Chronique de la semaine Qui dirige la Bretagne ? Suite et pas fin

Chronique publié le 27/03/16 23:51 dans FM par Frédéric MORVAN pour Frédéric MORVAN
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Jeanne de Penthièvre

Chronique de la semaine. Qui dirige la Bretagne ? Suite et pas fin, je vous rassure. Comme il semblerait (facebook fournit un ordre de grandeur : 18 000 personnes atteintes) que vous ayez apprécié le sujet et que selon certains commentaires vous attendiez la suite. Alors allons-y ! Nous en étions au fait qu’Henri III d’Avaugour, grand seigneur de Bretagne et héritier des prétentions au trône de Bretagne de la maison de Rennes, était parvenu à donner d’énormes atouts à son gendre Guy de Dreux-Bretagne, seigneur de Penthièvre, gendre qui lui était très proche, afin de contrôler tout le Nord du duché et restaurer la principauté d’Eudes, ancêtre d’Henri III.

Blois contre Montfort, deux prétendants pour un trône

Cependant Guy meurt en 1331, Henri III en 1337 et Jean III en 1341, Jeanne de Penthièvre, fille unique de Guy, hérita donc de tout : des droits de son père et de sa mère sur le trône breton. Elle unifia la Bretagne : le Sud étant dominé par les ducs de la maison de Dreux, même si par achats et par confiscations, ces ducs avaient acquis de nombreux territoires dans le Nord ; et ce Nord étant contrôlé par les Avaugour de la maison de Dreux. Evidemment, chers lecteurs, vous l’aurez compris, les choses ne se passèrent pas aussi simplement ; le frère cadet de Guy et de Jean III, un autre Jean, comte de Montfort-L’Amaury et seigneur de Guérande, décida de revendiquer le trône breton. Une querelle épouvantable, nommée la guerre de Succession de Bretagne (1341-1364), ravagea le duché. Jeanne obtint le soutien de l’oncle de son époux, le roi de France, Philippe VI de Valois. Quant à Jean de Montfort, il fut arrêté et emprisonné à Paris. Il finit par s’enfuir vers l’Angleterre où il prêta hommage au roi d’Angleterre qui lui aussi prétendant au trône de France. Jean revint sur le Continent avec des troupes anglaises mais mourut en 1345.

Le roi d’Angleterre devint régent de Bretagne au nom du fils et homonyme de Jean de Montfort (1345-1361) et envoya ses hommes prendre en mains le duché. Ils furent très mal accueillis par la féodalité bretonne qui s’était dans son immense majorité ralliée à Jeanne, parente des chefs de cette féodalité. Cependant, défaites après défaites, Jeanne voyait ses soutiens s’épuiser. Son mari, Charles de Blois, qui ne fut pas, c’est le moins que l’on puisse dire, un excellent stratège, fut fait prisonnier à La Roche-Derrien (1347). Le roi de France finit par envoyer ses troupes qui furent écrasées à la bataille de Mauron (1352). La Bretagne était alors divisée : grosso modo les côtes ouest et sud étaient sous l’autorité des capitaines anglais au nom du roi d’Angleterre et de Jean de Montfort junior, certains de ces capitaines s’étaient installés dans des places fortes sur les carrefours commerciaux bretons ; tandis que Jeanne et ses partisans repliés dans leurs forteresses contrôlaient surtout un grand Nord-est de la Bretagne, et des lambeaux du Sud.

En 1364, le jeune Montfort était majeur, et avec des troupes anglaises confiées par son beau-père le roi d’Angleterre, il décida d’en finir. Des envoyés du pape tentèrent une ultime négociation avant la bataille : tout le Nord du duché à Jeanne et tout le Sud à Jean de Montfort. Jeanne refusa et son armée fut détruite à la bataille d’Auray. Son bienheureux de mari y trouva la mort. Jean de Montfort fut couronné duc de Bretagne sous le nom de Jean IV.

Entre les deux traités de Guérande

Cependant, ne disposant guère de soutiens en Bretagne, il dut accepter de signer un traité, à Guérande, qui ne lui était guère favorable : Jeanne conservait à vie son titre de duchesse de Bretagne, avec en plus le nouveau titre de comtesse de Penthièvre car on lui laissait toutes ses possessions dans le Nord du duché, de Morlaix à Fougères, sans compter que le duc devait lui verser le tiers des revenus du duché. Pire encore, ses hommes, ses vassaux, partis en exil, bien formés par des décennies de guerre, conduits par Du Guesclin, fidèle d’entre les fidèles de Jeanne, se couvraient de gloire et d’or sur les champs de bataille français, espagnols et italiens.

