Les expériences démocratiques en Bretagne

Communiqué de presse publié le 24/11/16 10:48 dans La réunification par Caroline Ollivro pour Caroline Ollivro

Cet éditorial s’inspire d’une conférence réalisée à Guingamp le 15 octobre dernier au Centre culturel breton, lors d’une journée organisée par l’Institut de Documentation Bretonne et Européenne (IDBE). Les propos qui suivent n’engagent que leur auteur.

Il existe des expériences démocratiques partout dans le monde que nous appellerons aussi stratégies de contournement. Ces expériences sont malheureusement fréquemment noyées dans le sang dans les pays de dictature.

Alors qu’elles prennent de l’ampleur depuis le XXe siècle et apparaissent par exemple comme des sas de respiration dans un pays travesti en patrie des droits de l’homme, la France. Ces stratégies de contournement seraient des soupapes qui pourraient éviter au pays de sombrer dans le chaos. Aussi ces expériences démocratiques peuvent être combattues par l’État mais la plupart du temps elles sont tolérées. Et parfois même, elles anticipent le droit qui finit par valider un état de fait ; ou alors elles influencent l’action du gouvernement qui doit plier face à une démarche qui rencontre l’adhésion populaire (les Bonnets Rouges contre l’écotaxe par exemple). Ces stratégies de contournement existent par réaction à un État jacobin qui ne répond pas aux aspirations démocratiques de la majorité des citoyens. Et elles sont d’autant plus importantes et nécessaires en Bretagne car la région est à la fois le penn-ar-bed de l’Europe - un territoire un peu à part géographiquement - et historiquement c’est une terre d’indépendance, une région à l’inventivité et à la solidarité marquées.

Par souci de simplification, il s’agira ici de classer en deux catégories ces expériences démocratiques nombreuses au risque bien entendu d’en oublier, hélas, beaucoup. D'une part, les expériences démocratiques qui naissent des manquements de l’État ou bien qui éclosent face à l’obstination jacobine d’un gouvernement. D'autre part, des expériences démocratiques « épidermiques » - le rejet d’un projet - qui entraînent des manifestations, des actions coup de poing… Ces différentes stratégies de contournement rencontrent parfois le succès, parfois l’échec.

Des expériences démocratiques en réaction aux défaillances de l'État

Dans les domaines économique et politique, le CELIB (Comité d'Étude et de Liaison des Intérêts Bretons) a promu dès les années cinquante le développement économique de la Bretagne et son identité. Sur l’impulsion de Joseph Martray et de René Pléven, associés à des acteurs économiques, culturels, nombre d’élus bretons faisant fi de leurs étiquettes politiques ont uni leurs forces pour faire sortir de l’ombre leur région. En 1950, ce sont 90 % des logements ruraux bretons qui n’ont pas l’eau courante contre 34 % en France ! Ce lobby, né le 22 juillet 1950, fera aussi pression sur l’État qui délaisse alors ce Finistère qui n’en vaut sans doute pas la peine à ses yeux et obtiendra également, entre autres, le plan routier breton.

Produit en Bretagne est une association qui voit le jour en 1993 alors même que la situation économique est tendue et que l’État ne répond pas aux attentes de la région. C’est la crise de la pêche, un choc pétrolier etc. Des délocalisations sont prévues d’autant que la Bretagne est éloignée de l’axe lourd européen. L’association est créée pour éviter le naufrage des entreprises bretonnes, des producteurs locaux. L’idée est géniale : valoriser un produit par l’origine de sa fabrication. Quelques fous (le pari était immense pour l’époque et l’opération inédite) y croient dès le départ et aujourd'hui par exemple 300 entreprises sont membres de Produit en Bretagne et emploient 100.000 salariés. L’association au logo bien connu des consommateurs a désormais une notoriété remarquable auprès des Bretons puisque 97 % d’entre eux connaissent Produit en Bretagne. Étrangement, la démarche a des difficultés à s’exporter ailleurs… Il existerait bel et bien un esprit breton pour ce type d’aventure. Le Club des Trente, l'Institut de Locarn et tant d’autres en témoignent.

