Nous continuons notre tour des lettres de Loeiz Herrieu pendant la Première Guerre mondiale, « ar Brezel Bras ». Suite de l’entretien.
ABP : On découvre ici l’homme de foi qu’est Loeiz Herrieu.
DC : En effet, Loeiz est un chrétien fervent. Un chrétien qui, au milieu de la guerre, continue de nourrir sa foi : il a, dans ses musettes, une édition en petit format du Nouveau Testament et des Actes des apôtres, une édition des Pensées de Pascal... Face à la guerre, il réagit comme l’immense majorité des catholiques de son époque en France et fait sienne la position officielle de l’église : ce n’est pas Dieu qui est responsable de la guerre, mais bien les hommes eux-mêmes. Dieu, lui, a permis qu’elle vienne pour que les hommes prennent justement conscience de ce que leur malignité — le fait de mal employer leur liberté d’hommes — a causé. Dieu seul pourra maintenant faire qu’elle prenne fin ; il lèvera sa main de sur les hommes — mettra fin à leur châtiment — lorsqu’il jugera que la dette qu’ils ont envers lui sera payée. Et cette dette, seules les souffrances des justes — de ceux qui acceptent sa volonté sans rechigner — pourront la racheter. En effet, les souffrances des méchants — de ceux qui récriminent contre Dieu, qui ne veulent pas revenir vers lui —, Dieu ne les agrée pas... Si cette conception est aujourd’hui bien éloignée de notre vision des choses, elle est largement partagée il y a un siècle. C’est celle qu’on prêche dans les églises le dimanche, celle qu’on peut lire dans la presse catholique. Mgr Gouraud, l’évêque de Vannes, va publier, en 1916, un ouvrage qui va faire un certain bruit dans la France catholique ; son titre est particulièrement clair : Dieu attend ! ... Le sens du sacrifice consenti a son importance quand il s’agit de comprendre comment les mobilisés sous l’uniforme, comme d’ailleurs les civils à l’arrière, ont pu tenir si longtemps. Dans ses lettres de janvier 1919, des lettres de bilan finalement, Loeiz ne dit pas qu’il a réussi à s’en tirer vivant ; il dit : « La mort n’a pas voulu de moi ». Autrement dit : Dieu a fait sa volonté...
On relèvera aussi dans cette lettre du 30 juin 1916, la demande de prière : « Priez pour moi ». La prière est quelque chose de fondamental pour Loeiz. Cette demande faite aux siens de l’assister des leurs n’est cependant pas très fréquente ; elle ne vient que quand le danger est là. Et c’est vraiment le cas ici.
ABP : Loeiz a souvent été à l’arrière du front. Peut-on l’expliquer ?
DC : Il y a l’avant de l’arrière et l’arrière de l’avant ! ... Comme disent certains, l’arrière commence là où, en revenant de l’avant, on rencontre le premier gendarme militaire ! ... En ce 30 juin 1916, nous sommes sur le front de la Somme. L’offensive alliée va être lancée le 1er juillet au matin. Elle aurait déjà dû l’être, mais il a fallu la remettre parce que le temps était mauvais. L’artillerie, elle, pilonne les lignes et les communications allemandes depuis des jours et des nuits. Des milliers de pièces alignées sur 45 km de front; un feu roulant qui jamais ne s'interrompt. Elles sont positionnées à quelques kilomètres en arrière des premières lignes ; c’est là leur place normale. C’est là aussi la place des régiments — dont le 88° R.I.T., celui de Loeiz — qui assurent la logistique des jeunes de l’armée d’active qui vont se lancer dans l’offensive. On est, bien sûr, au cœur des... choses, sous le pilonnage de l’artillerie allemande qui, bien entendu, répond sur le même mode ! ... Bien loin de ce que nous imaginons être un arrière tranquille et sans danger ! ... Au-delà des obus ennemis qui sifflent, mugissent, hurlent, chuintent ou ahanent avant de grêler et d'exploser, c’est une véritable forge qui s’est déclenchée ! ... Une forge qui gronde sans arrêt depuis des jours et des nuits ! ... Une atmosphère difficilement respirable. Un enfer de bruit auquel il est impossible d’échapper ; un univers totalement inconnu de la plupart de ces hommes, en particulier de ceux qui viennent de Bretagne où, à cette époque, la mécanisation n’a pas encore gagné les campagnes. Impossible, évidemment, de dormir convenablement, de se reposer même. Dans une autre lettre, Loeiz dira que, allongé par terre, son cœur lui saute littéralement dans la poitrine... Un traumatisme dont on ne parle que récemment ; et encore seulement entre historiens. Cela a, disons-le, très peu de choses à voir avec les images classiques de la guerre qu’on déroule encore trop souvent le 11 novembre devant les monuments aux morts...
Bien sûr, tout le monde sait — les Allemands y compris, qui sont même si au courant du plan allié qu’ils ont mis une bonne partie de leurs troupes à l’abri du pilonnage ! — qu’il va y avoir une offensive.
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