Chronique de la semaine. Épisode 4. Qui dirige la Bretagne ? De 1515 à 1532

Chronique publié le 10/04/16 22:14 dans FM par Frédéric MORVAN pour FM
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François Ier

Nous en étions à la mort d’Anne de Bretagne et à celle de son époux Louis XII (1514-1515). Ici nous allons toucher à un des épisodes les plus passionnants et passionnés de l’histoire de Bretagne et de France, qui a fait et fait couler encore bien de l’encre, et que par des études sérieuses, documentées et argumentées, nous commençons à mieux connaître, malgré d’énormes interrogations : celle de l’Union, de l’Annexion – termes différents selon le camp que l’on choisit, breton ou français - du duché de Bretagne au royaume de France. Moi, je vais me permettre de parler de l’intégration du duché de Bretagne au royaume de France.

Des critères politiques différents d’aujourd’hui

En espérant que je vais survivre à cette semaine pour vous raconter la suite, tant le sujet est polémique, il faut d’abord – et c’est important – mentionner quatre choses : la première étant que le système féodal n’est pas mort et ne mourra officiellement en France qu’à la Révolution (bien que…) ; la seconde est que jusqu’à la Seconde guerre mondiale, une dynastie au sens large composée de familles portant les noms de Valois, Bourbon, Habsbourg, Tudor, etc, soudée par des liens familiaux intenses, règne et se partage des territoires européens – pour le commun des mortels, on a des maisons et quelques m² de terrains, eux ils avaient et ont des châteaux et des principauté de plusieurs dizaines de milliers de km² ; la troisième est le fait que les juristes surtout laïcs, grâce à l’essor de l’imprimerie, non seulement reproduisent, mais encore pensent et construisent en cette fin du Moyen Âge et début de la Renaissance des modèles politiques. Et quant aux peuples vivant sur les territoires, on y pense lorsque l’argent rentre mal dans les caisses ou lorsqu’il y a des révoltes… Mais on me dira que j’exagère.

L’héritage d’Anne

Anne meurt et Louis XII donna la Bretagne à son gendre François d’Angoulême, duc de Valois, qui se maria avec leur fille, Claude. On reste pantois devant cette décision. Pourquoi ? Louis XII ne respecta pas son contrat de mariage, celui de 1499, disant que le duché de Bretagne doit revenir au second enfant du couple, s’il y en a… et justement il y en a un ou plutôt une : la petite Renée, née cinq ans auparavant. Louis XII décida donc de déshériter sa fille et pourtant on sait qu’il était un bon père, aimant ses filles plus que tout. Et pourtant encore, il savait que François était volage, dépensier, puéril, et le montra dès les premiers mois de son mariage. Mais Claude était si amoureuse de lui et puis François se trouvait être l’héritier du trône de France – les filles ne pouvant pas hériter du royaume de France depuis 1316 – et surtout les grands juristes du royaume de France, qui dominaient l’Administration royale, ne voulaient pas que la Bretagne reprenne sa souveraineté. Il y a tant à perdre surtout au point de vue financier. L’Auvergnat Antoine Duprat, qui devait sa carrière à Anne de Bretagne, était chancelier de France et depuis peu touchait de confortables revenus en tant que chancelier de Bretagne. Surtout le clan familial Beaune-Briçonnet dirigé depuis la mort du cardinal de Briçonnet (en décembre 1514) par Jacques de Beaune, baron de Semblançay, grand banquier du roi, possédait d’énormes intérêts en Bretagne, quasi à titre héréditaire l’évêché de Saint-Malo par exemple. Ce sont eux qui avaient arrangé le mariage d’Anne de Bretagne avec Charles VIII en 1491. Et la mort de la duchesse-reine leur permit de reprendre en mains la lucrative administration bretonne dont ils avaient été exclus en 1498 par Anne à la mort de Charles VIII.

La question est donc de savoir si Louis XII avait le droit de donner la Bretagne à Claude. Eh bien oui et je sais que certains vont sauter littéralement au plafond ! Il était le roi de France et donc le seigneur supérieur du duché de Bretagne ; le duc prêtant hommage au roi de France. En tant que seigneur supérieur, il avait le droit de choisir le successeur de son vassal. C’est acte rare car bien sûr peu apprécié de l’aristocratie féodale mais nous connaissons des cas : En 1203, lorsque le duc Arthur Ier de Bretagne fut assassiné par son oncle Jean sans Terre, roi d’Angleterre, le roi de France, Philippe Auguste ne choisit pas comme duchesse de Bretagne, la soeur d’Arthur, Aliénor Plantagenêt, mais sa demi-soeur cadette, la jeune Alix de Thouars (issue du 3e mariage de la duchesse Constance). C’est aussi ce roi qui détruisit le mariage projeté d’Alix avec le prince breton Henri d’Avaugour et la maria à son cousin et protégé Pierre de Dreux.

