Entretien avec l'auteure :
«ABP : Une thèse soutenue en mars 2015, un livre en 2017. Pourquoi avoir attendu si longtemps ? »
FC : C'est tout un travail de trouver un éditeur... L'Harmattan à Paris était d'accord pour l'éditer mais je voulais que ce soit en Bretagne, cohérence exige... Aussi, je remercie Yoran d'avoir eu le courage de le faire, car probablement il n'en fera pas un best seller, mais un livre nécessaire, vu le peu de productions sur le sujet, malgré les quarante ans de vie de cette expérience humaine unique, quand on sait à quel point les Bretons ont du mal à s'unir durablement pour une cause... Et puis, il fallait le réactualiser, gommer les 1000 notes de bas de page, garder ce qui pouvait intéresser les gens à l'intérieur de Diwan et ceux qui découvrent pour la première fois cet «univers foisonnant» (Ronan le Coadic).
«ABP : Quelle méthodologie pour mener ce travail as-tu choisie ?»
FC : D'abord, des entretiens exploratoires, sur Diwan, avec une question toute simple. 80 entretiens ont suivi, auprès de Denez Abernot, Bob Simon, Jakez ar Born, David ar Gall, des enseignants, des artistes, des responsables de Diwan, des adolescents... Et puis deux enquêtes auprès de 360 jeunes du lycée Diwan de Carhaix. Une compilation importante ensuite, de textes scientifiques sur Diwan : et oui, on s'intéresse à Diwan en Pologne, en Angleterre, au Pays de Galles, à New York... J'ai ensuite cherché quelles étaient les stratégies de revitalisation de la langue aujourd'hui en action en Bretagne. Qui parle breton parmi ces centaines de jeunes, une fois sortis du lycée ? Quel breton ? Quels espaces de parole ? Et j'ai rencontré des expériences magnifiques, mais aussi des échecs, des doutes, des essais...
«ABP : tu parles de »machine à créer«, des »enfants gâtés de l'Emsav«, des »libres enfants de Kerampuilh«. Diwan : un univers de gens privilégiés ? »
FC : Non, des résistants, des créatifs, des familles qui parlent breton à la maison pour 10% d'entre elles (chiffres qui fluctuent chaque année), des jeunes qui ne sont pas plus riches que les autres matériellement (le lycée de Carhaix a plus de boursiers que la moyenne bretonne), qui sont multilingues, voyageurs, et qui ne répondent pas forcément aux attentes de leurs parents. Qui leur en voudrait ? Ils voyagent plus que la moyenne bretonne, ils créent des associations, communiquent en plusieurs langues,... et tous ces terrains d'étude (que les Basques explorent sans arrêt) restent en friche. Les pratiques sur internet, les enfants qu'ils ont maintenant et qu'ils mettent (ou non) à Diwan, les parents enseignants, les grands mères qui parlent breton à leurs petits enfants alors qu'elles parlaient français à leurs enfants, les pères qui changent de langue pour parler breton quand les enfants grandissent avec une mère bretonnante... : autant de terrains passionnants...
«ABP : Alors Diwan, une machine fragile ?»
FC : Bien sûr, Diwan est soutenu par la société civile qui, à chaque coup dur, vient aider Diwan. Mais avec 1% des élèves en immersion qui parlent couramment breton sur la population scolaire globale en Bretagne, peut-on revitaliser une langue ? Il faudrait être plus ambitieux, offrir un enseignement en breton à tous les enfants qui ont des parents qui le souhaitent. Aider les adultes avec des formations gratuites et de longue durée en breton. Aider les enseignants en leur proposant des ateliers en breton menés par des profs de théâtre, de sport, d'activités artistiques en breton...
Et puis faire de la langue l'affaire de tous. Diwan est une locomotive, mais elle est traversée par les soucis du milieu associatif aujourd'hui : bénévoles moins nombreux, charges administratives très lourdes... «Une culture est morte quand on la défend au lieu de l'inventer» dit Paul Veyne. Diwan a beaucoup inventé de voies nouvelles, formé des milliers d'enfants et d'adolescents. Avec Stivell, des milliers de jeunes Bretons ont découvert qu'ils étaient de ce pays, avec Servat, Glenmor, Keineg, ils ont su qu'ils voulaient l'inventer. Plus d'audace, de rêve, de folie... Ils avaient créé l'impossible. Et adossé leur échelle aux étoiles.
À nous tous de les rejoindre, d'être plus exigeants, de rêver à un avenir en breton, d'encourager et de remercier les milliers de bénévoles, de donateurs, de fous furieux qui ont créé la Redadeg, qui ont cru qu'il était possible de parler breton à ses enfants en 2017 autant qu'en 1977... La roue tourne et d'autres bouches, d'autres têtes blondes, d'autres personnes âgées vont rire et pleurer, dans cette langue phénix qui ne veut pas mourir, portée par des générations de militants, de personnes qui défendent les droits des hommes à parler leur langue sur cette planète.
Illustré par 25 photos d'Éric Legret, 350 pages, 25 euros
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