Quant à Jean IV, il ne gouvernait que la Bretagne qu’à partir de quelques places fortes ducales, surtout dans le Sud de la Bretagne, et cela avec l’aide d’administratifs anglais. Il avait tellement de dettes à rembourser aux Anglais. Du Guesclin devenu connétable de France décida avec des grands seigneurs proches de Jeanne d’en finir avec lui et le poussèrent à la fuite. Jean IV se refugia en Angleterre. Nous sommes en 1373. Le duché est alors gouverné par le Connétable et ses alliés, Olivier de Clisson, le vicomte de Rohan et le seigneur de Laval et de Vitré. Jeanne demeurait dans ses châteaux de Dinan et son palais parisien. Et c’est le roi de France qui finançait tout.

Charles V finit par changer de gouvernement et de stratégie en Bretagne. En 1378, il décida non pas de rendre à Jeanne son duché mais tout simplement de l’annexer à son royaume. Des fidèles de Jeanne créèrent une association de la noblesse bretonne qui refusa cette annexion et partirent chercher Jean IV en Angleterre qui revint en Bretagne en 1379. Ni Jeanne ni Du Guesclin ne s’opposèrent à ce retour. Le roi de France fut furieux mais mourut. Le nouveau roi de France devint alors l’instable Charles VI. Un nouveau traité de Guérande fut signé en 1381.

Jean IV ou Olivier de Clisson

Jean IV était de nouveau duc de Bretagne, mais sous surveillance de la noblesse bretonne. L’administration ducale développée par les ducs de Bretagne de la maison de Dreux retrouva son autorité. Les grands féodaux étaient quasi indépendants, surtout Olivier de Clisson. Ce dernier qui avait passé toute son enfance aux côtés de Jean IV en Angleterre, qui avait été formé aux métiers des armes par des Anglais, après Auray s’était rallié à Jeanne de Penthièvre. Pire, il était devenu le meilleur ennemi de Jean IV. Pourquoi ? On ne sait pas. Olivier de Clisson reçut le soutien de l’armée de Du Guesclin composée essentiellement de Bretons. A la mort de Du Guesclin en 1380, Olivier de Clisson devint naturellement connétable de France, soit le n°2 du royaume de France. Olivier de Clisson n’était pas Bertrand du Guesclin. Il savait gérer sa fortune et acquit tout le Porhoët, étoffant largement son héritage, soit venant de sa mère toute la riche région de Bourgneuf et de son père, Clisson et Blain. Jeanne de Penthièvre, très endettée envers lui, lui confia la gestion de ce qu’elle possédait en Bretagne. Si cela ne suffit pas, Charles VI en fit son favori et aussi son premier ministre. En 1384, la fille et héritière d’Olivier de Clisson épousa le comte de Penthièvre, Jean de Bretagne-Blois, fils de Jeanne et son héritier. Olivier se trouva plus puissant que le duc Jean IV lui-même, même en Bretagne.

Heureusement pour Jean IV, Charles VI devint fou. Il faut que je vous raconte un peu ce qui s’est déroulé car l’histoire de la France (et de l’Europe) rencontre ici l’histoire de Bretagne. En 1392, un proche de Jean IV, Pierre de Craon, pourtant cousin d’Olivier, tenta de l’assassiner à Paris. Le roi de France décida de punir le duc de Bretagne, considéré comme le commanditaire. Il leva l’armée royale et marcha sur la Bretagne. En chemin, il rencontra une sorte d’ermite qui lui fit peur. Déjà instable mentalement, il devint fou à tel point qu’il fallut le ramener à Paris et mettre en place un conseil de régence. Olivier de Clisson n’eut le temps que de fuir de Paris pour la Bretagne, car les nouveaux régents, les oncles du roi, très endettés aussi envers lui, avaient décidé de l’arrêter. Dès son retour en Bretagne, dans une véritable guerre civile s’opposent dans le duché les partisans, amis, vassaux, parents d’Olivier de Clisson et les troupes de Jean IV. En 1396, épuisés et vieux, le duc et le connétable décident de faire la paix. Et Jean IV put repartir en Angleterre revoir les lieux de sa jeunesse avant de mourir en 1399.

