« Ils devaient choisir entre le déshonneur et la guerre. Ils ont choisi le déshonneur et ils auront la guerre ». Winston Churchill fit cette déclaration, à contre-courant de l’opinion publique, six semaines après la signature des fameux accords de Munich le 29 septembre 1938, par la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Italie. Les signataires français et anglais, Edouard Daladier et Neville Chamberlain, qui avaient cédé à Adolf Hitler et à Benito Mussolini, furent, à leur retour, accueilli en héros « pour avoir sauvé la paix ». « Ah les cons ! S’ils savaient ! » aurait dit Daladier qui, lui, savait. Il savait que rien n’arrêterait la folie furieuse d’un dictateur foulant aux pieds toute règle, tout accord, ne connaissant que le rapport de force. Il faudra que les grandes puissances de l’époque, la France, le Royaume-Uni, et surtout les Etats Unis et l’Union soviétique, fassent fi de leurs idéologies antagonistes pour s’unir et battre le nazisme.
Aujourd’hui, l’Union européenne semble, comme en 1938, tétanisée par un président dictateur, Recep Tayyip Erdogan, qui veut se rendre incontournable pour régler, dans la guerre contre l’EI?, la question épineuse des migrants. Comment peut-on faire confiance à un homme qui fait volontiers référence à l’Allemagne nazie d’Adolf Hitler pour défendre le système présidentiel qu’il préconise et dont les exigences sont de jour en jour exponentielles ? La Turquie vient de déclarer « nul et non avenu » le rapport du Parlement européen qui se dit « vivement préoccupé » par le recul de l’Etat de droit dans ce pays candidat à l’Union européenne et qui a osé déplorer la régression concernant l’indépendance du pouvoir judiciaire, la liberté de réunion, la liberté d’expression et le respect des droits de l’homme. Son président islamo-conservateur ne supporte pas qu’on puisse l’accuser de dérive autoritaire. « De toutes solutions que nous avons, la coopération avec la Turquie est la meilleure » plaide Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, au moment où Donald Tusk, président du Conseil européen, Frans Timmermans, vice-président de la Commission européenne, et la chancelière allemande Angela Merkel doivent se rendre à Ankara, le 23 avril prochain, dans le cadre du suivi de l’accord UE-Turquie sur les migrants. Comment ne pas penser à un certain 29 septembre 1938 ?
Critiquer Erdogan est un crime de lèse majesté en Turquie. Nombre de journalistes, d’humoristes, d’hommes et de femmes politiques, sont aujourd’hui emprisonnés pour « offense à l’encontre du chef de l’Etat ». 1 845 poursuites pénales ont été lancées, selon Bekir Bozdag, ministre turc de la Justice. Mais ce n’est pas suffisant au président dictateur qui entend museler aussi la presse européenne, à commencer par la presse germanique : un humoriste allemand a osé traiter Erdogan « d’enculeur de chèvres ». On peut ne pas aimer ce genre d’humour, comme on peut ne pas aimer celui de « Charlie Hebdo », mais ce n’est quand même pas une affaire d’Etat ! Ce n’est pas l’avis d’Angela Merkel qui a décidé de céder aux exigences d’Erdogan et d’autoriser la poursuite de la procédure au mépris de la liberté d’expression. La France ne souhaite pas plus affronter Erdogan. Alors que dans les différents communiqués elle n’hésite pas à dénoncer les crimes de Bachar al Assad, à condamner les bombardements indiscriminés du régime syrien et de la Russie contre des positions tenues par l’opposition dite « modérée », à reprocher au PYD? de reprendre des villes tenues pourtant par des groupes islamistes mais protégés par la Turquie, à rappeler qu’elle considère toujours le PKK comme une organisation terroriste et qu’elle condamne « avec la plus grande fermeté » ses actions violentes, elle ne dit mot, ou presque, de la répression sanglante du gouvernement turc qui s’abat sur le peuple kurde : « La France suit avec préoccupation la dégradation des conditions sécuritaires dans le sud-est de la Turquie ». Quel aveu d’impuissance ! L’esprit munichois rôde aussi à Paris.
Amnesty international dénonce cet accord entre l’Union européenne et la Turquie sur le dos des migrants : « une honte pour l’UE » conclut–elle, non sans avoir rappelé au passage que « l’UE a foulé aux pieds ses valeurs et ses propres règles en qualifiant la Turquie de pays sûr pour les réfugiés et les migrants alors que, sur place, tout montre que ce n’est pas le cas ». Des voix au sein du Parlement européen se sont élevées pour dénoncer cet accord.
Ainsi Gabriele Zimmer, présidente du Groupe de la Gauche unitaire européenne, a, pour sa part, déclaré : « les fonctionnaires de l’UE doivent encore assumer leur responsabilité à ce jour, ils ont signé un accord basé sur des intérêts impropres avec la Turquie concernant les réfugiés, nous ne l’acceptons pas et nous le condamnons. La Turquie ne respecte ni les principes d’un État de droit, ni les droits de l’homme, ni la liberté de la presse ni les critères politiques de Copenhague. En tant que groupe nous condamnons cela. » Barbara Spinelli, représentante du Bureau des Réfugiés auprès du groupe de la Gauche unitaire européenne ajoute : « Il est inacceptable que l’UE signe un accord sur les réfugiés avec Erdoğan alors que ce dernier et son gouvernement mènent des actions d’anéantissements au Kurdistan. Philippe Lambert, co-président du Groupe des Verts au PE dénonce aussi cet accord avec la Turquie : »l’accord signé par l’UE avec la Turquie au sujet des réfugiés est une reddition. Avec cet accord, l’UE s’est rendue à Erdoğan qui piétine sur tous les droits fondamentaux de l’homme« . Gianni Pittella, président du Groupe socialiste-démocrate, a pris en compte les informations filtrant sur le camp de réfugiés de Kahraman Maraş qui servirait de base de recrutement et de formation pour »opérations spéciales« : »c’est l’Union européenne qui a signé l’accord avec la Turquie sur la question des réfugiés. Dans cette mesure, le Conseil de l’UE, la Commission et le FRONTEX en sont responsables. Mais en tant que membres du Parlement européen, nous devrions être en mesure de visiter les lieux où les réfugiés sont prévus d’être placés".
Les AKB avaient fait état d’informations circulant sur ces camps, (voir le site) assurant la formation des forces spéciales qui se sont rendues coupables d’atrocités à Sûr et à Cizre. A ce propos, après la publication du rapport accablant de la ville métropolitaine de Diyarbakir, (voir le site) nous attendons avec impatience la réponse du Ministre des Affaires étrangères, qui doit répondre à une question écrite de Nathalie Appéré, députée d’Ille-et-Vilaine, attirant son attention (voir le site) sur la situation de cette ville particulièrement touchée par la répression du gouvernement turc.
André Métayer
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