Europe par la force avec Napoléon Bonaparte.

Réforme ou révolution ?

Les contradictions d'Amandine Crespy se sont révélées assez pauvres, de l'ordre des anciennes divisions gauche-droite. Il est évident que l'évolution proposée par Guérot, cette confédération helvétique généralisée, ne s'intègre pas dans le [[matérialisme historique]] de Karl Marx, toujours pervasif parmi les politologues de gauche. Celui-ci avait vu, après les états-nations créés par la bourgeoisie, l'arrivée du communisme et d'une société sans classes et sans nations. Qui y croit encore ?

Si Amandine Crespy ne pouvait pas remettre en cause l'analyse d'Ulrike Guérot sur la crise européenne et la perte de confiance des citoyens car c'est une réalité indiscutable, elle a, par contre, sans doute raison de remettre en cause la sincérité d'Emmanuel Macron quant à ses véritables intentions sur la réforme de l'Europe. Guérot cite de temps à autre Macron sur ses intentions de réformer l'Europe. Les derniers présidents français ont tous prétendu vouloir réformer l'Europe alors qu'ils étaient candidats mais y ont vite renoncé une fois élus. Même si Macron était sincère, il est bien trop occupé à réformer l'Etat français pour faire quoi que ce soit ailleurs. Son soutien à Madrid contre la Catalogne, son discours en Corse sont les preuves formelles qu'il ne remettra jamais en cause l'état-nation français, et, pour ceux qui défendent le statu-quo, il serait contradictoire de vouloir aussi abandonner plus de souveraineté à l'Europe et surtout à ses citoyens.

Les institutions européennes étant verrouillées par le consentement unanime des états, seul un mouvement populaire venant des citoyens pourra les changer. Les initiatives citoyennes européennes (ICE) sont peut-être une solution.

Philippe Argouarch

Modifié le 26/02/18 11 heures


Vos commentaires :
Lundi 29 avril 2024
Je suis d'accord, à la virgule prêt que la législation est ce que l'on veut qu'elle soit :
Légalement la Bretagne est toujours indépendante au vu du droit international, mais on nous impose une autre législation illégale qui ne nous pose aucun problème du fait de l'ignorance...

D'où l'importance des définitions et de faire passer l'information et la connaissance...
(Si je voulais être provocateur sur un exemple français, je dirai que ce n'est pas sans raison si Marion le Pen a quitté la politique pour créer une école...)

Oui, on se souvient de l'article très intéressant de Mikael Gendy mais qui partait dans une analyse pointue, brito-continentaux centré et surtout il a oublié de rappeler les 2 définitions qui actuellement s'opposent.

Je suppose qu'il y avait là l'incontournable auto-censure (car poser les 2 définitions revient à mettre immédiatement en accusation la République),cette même auto-censure que l'on retrouve chez les historiens bretons pour évoquer le caractère violent et illégal de l'annexion (1532, mais surtout l’existence d'un vrai traité 1499 qui garantie l'indépendance, nos historiens bretons présentant généralement l'annexion comme inévitable voir légitime...) puis de la suppression illégale et unilatéral de l'état breton (1789. Qui sait que la Bretagne avait conservé son état?), la même auto-censure que l'on retrouve chez Diwan pour enseigner l'histoire de Bretagne aux enfants (préférant se cacher de manière monolithique derrière la question de la langue).

Par ailleurs, on ne peut retenir la volonté d'un état-nation comme recevable pour affirmer l’existence ou non d'une nation sur laquelle elle impose sa contrainte... (Droit à l'autodétermination : Charte de l'ONU)

L'existence d'une nation est avant tout l'affaire du peuple concerné et par interaction celles des autres nations (les nations réelles). Ex: La République affirme que la nation bretonne n'existe pas or, partout où je voyage je me présente comme Breton (j'affirme ma nationalité bretonne, si on me pose la question je dis que malgré mes papiers officiels je ne suis pas français) et je n'ai jamais vu personne affirmer être en désaccord avec ce que j'affirmais... (Je doute fortement que si j'étais Sarthois revendiquant la nationalité Sarthoise la réaction des gens seraient la même...!)

A la rigueur ce qui interpelle les gens c'est qu'ils n'entendent rien venant des Bretons alors que Corses, Écossais, Catalans (et bien d'autres) donnent de la voix en Europe. (Pour l’anecdote, je viens d'entendre à la radio dans le cadre de la loi sur les ''fakes news'' que les événements en Catalogne seraient le fait des Russes, d'où l'utilité de cette nouvelle loi pour éviter le risque d'ingérence étrangère...)

Par contre, je ne suis pas d'accord avec vous quand vous dites : ''la nation bretonne n’existe que le dans le cœur des militants...''
Quand on sait que 80% des Bretons sont totalement ignorant de leur histoire (même dans le mouvement breton) et que rien n'est fait pour que cette ignorance se réduise (voir la démarche questionnable de nos historiens et de Diwan), on peut s'interroger comment 50% des Bretons parviennent encore à s'affirmer autant Breton que Français... vu que le discours officiel est que les Bretons n'existent pas et que seul les Français existent...

On me pose souvent la question suivante : quels sont les partis politiques et médias bretons vers lesquels s'orienter pour s'informer...

J'avoue, je suis toujours gêné pour répondre : Entre l'ignorance cultivé par nos historiens et par Diwan, l'attitude de nos partis politiques et la segmentation de nos médias, il n'y a pas grand chose qui puisse convenir à un citoyen breton (non militant) mais qui voterait bien pour son pays la Bretagne (affirmant par là, sa nationalité)...

PS : Pour illustrer ce portrait, je me permet de reprendre la phrase de Paul Léon Créton sur NNDL :
«Il aurait dû associer les Bretons, susciter leur réflexion. Et être bien exposé aux Bretons et débattu par eux! Ce qui n’a pas été le cas car il n’a pas été imaginé pour eux !»

Et oui, comment convaincre les citoyens bretons en un avenir quand nos médias et nos partis politiques bretons se sont violemment déchirés sur la question du ''pour'' ou ''contre'', quand par ailleurs la démocratie bretonne était niée de manière sublime sans que cela ne soulève le débat et un minimum de position commune...!

Cordialement,

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