Dans la revue ArMen n° 106 de septembre 1999, paraissait un article de George Minois consacré à la Duchesse Anne. Je me rappelle l'avoir lu avec une certaine méfiance …
Comme beaucoup d'entre nous qui aimons la Bretagne, nous savons que son peuple fut longtemps « réputé étranger » dans le corps de la France, car il fut une « nation », car il usait d'une langue héritière du gaulois, car ses moeurs portaient l'empreinte d'anciennes coutumes qui avaient disparu outre la péninsule, car il fut longtemps indépendant et son Duc ne rendait que l'hommage simple, car les armées du roi de France n’étaient jamais certaines de le vaincre.
Il se défia toujours du pouvoir central, qui s'en méfiait de même.
Par conséquent depuis toujours, les Bretons furent victimes de moqueries, de sarcasmes et de stéréotypes, de ceux qu'on délivre aux étrangers… et c'est une litanie (1), depuis Ermold Le Noir plagiant César ou Tacite, en passant par Grégoire de Tours, Guillaume de Poitiers, Raoul Glaber, Du Cange, Balzac, Mérimée... car d'après le chercheur Ronan Le Coadic « Tant que les Bretons affirment leur souveraineté, ou expriment des velléités d’indépendance ou d’émancipation, ils sont présentés sous les traits les plus noirs ».
Hélas pour eux, ces stéréotypes en révèlent beaucoup sur leur auteurs, choix politiques chez Grégoire de Tours, sottise chez Mme de Sévigné, ignorance chez Dutourd (le breton est un patois), Mélenchon (Diwan est une secte) ou Favier (2), psychologie grossière chez Balzac qui donne rarement dans la finesse (3), complexes de supériorité lassants chez Stendhal (7), voyageant en Bretagne…
Personnellement, cela ne me touche pas beaucoup, car il n'y a que la vérité qui blesse. Mais quand il s'agit de critiquer la Bretagne, je suis vigilant et ne les accepte pas sans broncher… quand, derrière ces critiques, se niche la malveillance.
Dans un article ABP de 2008 (4), Bernard Le Nail dressait la longue liste des ouvrages écrits sur Anne de Bretagne et s’intéressait tout particulièrement à ceux de Georges Minois et Philippe Tourault. Il se trouve que je viens de lire les deux.
Celui de Tourault (5) est honnête et donne une image positive de notre duchesse, néanmoins il est peu approfondi. Celui de Minois (6), un historien, traite son sujet de manière beaucoup plus fouillée et, sans doute plus que d'autres, agacé par cette auréole légendaire qui s'attache au personnage, il s'attarde davantage sur la personnalité d’Anne, scrutant ses traits de caractère et ses moindres défauts en évitant les outrances mais pas toujours les piques. Néanmoins je pense que son livre est un ouvrage de référence sur Anne de Bretagne car les jugements de l'auteur n’obèrent pas le nôtre au vu des arguments fournis.
Anne n'était probablement pas une belle femme mais elle a pu être vive, piquante, gracieuse et même jolie dans sa prime jeunesse, quand elle fut heureuse. Son éducation fut soignée mais courte car les déboires de son père et la guerre durent perturber sérieusement son instruction, d'autant qu'elle se maria à quinze ans !
Que ce fut le prince de Galles, Maximilien, Charles VIII ou Louis XII, son avis ne compta guère quand il fallut lui trouver un mari, seules des considérations dynastiques et géopolitiques furent prises en compte car c'était un beau parti, un morceau de choix, la Bretagne surtout, mais déjà, toute jeunette, elle montra du caractère en refusant Alain d’Albret, cet homme laid, décidément, couperosé, ce soudard à coucher dehors de préférence, qui avait près de 50 ans quand elle en avait dix !
Mais l'amour ne comptait pas ; seules les alliances matrimoniales importaient et les sentiments jamais, dans le mariage du moins, que l'on fut homme ou femme. Le pauvre Charles (VIII) fut contraint par son père Louis XI de se marier avec une épouse qu'il détestait. Anne ne connut pas l'amour, ou si peu, mais la guerre, la sénilité et la mort de son père, la défaite de 1488, de multiples trahisons, de Rieux, de Rohan, une habitude familiale, des drames sans nombre, la mort successive de presque tous ses enfants. Dans les affaires de l'État, malgré son goût du pouvoir et son interventionnisme, elle n'eut de l'influence que dans les petits choses et jamais dans les grandes. Charles VIII, un benêt selon Minois, par ses conseillers, contrôlait tout, tandis que Louis XII, plus avenant, plus rusé, lui laissait la bride sur le cou en apparence quand en sous-mains il ne lâchait rien et reprenait les guides au moment opportun ; il fit capoter le mariage de Claude avec le futur Charles Quint. Une ambition absurde côté français et dangereuse pour la Bretagne, car porteuse de graves conflits.
