Le testament du CELIB

Chronique publié le 28/11/17 20:51 dans Economie par Philippe Argouarch pour ABP
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Quand des Bretons éveillèrent la Bretagne : Le CELIB , le livre de Claude Champaud, un des pères fondateurs du CELIB (le Comité d’études et de liaison des intérêts bretons) et un des rares acteurs encore en vie de ce formidable mouvement que fut ce sursaut breton d'après guerre, s'impose comme un testament de toute une génération de Bretons soucieux de l'avenir de la Bretagne.

Juriste de formation et professeur, ancien président de l'Université de Rennes I, chercheur sur le rôle et la responsabilité de l'entreprise dans la société, [[Claude Champaud]], qui aura 90 ans au mois de janvier, a longtemps été le vice-président du CELIB. Il est à l'origine du [[club des Trente]] .

Le livre paru en septembre 2017 est le premier d'une nouvelle collection Découverte de l'Histoire de Bretagne dirigée par Frédéric Morvan du Centre d'Histoire de Bretagne.

Je l'ai lu entièrement, non par devoir en tant que journaliste ayant reçu le livre gratuitement, mais par respect pour un groupe de Bretons qui auraient pu fermer les yeux sur cette misère bretonne d'après guerre où il existait encore des corps de fermes au sol de terre battue et même des penn-ti où l'on partageait une pièce commune avec d'un côté les animaux et de l'autre les humains. Une Bretagne qui, de plus, se désertifiait, se vidait de ses habitants qui émigraient en masse vers la région parisienne ou d'autres grandes villes de l'Hexagone.

Le premier président du CELIB, René Pleven, fut décisif. Très tôt compagnon et ami proche du général de Gaulle, car en Angleterre avant lui pour des raisons professionnelles, il l'avait rejoint dès les premières heures. Le CELIB a pu jouer de ces appuis de premier ordre au-dessus de tous les soupçons dont la République a l'habitude dès qu'on parle de régions.

Le CELIB a su mettre la pression pour proposer des lois programmes et guider les élus divisés au sein d'une gauche et d'une droite dont les jeux de pouvoir ne faisaient qu'affaiblir tout rapport de force conséquent.

Nous savons tous que nous devons au CELIB le réseau routier gratuit arraché de haute lutte alors que la France était aux prises avec la révolte paysanne, les attentats du FLB et une guerre de libération nationale en Algérie il faut le préciser. Mais le CELIB a aussi accéléré l'électrification des campagnes bretonnes et poussé le TGV Atlantique, la construction du port de Roscoff et la création de la Brittany Ferries, l'arrivée de l'industrie automobile à Rennes et même le développement du transport aérien. Le projet de NDDL est soutenu par le CELIB depuis 1963. Dans une interview du Télégramme, Phlipponneau n'hésite pas à dire ceci : "Si le blocage du projet avait existé du temps du CELIB, je peux vous dire qu'il n'y aurait plus beaucoup de guignols à Notre-Dame-des-Landes. Les tracteurs seraient venus par là. La Bretagne a des atouts mais pour l'assurer d'un avenir, il y a des choses à faire, comme Notre-Dame-des-Landes. Ce sont 7.000 emplois tertiaires qui viendraient s'agglomérer autour, à la condition qu'il soit international". Il déplore page 75 que la zone de non droit (la ZAD) "assassine l'avenir de nos territoires et l'espérance de nos petits-enfants" car dans le cadre de la mondialisation, des entreprises de pointe ne manqueraient pas de s'implanter dans un rayon de 100 km.

Par contre, en ce qui concerne la centrale nucléaire de Plogoff, on ne peut que regretter le manque de discernement du CELIB. Champaud s'en prend à Mitterrand pour l'avoir suspendue, mais oublie de dire que l'abandon du projet était dans ses promesses de campagne. Il voit dans cet abandon une des causes du déclin du CELIB mais sans expliquer vraiment ce point de vue. Le déclin du CELIB semble se placer plutôt dans le contexte de l'apparition d'un Conseil régional et de la réforme territoriale Defferre avec la création des régions administratives (la réforme que de Gaulle voulait faire en fait, et que la gauche reprit à son compte 12 ans plus tard après l'avoir refusée)

Claude Champaud nous fait un récit détaillé de tout ce qui a été obtenu et de tout ce qui a été initialisé comme l'Université de Bretagne Occidentale ou l'Institut culturel. Il finit le livre par énumérer les cinq enfants du CELIB : l'institut de Locarn et le club des Trente, le think tank Bretagne Prospective, Produit en Bretagne, REDEO (ose et rêve la Bretagne) et STATBREIZH.