Jean V, seul maître à bord

Olivier aurait pu devenir régent du duché lorsque la veuve de Jean IV, mère du très jeune Jean V, alors régente de Bretagne, quitta la Bretagne pour épouser Henri IV, roi d’Angleterre. Mais ce fut celui qui avait permis la réconciliation d’Olivier de Clisson et de Jean IV, le richissime duc de Bourgogne, qui fut désigné régent de Bretagne. En 1404, Jean V, majeur, commença sa vengeance envers Olivier de Clisson. Accusé de sorcellerie par l’administration de Jean V, Olivier de Clisson mourut en 1407. Ses héritiers pour pouvoir l’inhumer en chrétien durent verser au duc des tonnes d’or. Sa fille cadette, Marguerite de Clisson, comtesse de Penthièvre, s’en souviendra toute sa vie.

Alors que tout aller bien, que le duc Jean V avait partagé son lit (pratique signifiant une grande amitié) avec Olivier de Blois-Bretagne, fils de Margot et petit-fils de Jeanne de Penthièvre (morte en 1384), lors d’une chasse ducale, Jean V fut kidnappé par les Blois-Bretagne, et cela avec l’accord plus ou moins tacite du roi de France, Charles VII. Le duc fut enfermé dans leurs châteaux du Poitou. Pendant six mois, les Blois-Bretagne le menacèrent de mort tous les jours… ce qui est un peu déstabilisant mentalement à la longue. Cet enlèvement ne fut pas du goût de la noblesse bretonne. On peut comploter, se massacrer l’un l’autre sur le champ de bataille, mais cela ne se fait pas.

L’épouse de Jean V, Jeanne de France, sœur de Charles VII, obtint son soutien et enleva les unes après les autres les places fortes des Blois-Bretagne qui finirent par libérer Jean V. Nous sommes en 1420. Jean V était libre, les Blois-Bretagne durent fuir et le duc les fera poursuivre pendant des décennies. Leurs biens bretons furent confisqués, le Penthièvre, le Trégor, le Porhoët, etc, étaient maintenant qu’au duc. Et ainsi il se retrouva seul maître du duché. Paranoïaque – il n’a plus dormi dans le même lit trois nuits de suite et lorsqu’il dormait, il était surveillé par des gardes – il ferma le duché. Son frère, Arthur de Richemont, devint connétable de France et eut surtout pour mission de garder les frontières du duché. Quant aux côtes, Jean V traita avec les puissances thalassocratiques, dont la Castille, pour qu’elles les protègent. Alors que la guerre de Cent ans ravageait le royaume de France, que la guerre des Deux roses détruisait l’Angleterre, la Bretagne en paix s’enrichissait.

Les Montfort, seuls souverains de Bretagne

Les successeurs de Jean V, ses fils François Ier (1442-1450) et Pierre II (1450-1457), son frère, le connétable Arthur de Bretagne (Arthur III, 1457-1458) et son neveu, François II (1458-1488), devinrent les souverains de la Bretagne les plus riches et les plus puissants de l’histoire de la Bretagne. Ce sont eux, à la tête de leurs troupes, et pas les rois de France, qui mirent fin à la guerre de Cent ans. Ce sont eux qui fixèrent – pour des siècles- pour la Bretagne les institutions militaires(réformes menées par Arthur de Richemont qui mit fin au monopole féodal), financières (Chambre des Comptes, impôts directs comme le fouage), judiciaires (Parlement de Bretagne) et politique (Conseil ducal et Etats de Bretagne réunissant les délégués de la noblesse, du clergé et des villes). C’est surtout sous le règne du marchand vitréen Pierre Landais, trésorier du duc François II, que la Bretagne connut une véritable politique économique : ouverture au commerce maritime, alliances avec la Hanse, l’Angleterre, la Castille, le Portugal, et ainsi donc avec les puissances maritimes. La Bretagne était alors sur la voie d’égaler le Portugal et la Castille dont les navigateurs partaient sur les mers à la conquête de nouveaux marchés et surtout des voies commerciales vers la riche Asie. Ce n’est pas pour rien que François II épousa Marguerite de Foix-Navarre, proche cousine des rois de la péninsule hispanique. Ce n’est pas pour rien que Jean de Coatanlem (mort en 1492), même si officiellement il avait été exilé par le duc après son raid sur le port anglais de Bristol, sans l’autorisation ducale, partit au Portugal où il devint amiral de Portugal. C’est très certainement sous son gouvernement car il est nommé aussi roi et gouvernement de la mer – mais les archives portugaises ont été détruites lors du séisme de Lisbonne – que les Portugais s’installèrent au Congo, franchirent le Cap de Bonne-Espérance et rétablirent les liens avec l’Ethiopie.