En ce qui concerne les domaines géographique et politique, Bretagne Réunie, 44 Breizh et tant de Bretons militent pour la réunification de la Bretagne, pour des motifs économiques, de justice spatiale et historique. De grands rassemblements ont lieu depuis des années, des initiatives sont prises régulièrement et sans doute que les modalités d’action sont à renouveler au XXIe siècle pour faire accepter par l’État la réunification plébiscitée par la majorité des Bretons. Or, c’est pour le moment un constat d’échec même si la mobilisation ne doit pas faiblir. L’État reste sourd aux revendications démocratiques des Bretons. Les exemples de la Catalogne ou de l’Écosse crispent encore davantage l’État centralisateur qui est aux aguets. Cependant, est-il indispensable pour les Bretons que cet État accepte B5 ? Au lieu de quémander, ne faudrait-il pas « prendre»? Comment ? En réalisant une stratégie de contournement à la façon d’un Produit en Bretagne justement.

Bien des juristes (la cour d’appel de Rennes travaille sur les cinq départements), bien des entrepreneurs, bien des acteurs culturels, nombre de Bretons font vivre la Bretagne réunifiée au quotidien. Il manque la reconnaissance politique ? Est-elle nécessaire finalement ? Après tout, la Bretagne au coeur de chacun fait vivre l’entité géographique et culturelle par chaque discussion, chaque prise de position, par chaque action dans le cadre des cinq départements et au-delà grâce à la diaspora bretonne. Un autocollant 44 sur la voiture ne suffit certes pas mais c’est un petit geste - effectué par des milliers d’automobilistes - aux multiples effets. Il fait exister le territoire reconnu et vécu par ses habitants. On peut éventuellement souhaiter que le législatif, un jour, entérine un état de fait, une situation de droit que les quelques millions de Bretons ont non seulement voulue mais qu’ils ont finalement réussi à imposer…

En matière de culture, donner un prénom breton à son enfant a longtemps été interdit, et pourtant, combien de parents ont bravé l’interdiction ! Le politique a plié, le droit a finalement validé une situation qui se généralisait. Quant à l’enseignement de la langue bretonne, il est présent dans les trois filières Diwan, Divyezh et Dihun. L’implantation de ces écoles n’est pas toujours facilitée par les collectivités territoriales, la langue bretonne ne progresse pas autant qu’espéré en raison des blocages politiques, institutionnels. Cependant, la première école Diwan a été fondée en 1977 par des parents bien seuls au départ (face à une institution qui ne les reconnaissait pas et des Bretons souvent dubitatifs) mais unis et déterminés. Pourtant, que de chemin parcouru depuis 40 ans ! Tant de choses restent à faire il est vrai et la situation n’est pas toujours glorieuse. Beaucoup d’énergie est dépensée, mais pas pour rien, de plus en plus d’enfants apprennent la langue et reprennent le flambeau délaissé par leurs aînés.

Des expériences démocratiques épidermiques en réaction à des projets imposés d'en haut

Ici il s’agit de rassemblements spontanés qui contestent une décision qui semble injuste et qui pourrait impacter durablement la vie au quotidien. Ces expériences démocratiques ne sont pas forcément des projets mûrement réfléchis depuis des mois ou des années, elles sont néanmoins aussi importantes qu’une stratégie de contournement finement élaborée. Elles témoignent que le peuple n’est pas passif, qu’il est animé d’intelligence, de courage, de détermination, ce qu’oublient trop souvent les dirigeants. Elles témoignent également que les projets descendants, c’est-à-dire imposés par l’État, auront désormais de plus en plus de difficultés à exister. L’entrée des réseaux sociaux dans la vie des gens y est certainement pour beaucoup. Ils s’informent mieux ou plus vite, comparent avec ce qui se fait ailleurs, découvrent, expérimentent alors.

