Il est des disques que l’on aime, particulièrement, recevoir…
Aux tous premiers abords, dès l’ouverture de l’enveloppe postale qui le contient, en découvrant le recto-verso original d’une blanche jaquette rehaussée de circulaires graphismes aux couleurs acidulées comme des bonbons.
Trois mots figurent, presque trop discrètement, sur ce boîtier cartonné aux dimensions standardisées bien familières qui ne permettent aucun doute sur son contenu physique. Trois mots, en breton : « Liù », littéralement : couleurs et « En diabell » que l’on peut traduire par, au lointain, à l’horizon.
« Liù », c’est le nom du groupe, « En diabell », le titre de l’album.
Pour être aussi honnêtes que les propos que nous tenons, toujours, au sein de nos chroniques discographiques, nous ne connaissions pas « Liù » !
Merci donc, doublement, à Vincent Guérin de nous avoir adressé, pour écoute et en confiance, cet opus paru, en avril 2016, au catalogue de Coop Breizh.
En ouvrant la jaquette qui prolonge, cette fois en teintes pastels, le graphisme de façade sus-décrit, nous découvrons un avant-propos élogieux et évocateur, signé, nous l’apprendrons du dossier de presse joint à l’envoi, de la main de Lors Landat. Pour avoir chroniqué, récemment, l’excellent album « 2 mui 3 » qu’il a réalisé avec Thomas Moisson (voir le site) , nous sommes, déjà, de ce fait, en climat de confiance.
Il est, décidément, des disques que l’on aime, particulièrement, recevoir.
A noter qu’aucune photo des musiciens ne figure sur cette sobre et originale présentation, comme si l’ego de chacun était relégué, au second plan, derrière la création musicale.
Nous pouvons, à présent, selon les mots de Lors, nous « laisser transporter par le blues chamanique de cet « autre Far-west », évoqué/invoqué par le trio Liu ».
Liù est, effectivement, un trio.
Autant vous en présenter, d’entrée, ses membres :
Nicolas Kervazo : Guitare acoustique
Vincent Guérin : Guitare électrique
Fañch Oger : Chant, Calebasse, Kayamb.
Si la Calebasse, fruit évidé d’Afrique utilisé, retourné, comme instrument de percussion, est connu, pour beaucoup, le Kayamb, moins familier, mérite, peut-être, quelques lignes de présentation.
Cet instrument a comme nom kayamb, à la Réunion et se nomme kaiamba, caïambe ou maravanne à Maurice. C'est un instrument de percussion utilisé, notamment, pour jouer le Maloya (musique, chant et danse de l’île de la Réunion). C’est comme un hochet en forme de radeau, un idiophone audible par secouement.
Revenons aux musiciens :
Fañch Oger, est, entre autre, passé par la « Kreiz Breizh Akademi III », et a suivi une formation de Kan ha diskan, auprès d’Erik Marchand.
Son parcours musical va de Mopti (Mali) à Poullaouen (Finistère), en passant… par La Réunion.
Il a, à son actif scénique des lieux aussi renommés que Le Festival Interceltique de Lorient, le Festival de Cornouailles, le Festival du Bout du Monde, le Festival des Vieilles Charrues…
Bac musique et deug de musicologie en poche, puis, en 2002, titulaire du Diplôme Universitaire de Musicien Intervenant, Nicolas Kervazo enseigne pendant une dizaine d’années. Il participe, depuis le début des années 2000, à plusieurs formations. Début 2015, il rejoint, le groupe de fest-noz « Arvest ».
Spécialiste de l’accord ouvert, imbibé des musiques du monde (Afrique, Brésil, La Réunion), il fonde, en 2009, le Trio Liù.
Initialement percussionniste de rock et de jazz, formé au conservatoire de Rennes, Vincent Guérin, vient à la guitare et parcourt, pendant cinq ans, le sud de la France, l’Afrique… via la Suède !
De retour en Bretagne il rencontre les chanteuses Enora de Parscau et Yolande Delamaire avec lesquelles il fonde le groupe « Obaya ». Il participe, récemment, à la création du Trio « Si joli Coudre » avec Hélène Beauguion et… Nicolas Kervazo !
Après avoir lu, pour ne pas être ennuyeux, ces présentations très édulcorées de parcours bien plus riches, encore, d’après certaines notations, vous comprenez que Liù est une rencontre entre trois musiciens voyageurs, s’exprimant au carrefour du Maloya réunionnais, du blues malien et de la chanson bretonne.
Depuis sa création, la formation s’illustre au cours de très nombreux et brillants concerts. C’est, en fait, sur ces scènes que le groupe a élaboré, enrichi et affiné les couleurs de sa musique, notamment en invitant de nombreux musiciens de talents certains.
« En diabell » est le premier CD du groupe !
Il est, franchement, des disques que l’on aime, spécifiquement, recevoir !
A la sollicitation du groupe, tout a commencé par une auto-production soutenue par les contributions reçues sur une plate-forme Internet de financement participatif.
Bien en a pris à Coop breizh de distribuer ce CD !
Onze titres arrangés par les 3 musiciens, des pièces pour la plupart issues des répertoires populaires de Basse-Bretagne, dont 4 compositions, composent l’album.
Avec une dernière partie, presque « cachée », plus d’une heure de très belles et enrichissantes couleurs musicales inspirées Mali, Réunion, métissées Bretagne… ou l’inverse, fort délicatement soulignées de blues, de jazz et de rock.
Autant vous le dire, tout de suite, nous avons beaucoup aimé l’inventivité et la maîtrise de ce savoureux métissage qui ne fait aucune concession à certains systématismes formatés, plus ou moins heureux, du moment.