Malgré les avanies de cette vie sans joies durables et assurées, elle sut garder tout au long de sa courte vie, du courage, un maintien, une dignité, de la vertu, de la classe dirait-on aujourd'hui, et s'entourer, à grand frais, d'éclat, de luxe et de sécurité, dans ses châteaux d’Ambroise puis de Blois, régnant sans possible contestation sur sa maison et son gynécée, reproduisant ce qui lui fut imposé, en mariant de force ses protégées. La religion lui fut aussi une consolation au point d'en être dévote et superstitieuse, mais aussi charitable. C'est vrai, prenant toujours le parti des Papes, même de cette crapule d’Alexandre VI Borgia et n'imaginant pas le besoin de réforme de l’Église qui monnayait sans scrupules les indulgences et nommait aux bénéfices et commendes, sans égards pour la qualité religieuse des personnes. Pourtant, dans le même temps, elle choisissait comme confesseur Yves Mahyeuc, un homme de bien, un roturier du Léon qui devint évêque de Rennes.
Par deux fois, Minois croit devoir préciser qu’Anne n'était pas un génie et que son intelligence était moyenne. Le premier qualificatif est inutile, pour le second, Minois fait une petite erreur. Comme Anne reçut une éducation courte mais soignée, par les soins de Françoise de Dinan, « femme remarquable » dit-il, donc même dotée d'une intelligence moyenne - s'il est possible d'en juger après 500 ans ! - la culture exhaussant l'intelligence, Anne s’éleva donc au dessus de la moyenne de ses contemporains…
Ce n'est pas faire justice de la vérité d'un homme ou d'une femme de le/la vêtir de songes pour en faire une icône ou un mythe, au détriment de l’émouvante réalité de sa vie, réservons cela aux enfants. Minois considère au terme de son enquête qu’Anne de Bretagne avait plus de défauts que de qualités. Au vu des mêmes arguments, je ne suis pas de cet avis.
Anne fut rarement aimée pour elle-même, la vie lui fut cruelle, ce n'est pas une princesse de conte de fée, une Blanche Neige de Walt Disney mais plus souvent une proie malmenée par des intérêts supérieurs et réels. Ses défauts, sérieux, dureté, autoritarisme, esprit dévot, libéralité (pour ne pas dire dépensière), sont en final largement compensés par son esprit charitable, son amour maternel, son intérêt pour la culture et le raffinement, sa distinction et la haute tenue qu'elle fit régner à la cour de France. Au-delà des mièvreries qui la parent trop souvent, c'est peut-être cet exemple de courage dans l'adversité que le grand public et les Bretons retiennent inconsciemment derrière l'image d’Épinal. Sa devise n'était-elle pas « je maintiendrai » ? (8).
Anne de Bretagne fut une femme intemporelle plus que moderne, qui finalement représente bien les qualités reconnues des Bretons et des Bretonnes.
1. Conférence de Joël Cornette : (voir le site) ;
2. (voir notre article) Histoire made in France : le combat des Trente ;
3. Outre Les Chouans, le roman Beatrix, qui se passe à Guérande ;
4. Article de Bernard Le Nail sur Anne de Bretagne : (voir notre article) On n'en finira donc jamais avec Anne de Bretagne ;
5. Anne de Bretagne, Philippe Tourault, Perrin, plusieurs éditions : (voir le site) ;
6. Anne de Bretagne, Georges Minois, Fayard, 1999 (voir le site) ;
7. Stendhal vint à Nantes en 1837, cf « Mémoires d'un touriste » ;
8. Non mudera : je ne changerai pas.
■Anne de Bretagne par Étienne Gasche. Une biographie de plus de la duchesse ? Oui, mais pas que. Un coup de génie
Étienne Gasche s'est lancé dans l'exercice périlleux de rédiger une biographie de la plus emblématique de nos duchesses, deux fois reine de France. Exercice duquel il se sort à merveille. Cette biographie, axée sur les sentiments présumés, les ressentis de chacun des protagonistes, est juste émouvante, haletante . ABP, Nantes/Naoned le 4/10/15 19:09 «lienvoir» href=«article.php?id=38495»>(voir ABP 38495)
Elle parle de son pauvre Peuple Breton, de sa «Nacion» et des «nacions estrangeres» lorsqu'elle fait émettre de nouvelles monnaies à son effigie.
