Texte poétique, Marie-Hélène Prouteau

Chronique publié le 14/11/17 13:59 dans Cultures par Brigitte Maillard pour Brigitte Maillard

«S’approprier l’espace d’une ville nécessite un patient apprentissage. Cet apprivoisement progressif, Marie-Hélène Prouteau la Bretonne, venue enfant de sa Beauce d’adoption pour vivre à Nantes, le revit par l’écriture. Suites nantaises, La Ville aux maisons qui penchent offre un parcours poétique varié, drainé par le regard sensuel de l’écrivain, un regard aiguisé tout à la fois par la beauté changeante de la lumière de l’eau et par celle de la pierre. Par la magie de leur fusionnement. Mais aussi par les fantômes du passé que la lecture vagabonde à travers la ville éveille. Un univers qui apparie habilement une réflexion profonde à la rêverie flâneuse.» extrait Note de lecture Angèle Paoli, Revue Terres de femmes (voir le site)

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Madame Keravec

C’est un peu après l’exposition « En guerres », au Château des Ducs de Bretagne.

Si violent, le choc qui s’impose à la lecture de cet encart : « Madame Keravec, quatre fils tués à la guerre de 1914-1918 ». Un couperet qui glace subitement toute pensée. Cette terrible histoire ne lâchait plus. Il fallait en savoir plus. Rechercher et rencontrer sa petite-fille. Il y a des destins qui ensorcellent par le feu noir qui brûle en eux.

Démence de l’Histoire qui a permis ça : le meurtre accompli d’une mère.

On se prend à imaginer l’année 1914, cet avis qu’elle reçoit par trois fois, qui fait entrer le malheur à la maison. Insupportablement. Le souffle coupé, le corps tout entier foudroyé devant le courrier bref, froid, porteur de catastrophe. Noire Annonciation. Ne plus jamais les tenir dans ses bras ? Le mari malade, atteint de tuberculose, se mure dans son silence.

Elle, il lui faut bien se remettre à vivre. Malgré la mort. Tellement là, la mort. Madame Keravec habite le quartier Chantenay et travaille aux bateaux-lavoirs. Alors on devine. L’attente. L’espoir pour le dernier fils. Peut-être y aura-t-il une lettre de lui ? Quatre ans que ça dure. Et voilà qu’un nouvel avis vient dire qu’il est mort des suites de ses blessures. La même année, le mari de Madame Keravec meurt.

Cette mère des douleurs, Marie-Anne Keravec, a perdu André, en 1914, à Fère-Champenoise. Jacques, en 1914, à Zonnebeke. Pierre, en 1914, à Erbéviller-sur-Amezule. Boniface blessé, en 1918, à Quimper.

Saisons à vie des douleurs.

Tués pour des raisons qui échappent à Madame Keravec ; les appétits féroces des empires, le mécanisme des alliances, l’implacable géopolitique, elle ne sait pas ce que c’est. C’est loin la Fère-Champenoise et Zonnebeke ? Ça fait une longue route vers Erbéviller ?

Tout ce qu’elle sait, c’est que ses quatre garçons, on les lui a arrachés. Et que sa vie, on l’a détricotée à l’envers. On lui a défait son ventre rond, on lui a défait ses accouchements. Comme si ces quatre corps de nouveau-nés n’étaient jamais passés entre ses jambes.

Là-bas, quelque part vers les frontières belges, allemandes, il n’y a plus ni buissons ni bois, ni forêts.

Et l’âme humaine, peut-on la reboiser ? Celle de Madame Keravec est dévastée.

Quatre obus pour une vie chavirée de peine et de silence.

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Marie-Hélène Prouteau «La ville aux maisons qui penchent»

La Chambre d’échos, juin 2017, 86 pages, 12 €

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Notes de lecture de ce livre :

La Cause Littéraire : (voir le site)

Terres de femmes : (voir le site)

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Bio Marie-Hélène Prouteau à découvrir « Maison des Ecrivains et de la Littérature » (voir le site)

Editions La Chambre d’échos (voir le site)

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L’auteur sera présente le dimanche 19 novembre au Festival du livre en Bretagne de Guérande, à Batz, sur le stand de «La Gède aux livres».

(voir le site)


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