Pour affiner, plus encore, ce subtil et exotique parfum musical, Liù a fait appel, pour cinq morceaux du programme, à trois invités : Amadou DIAO du Burkina Faso, au n’goni, instrument à cordes pincées d'Afrique de l'Ouest, Gurvant LE GAC, à la flûte et Pierre-Yves Prothais, aux percussions, calebasse, sanza. et talking drums.
Typiquement africain, la sanza est un petit piano à pouces dont le clavier de lames en bois ou de métal s’accordent sur un boîtier résonateur.
Le talking drums ou « tambour parler » est une percussion en forme de sablier d’Afrique de l'ouest, dont la hauteur peut être réglée pour imiter le ton et la prononciation de la parole humaine.
Le savoureux breuvage musical de ce kaléidoscope multi-culturel est parfaitement épicé et lié, il faut le souligner, par la puissante et incandescente voix de Fañch Oger.
Sa présence vocale est, à la fois, le fer de lance et la constance, le repère, de ce très intéressant et fort riche album.
Avec la chaleur du timbre de Fañch, la Gwerz bretonne se dramatise au blues malien, comme la marche bretonne s’ensoleille au Maloya réunionnais.
Autour de ce chant soliste d’exception, les deux guitaristes Nicolas Kervazo et Vincent Guérin sculptent, respectueusement, mais efficacement, de très jolies ornementations ou soli acoustiques et électriques dans une respectueuse et réciproque eurythmie.
Ayant le culte de l’album, par leur cohérence, nous avons dégusté, avec grand plaisir, tous les titres proposés.
Certains, néanmoins, ont, plus encore, retenu notre attention.
C’est le cas pour « Marv Jean Jan » (La mort de Jean Jan).
Très bluesy, la voix de Fañch domine, à merveilles, le jeu des deux guitares qui évoluent sur l’horloge rythmique des percussions dans un très progressif crescendo vocal et instrumental.
Le pont électrique et électro acoustique, à peine souligné d’un vocal collectif, qui ponctue, à mi-chemin, l’exposé vocal du soliste semble relancer la pièce en imposant un modérato qui s’enflamme, à nouveau.
La lancinante mélodie s’en trouve, ainsi, transcendée, effaçant toute impression de longue récurrence.
Le morceau qui suit, « Ololé », chant et déchant de bergers en mode malagasy, l’une des langues de Madagascar, propose, dès son introduction, une belle couleur « de lointain, d’horizon » où la tessiture de Fañch se nuance en véloces volutes vocales. Après un court silence, la césure rythmique et instrumentale et le passage vocal collectif relancent le voyage dans une apothéose plus électrique. Joli moment !
Comment ne pas citer, en plage 5, « En hou kavel » cet instant suspendu où la voix de Fañch vient délicatement nous bercer sur un « froissement » de Kayamb, avant de s’intensifier sur des ornementions guitaristiques électriques épousées, peu à peu, par la flûte inspirée de Gurvant Le Gac.
« Fernando » : ne passez pas à côté du plaisir d’écouter et de ré-écouter cette complainte écrite et composée par Kristen Nicolas ex-Kern, groupe de musique bretonne fondé, en 1992, par l’auteur et Didier Dreau.
Côté vocal, il y a du Yann-Fañch Kemener, Denez Prigent. Liù avait, notamment, interprété ce titre au Trophée Loïc Raison, lors du Festival Interceltique Lorient 2014.
A mi-parcours de ce morceau, le changement de rythme sur une guitare électrique plus échevelée nous ramène dans une transe, délibérément, plus rock.
Pierre-Yves Prothais assure, avec brio, les frémissantes percussions.
En plage 9, après une véloce introduction des deux guitares évoluant, en légère réverbération sur une nappe de programmation, plus rock, à écouter à bon volume… « Soudarded » : Le métier de soldat est un dur métier, d’autant plus pour celui qui ne l’a pas choisi.
La voix de Fañch est puissante et bien timbrée, la guitare électrique se distord, l’acoustique « s’électrise » les percussions « teintent », les effets prolongent les notes, jusqu’à un répétitif final qui nous lâche brutalement.
Enregistré en octobre 2015 à Langonnet (56), au Centre de création des musiques populaires en Bretagne Intérieure par Ronan le Jossec, mixé par Nicolas Kervazo, masterisé par Ronan Cloarec ( Masterlab ), ce CD qui, enraciné, s’ouvre, sans excès, sur un universalisme mesuré, nous a, très largement, séduit. Nous en sommes certains, il vous séduira…
Il est, sincèrement, des disques que l’on aime recevoir, écouter, ré-écouter, vous faire partager… et vous conseiller !
Gérard Simon
CD «En Diabell»
01 - Ar Bleiz er gwele - 3:45
02 - Marv Jean Jan - 5:00
03 - Olole - 4:08
04 - Daou zen yaouank - 5:21
05 - En hou kavel - 4:33
06 - Anskidig - 5:51
07 - Fernando - 7:41
08 - Son ar vot - 5:18
09 - Souderded (intro) - 2:53
10 - Soudarded - 4:55
11 - Deuit genin - 14:57
Durée totale 64:22.
CD «En diabell» - Trio Liù
Parution : 15 avril 2016- Réf : 6119084.15397
Edité chez Coop Breizh : (voir le site)
Page Facebook du Trio LIU : (voir le site)
© Culture et Celtie
Illustration sonore de la page : «Daou zen Yaouank» (Extrait) - Trio Liù
D'autres extratis sur le site Culture et celtie, l'e-MAGazine : (voir le site)
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