« La reine a 17 ans, elle est de petite taille, fluette, et elle boite visiblement d’une jambe, bien qu’elle porte des chaussures à haut talon pour cacher sa difformité. Elle a le teint foncé et elle est assez jolie. Sa finesse d’esprit est remarquable pour son âge et une fois qu’elle a décidé de faire quelque chose, elle s’efforce d’y parvenir par n’importe quel moyen et à n’importe quel prix ». (Zaccaria Contarini, ambassadeur de Venise, 1492)
(elle avait étudié le latin, le grecque, le français - et peut être le Breton -Le roi Charles VIII est un ignare complet)
« Pour parler de son savoir, oncques royne ne l’approcha … ». (pour parler de son savoir, aucune autre Reine de France ne fût à son niveau de culture).(André de la Vigne, dans «Croniques et gestes de Francoys premier»)
elle impose à Louis XII de venir signer le traité de 1499 à Nantes dans son château en Bretagne, il n'y a plus de lien entre les 2 principauté : fin de l'union personnelle par la mort de Charles VIII. Anne est souveraine légitime de son État, elle accepte de se remarier avec Louis XII mais ce n'est absolument pas une union de territoires. Il s'agit de 2 territoires et nations gouvernés par une seule Couronne (ou union personnelle comme entre l'Ecosse et l'Angleterre). Anne de Bretagne a montré son tempérament elle fait venir les artistes d'italie peintres et sculpteurs, les poètes.
Lorsque Louis XII est gravement malade elle en profite pour faire ses bagages et les envoyer vers la Loire, c'est dire si elle était heureuse de sa vie en France.
Lorsque Louis XII veut marier sa fille Claude à François de Valois contre le gré d'ANNE, elle quitte la France et fait son tour en son Duché de Bretagne pour montrer son mécontentement.
lire les ouvrages de Bertrand d'Argentré - Dom Morice 3 tomes (en patois françois) - Dom Lobineau (gratuit sur le net) - Les Hystorien français, pour la plupart, ce contentent de se recopier les uns les autres sans avoir vraiment lu les originaux (ou alors leurs erreurs sont intentionnelles)
voir aussi le site :
www.bibliologiemedievale.wordpress.com/anne-de-bretagne-ses-manuscrits/
Je n'ai pas gardé le souvenir du titre du livre, mais l'auteur faisait remarquer que dans la vie réelle beaucoup de gens se cognent la tête sans pour autant mourir.
Ce fait m'a également été évoqué par une personne de la noblesse bretonne passionnée d'histoire.
Que ce soit vrai ou pas, il est étrange de ne jamais entendre cette hypothèse chez nos historiens bretons...!
De la même manière que nos bons historiens bretons n'évoquent que peu le fait que Claude fut mariée par Anne à Charles Quint et que la rupture du contrat par Louis XII fut lourde de conséquence financière pour la France, mais que c'était le prix à payer pour s'assurer de mettre la main sur le Duché. (D'autant surprenant que Charles Quint n'est pas le moindre des personnages de l'histoire de l'Europe...!)
2 faits qui mettent largement en cause la présentation officielle du caractère inéluctable et quasiment naturel de la prétendue union avec la France et le caractère prestigieux pour Anne d'être reine de France!
Peut-être qu'à trop parler d'Anne on oublie l'essentiel!
On ne sait pas grand chose du gaulois : quelques stèles, monnaies, calendrier et pas sur toute la Gaule définie par César. Y avait-il une langue unifiée ?
Ce qui est sur est que : breton, celte, «gaulois», germanique son indo-européen (sauf le basque). Donc des points communs.
Ne serait-il pas plus crédible de se limiter à un mélange de la langue des tribus d'Armorique, des Vénètes, etc ... ainsi que du Cornish ...
Jean Yves Copy, originaire de Saint-Renan, est docteur d'Etat en histoire de l'art et licencié de breton-celtique. Ses travaux de recherches portent sur la symbolique royale en Bretagne, notamment à travers les tombeaux à représentation (gisants).