C 'est un livre courageux qui admet que le CELIB a commis des erreurs comme un remembrement excessif. Mais grâce au CELIB, l'agriculture bretonne est sortie du Moyen-Age --ce qui a permis aux paysans bretons de devenir chefs d'exploitation et d'avoir suffisamment de ressources pour envoyer leurs enfants à l'université. Champaud reconnaît aussi que des membres importants du CELIB, y compris René Pléven, ont appelé à voter NON lors du referendum de 1969 pour la régionalisation et la réforme du Sénat. On aurait voulu en savoir plus sur leurs arguments.

Ce que le CELIB a fait ici en Bretagne, il faut le faire dans toutes les régions de France__Général de Gaulle à Quimper en 1969

Champaud n'hésite pas aussi à régler des comptes. Il accuse Michel Phlipponneau d'avoir trahi l'esprit du CELIB en voulant jouer la carte du Parti Socialiste. L'universitaire finira par quitter le bateau pour tenter de faire un CELIB de gauche alors même que l'esprit du CELIB était de rassembler tout le monde (et tout le monde y participa sauf le PCF et la CGT). Il faut "conduire la Bretagne vers le socialisme et les socialistes vers la régionalisation" déclarera alors Phlipponneau. Michel Phlipponneau est par là le père spirituel de l'UDB, de ceux qui ont cru naïvement que la gauche et la gauche seule pouvait apporter une solution aux problèmes bretons alors que le CELIB est la preuve même, la preuve historique, que la Bretagne réussie quand elle est unie transversalement au-delà des divisions gauche-droite. Phlipponneau finira par rejoindre le centre politiquement, il faut le préciser. Sa contribution au CELIB est toutefois importante, elle comprend l'inventaire économique ou la rédaction de la loi programme en faveur de la Bretagne.

Les Bretons sont installés dans une sorte de cocon existentiel dont ils ne s’affranchissent que pour défendre des intérêts catégoriels ou égoïstes, sans réelle vision de l’avenir de leur région. __Claude Champaud dans une interview donnée à Breizh-info

Vu l'emprise des partis hexagonaux sur le Conseil régional, l'absence d'élus "régionalistes", on se demande pourquoi personne ne reprend le flambeau d'un mouvement unitaire avec l'esprit du CELIB. Des tentatives ont existé dans la foulée du mouvement des Bonnets rouges, mais sans personne haut placé auprès du président de la République, la chose est difficile, d'autant plus que Jean-Yves le Drian n'est pas René Pleven. Le Drian a la balle entre ses mains, mais ne joue aucun rôle pour la Bretagne. Personne ne le niera. Il aurait pu exiger la réunification administrative. Il aurait pu exiger l'officialisation du breton, la modification de la Constitution pour ratifier la charte des langues régionales. Habitué depuis des décades à la langue de bois, il a trouvé le poste idéal comme ministre des Affaires étrangères car Le Drian comme d'autres élus bretons, pense d'abord à la France. Il veut vendre des Rafales, pas des litres de lait.

Depuis la disparition du CELIB et de son champion René Pleven, plus rien n'a été réalisé en Bretagne. Les hydroliennes rouillent, le parc éolien offshore de Saint-Brieuc n'a pas encore décollé, la construction de l'aéroport de NDDL est bloquée, la PAC a été sérieusement malmenée, les fermes sont vendues pour en faire des maisons d'hôtes et les producteurs de lait touchent le RSA ou se suicident alors qu'il n'y a plus de beurre aux rayons de certains supermarchés.

Modifié le 30/11/2017


Vos commentaires :
Dimanche 5 mai 2024
Pour être fidèle et précis pour ce qu'à écrit M.Phlipponneau, voici le texte du paragraphe de la fin de l'introduction ci-dessous Désolé pour la présentation peu claire et la lisibilité...

« L’exemple breton, parce qu’il a valeur de symbole, peut éclairer ce grand combat : pouvoir régional oui, pouvoir du peuple, pour le peuple. Que la Gauche le comprenne. Aujourd’hui, affaiblie, divisée, traumatisée par ses échecs autant que par l’absence d’un modèle cohérent et crédible, elle pourra alors regarder l’avenir avec confiance, en répondant à sa véritable vocation : établir la démocratie et le socialisme, de la région à l’Europe.
La tâche est immense. Les jeunes Bretons peuvent prendre l’initiative en répondant à l’appel de ce livre : Debout Bretagne, debout Bretagne.»

Écrit donc en 1970!

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