Trop de rivalités pour la Bretagne

Cependant, Pierre Landais se fit beaucoup trop d’ennemis, surtout parmi les féodaux et les membres de l’administration ducale. Son arrogance ne lui épargna pas d’être pendu en 1485 après un véritable coup d’Etat de l’élite politique bretonne. Le duc François II, qui n’avait pas été informé de cette exécution, n’était en fait plus alors le maître de son duché ; de grands féodaux, membres du réseau familial Rohan (le vicomte de Rohan, le maréchal de Rieux, Françoise de Dinan-Montafilant, le comte de Laval et seigneur de Vitré, tous ayant chacun plus de 40 forteresses) alliés aux chefs de l’administration ducale détenaient alors le pouvoir en Bretagne. Le duc conserva des fidèles, souvent des parents, son cousin germain, Louis d’Orléans (le futur Louis XII), son neveu, le prince d’Orange, mais aussi le sire de Lescun… mais ils n’étaient que des étrangers. Le roi de France, Louis XI, puis sa fille, Anne de Beaujeu, régente pour son jeune frère, Charles VIII, purent aisément jouer avec les rivalités, les ambitions et les traîtrises bretonnes, d’autant plus que de nombreux féodaux bretons avaient rejoint la Cour royale. Une bataille eut enfin lieu à Saint-Aubin du Cormier en 1488. Elle opposa les troupes du roi de France commandé par Louis de Trémoille, breton par sa mère, aux troupes du duc. Si dans l’armée royale, il y a beaucoup de Bretons, dans celle du duc de Bretagne, il y a beaucoup de vassaux du roi de France. François II perdit la bataille. Par le traité du Verger (signé dans le château angevin du breton Pierre de Rohan-Gié), François II resta maître de son duché, officiellement mais il n’avait pas le droit de marier sa fille et héritière, Anne, sans l’autorisation du roi de France. Les chefs de la féodalité reçurent d’énormes sommes d’argent. Quelques mois plus tard, François II mourut, paraît-il de chagrin ou d’une chute de cheval, dans son manoir de Couëron, à 16 kms à l’ouest de Nantes, laissant à la Bretagne sa plus célèbre souveraine, Anne de Bretagne qui n’avait alors que 11 ans et demi.

La suite la prochaine fois. Et oui, l’histoire de la Bretagne est riche, complexe.


Vos commentaires :
spered dieub
Vendredi 15 novembre 2024
Je ne retrouve pas votre dernière chronique ,néanmoins je vous propose sous celle ci le commentaire la concernant
Vous êtes survivant !!! Histoire et politique ne font pas bon ménage !!! Et c'est universel et particulièrement en France ou les mythes historiques ont été exploités à des politiques partisanes ,de Clovis à Jeanne d'arc ,en passant par le roi soleil, puis l'abbé Grégoire, Napoléon vous avez dit Légion d'honneur .... ? J'en passe Alors à l'instar des codificateurs de la langue bretonne (de 1930 à 1945) ,des politicos historiens proches du mouvement Breton suivent le système français comme des moutons aussi dans le domaine de l'histoire
Glenmor disait ,ce n'est pas par ce que la Bretagne a été indépendant qu'elle a vocation à le redevenir ,ce n'est pas par ce que elle n'aurait jamais été indépendante qu'elle n'aurait pas vocation à le devenir
Bien entendu il exagérait car c'est un plus que d'avoir une légitimité historique .Cependant certains milieux s'y accrochent trop aujourd'hui ,et c'est contre productif ,car ce sont les thématiques actuelles et les perspectives à venir qui peuvent constituer des thèmes mobilisateurs pour sensibiliser la population bretonne ,et je pense en particulier au pays nantais ,que l'on soit ,fédéraliste ,régionaliste ,autonomiste ou indépendantiste .Alors dans ce sens on devrait laisser les polémiques historiques un peu de coté ,ce serait même politiquement plus productif
signé
un passionné d'histoire !!

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