L’adhésion de la féodalité bretonne

Toutefois, il y avait un risque, la puissante et riche féodalité bretonne pouvait ne pas apprécier la décision de Louis XII. En fait, il n’en fut rien, bien au contraire. Et là je balance un pavé dans la mare : car François d’Angoulême était bien plus breton qu’Anne de Bretagne. En effet, si l’on regarde l’origine des grands-parents d’Anne, on trouve Richard d’Étampes, prince de Bretagne (son père Jean IV est un Capétien et sa mère une Capétienne), Marguerite d’Orléans (une Capétienne), Gaston de Foix (un Gascon) et Eléonore de Navarre (une Espagnole). Quant à François, ses grands-parents sont : Jean d’Orléans (frère de Marguerite), Marguerite de Rohan, Philippe de Savoie et Marguerite de Bourbon (une Capétienne). Et donc, François par sa grand-mère paternelle, une Rohan, est ¼ Breton. Ainsi François appartient au clan Rohan-Rieux. Il disait « mon oncle » au maréchal de Rieux (mort en 1518), tuteur d’Anne et mes cousins aux enfants Françoise de Dinan, gouvernante d’Anne. Il était proche cousin du vicomte de Rohan, mais aussi du comte de Laval et seigneur de Vitré. Et ici on retrouve les noms de ceux qui avaient poussé au mariage d’Anne et de Charles VIII en 1491 contre la volonté de la duchesse. Anne, après 1499, saura s’en souvenir et fera payer assez cher ce clan qui lui a coûté aussi une fortune : il fallut lever des impôts sur les Bretons pour payer les frais du maréchal de Rieux, de Françoise de Dinan et surtout la renonciation au trône breton du vicomte de Rohan.

Des disparitions et nominations providentielles

Les morts d’Anne et de François, la tendresse « assez stupide » (et je suis gentil avec elle) de Claude envers son beau François qui va lui faire sept enfants survivants et qui va la tromper publiquement (avec la fameuse Diane de Poitiers) et l’extrême jeunesse de l’intelligente Renée de France, vont permettre aux clans Beaune-Briçonnet et Rohan-Rieux de reprendre ce qu’ils avaient commencé en 1491 : l’intégration de la Bretagne au royaume de France. Le testament de la très catholique Anne disparaît – celui qui le retrouve aura droit à son poids en or payé par une souscription des Bretons -, idem celui de Louis XII – et on aurait sans doute vu qu’il laissait à Renée des biens énormes - et surtout surtout disparaît aussi le contrat de mariage de 1499. Personne ne dit rien. Les États de Bretagne se turent. Il est vrai que les neuf barons des États, ceux en fait qui en étaient les dirigeants laïcs, selon la réforme de la féodalité voulue au milieu du XVe siècle par le duc Pierre II, étaient tous des Laval, des Rieux ou des Rohan et obtinrent de François Ier, leur cousin, des positions en Bretagne de premier plan : Guy XVI (mort 1531), comte de Laval et de Caserte, baron de Vitré, de La Roche-Bernard et de Quintin (cumulant 3 baronnies des États), et je vous épargne la liste de ses seigneuries, devint lieutenant-général et gouverneur de Bretagne de 1524 à 1531. Va lui succéder dans cette dernière fonction jusqu’en 1543 son cousin, Jean (1486-1543), baron de Châteaubriant, de Derval, de Malestroit (cumulant aussi 3 baronnies des États) et je vous épargne la liste de ses seigneuries. Quant aux évêques, dirigeants religieux des États, ils étaient soit des Rieux (à Tréguier), soit des Rohan (à Quimper), soit des Laval (à Dol), soit des Briçonnet (à Saint-Malo) et lorsqu’ils ne l’étaient pas, ils ne vivaient pas en Bretagne ou étaient des cousins du roi…