En 1978, lorsque la population de Plogoff s’élève contre le projet d’implantation d’une centrale nucléaire, internet n’est pas là, mais la détermination des Bretons, si. Il y a unanimité contre un projet qui apparaît non justifié et dangereux aux yeux d’une population qui fait front. Une expérience est en cours, quasiment du jamais vu à l’époque. Le titre du film « Des pierres contre des fusils » est bien choisi. Il parle de lui-même. L’État cède en 1981.

Dernièrement en 2013, l’État cède encore sur l’écotaxe face à la détermination des Bonnets Rouges qui affole jusqu'aux média internationaux. Mais si les portiques sont évités, le Pacte d’avenir pour la Bretagne est une supercherie, un échec pour la région.

4.000 manifestants le 11 septembre dernier à Lannion contre l’extraction du sable dans la baie. Le Peuple des Dunes avec à ses côtés les habitants et les élus trégorrois obtiennent que l’extraction soit suspendue après une rencontre avec la ministre de l’Environnement. Un bilan sera effectué après des inspections. L’État patine, l’État cède à chaque fois ? Évidemment que non. On ne sait pas, pour lors, au vu des multiples rebondissements ce qu’il va advenir du projet décidé dans les années 1970 (!) de l’aéroport de Notre Dame des Landes.

À te regarder, ils s'habitueront, René Char

L'État peut céder face à la multiplication des expériences démocratiques de toutes formes que les réseaux sociaux contribuent à diffuser. Il peut tolérer ou valider parce qu’il craint un débordement menant à l’implosion dans un contexte de crise économique et sociale. Cependant, il peut aussi se crisper davantage à court terme car le jacobinisme est arriéré et ses défenseurs sentent que la baraque craque de toutes parts. Ce qui importe, c’est de ne pas renoncer à toutes ces stratégies de contournement (si les résultats des urnes ne suffisent pas) qui font vivre la démocratie et de cesser de demander l’aval de l’État pour…faire. Agissons au quotidien, sans violence mais avec assurance. « Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s’habitueront. ».

Caroline Ollivro, présidente de Breizh Europa


Vos commentaires :
Paul Chérel
Vendredi 15 novembre 2024
Ce tableau, bien qu’un peu superficiel, est bien dressé, mais il serait souhaitable à mon avis de remplacer dans le titre, le mot” “démocratiques” par celui de “populaires”
Car il s’agit presque toujours, dans la liste présentée comme “expériences” de “victoires” (à la Pyrrhus), de mouvements ou réactions fomentés à l’origine par des acteurs étrangers aux vraies préoccupations et besoins des Bretons tels que défendus - assez mollement, il faut le dire - par les mouvements politiques bretons. L’influence, notamment, des mouvances écologiques” y est, souvent hélas, prépondérante.car il est très facile de mobiliser le peuple, surtout quand on fait appel à ses sensibilités primaires. (épidermiques nous dit l’article).
Le cas “Celib” peut donner l’impression de faire exception mais l’exemple donné du plan routier breton n’est guère convainquant. Il s’apparente plutôt à la prétendue “victoire” du CR B4 concernant le TGV qui raccourcit fortement le temps de trajet entre Brest et ... Paris.
Ce ne sont en aucun cas des expériences à qualifier de “démocratiques”.
« Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s'habitueront. ». nous dit l’article en citant René Char.
Voilà ce à quoi devraient s’atteler tous les mouvements bretons après s’être réunis autour d’une table pour élaborer une charte commune, dessinant un avenir pour la Bretagne, différent de celui qui manque d’ailleurs à la France, et exposant, avec arguments à l’appui, les raisons profondes d’opposition et de contournements de maintes décisions prises ou non-prises par la France concernant leur pays. Finis les pactes et contrats de plan dont la France impose la signature à ce qu’elle appelle ses territoires et régions. La Bretagne définit et met en application ce qu’elle décide pour le bien-être de sa population.
Paul Chérel

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