François Ier s’impose

Le 22 avril 1515, Claude donna la jouissance de ses innombrables biens à son si tendre époux. Le 28 juin 1515, devant notaire, comme si la Bretagne avait été un lopin de terre avec une petite cabane dessus, elle lui fit donation définitive de tous ses biens. Elle mourut le 24 juin 1524 à Blois, à 25 ans. Son époux devint « l’usufruitier et le gardien » de la Bretagne pour leur fils aîné, François III, duc « propriétaire », je cite les textes, de Bretagne, alors âgé de six ans. Le projet d’Anne de Bretagne de marier sa fille Renée à Charles de Habsbourg, empereur du Saint-Empire depuis 1519 fut abandonné, surtout depuis que François Ier avait décidé lui faire la guerre. Le roi avait besoin d’exercices et donc il fit la guerre. Et cela convenait très bien à la noblesse bretonne qui le suivit. Il ne faut pas oublier que la guerre formait la jeunesse, permettait de voyager et surtout d’obtenir gloire et fortune, et… quelques maladies vénériennes (le mal italien ou français comme on veut). François dépensa tellement que le chef du clan Beaune-Briçonnet s’en plaignit et fut pendu. François ne s’embarrassait pas de scrupules. On le réhabilitera après sa mort. Le roi fut fait prisonnier à Pavie en 1525 par Charles Quint, laissa en otages pendant 4 ans (de 1526 à 1530) en Espagne ses deux fils aînés (François, le dauphin et héritier du duché de Bretagne et Henri) dans des conditions douteuses et maria en 1528 sa belle-soeur Renée très nettement en dessous de son rang, à l’héritier du duché italien de Ferrare, fils de la sulfureuse Lucrèce Borgia… Elle reçut une dot sans aucune comparaison avec l’énorme héritage qu’elle aurait dû recevoir de ses parents : on lui donna le pauvre duché de Chartres et le comté de Montargis… et encore les revenus ne furent même payés régulièrement. À la mort de son époux, Renée, qui avait hérité de l’intelligence de sa mère plus que sa soeur – elle fut la très grande protectrice du protestantisme en France – revint en France et fit un procès aux rois de France pour récupérer son héritage. Avec sa fille Anne d’Este, duchesse douairière de Guise (retenez bien ce nom), elle alla même fouiller – on imagine la tête des agents royaux – dans les archives royales et ce furent elles qui retrouvèrent le contrat de mariage de 1499… Le roi de France fut prêt à payer ce qu’il lui devait, mais l’Administration royale s’y opposa et refusa d’enregistrer la décision royale en 1575 car cela aurait signifié la réduction de la puissance du Roi, même si à cette date il n’était plus question que Renée hérite de la Bretagne.

Et 1532 arriva

Lorsque François III, né en 1518, devint majeur en 1532, on décida de le couronner duc de Bretagne en grandes pompes à Rennes ; son père restant, selon la donation de Claude, usufruitier de la Bretagne. Le roi François Ier en profita pour régler un petit problème : comme son fils était l’héritier du royaume de France, il était temps de faire en sorte que la Bretagne soit juridiquement intégrée (unie ou annexée comme on veut) au royaume de France. Les États de Bretagne, totalement dominés par ses cousins et compagnons d’armes (lors de ses guerres d’Italie), réunis à Vannes, dans une lettre au roi (4 août 1532), lui demanda (on dit « le supplia "), à condition de conserver leurs privilèges et coutumes, de leur accorder cette intégration. L’historien breton, Bertrand d’Argentré (1519-1590), dont les ouvrages furent censurés par l’autorité royale, raconte que son père lui avait dit que des membres des États auraient été menacés et certains payés. On peut émettre un doute sur ce témoignage tant les dirigeants de ces États étaient liés au Roi. Peut-être que certains participant des États issus des couches les moins favorisées montrèrent des réticences… Le roi décida d’en faire une loi ou Édit à Nantes le 13 août. Le lendemain, son fils fut couronné duc souverain de Bretagne à Rennes. Le 21 septembre, le Parlement de Bretagne, chambre de justice, enregistra la loi royale. Le même jour, dans un petit manoir en Anjou, au Plessis-Macé, le roi confirma et précisa l’Édit de Nantes, décision que confirmèrent les États de Bretagne en 1534. La Bretagne n’était plus alors ducale, mais royale.


Vos commentaires :
Mardi 7 mai 2024
Vous êtes survivant !!! Histoire et politique ne font pas bon ménage !!! Et c'est universel et particulièrement en France ou les mythes historiques ont été exploités à des politiques partisanes ,de Clovis à Jeanne d'arc ,en passant par le roi soleil, puis l'abbé Grégoire, Napoléon vous avez dit Légion d'honneur .... ? J'en passe Alors à l'instar des codificateurs de la langue bretonne (de 1930 à 1945) ,des politicos historiens proches du mouvement Breton suivent le système français comme des moutons aussi dans le domaine de l'histoire
Glenmor disait ,ce n'est pas par ce que la Bretagne a été indépendant qu'elle a vocation à le redevenir ,ce n'est pas par ce que elle n'aurait jamais été indépendante qu'elle n'aurait pas vocation à le devenir
Bien entendu il exagérait car c'est un plus que d'avoir une légitimité historique .Cependant certains milieux s'y accrochent trop aujourd'hui ,et c'est contre productif ,car ce sont les thématiques actuelles et les perspectives à venir qui peuvent constituer des thèmes mobilisateurs pour sensibiliser la population bretonne ,et je pense en particulier au pays nantais ,que l'on soit ,fédéraliste ,régionaliste ,autonomiste ou indépendantiste .Alors dans ce sens on devrait laisser les polémiques historiques un peu de coté ,ce serait même politiquement plus productif
signé
un passionné d'histoire !!
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