Chronique de la semaine : qui dirige la Bretagne ?

Chronique publié le 23/03/16 22:40 dans FM par Frédéric MORVAN pour Frédéric MORVAN
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le roi Nominoe par Jeanne Malivel

Chronique de la semaine. Qui dirige la Bretagne ? A cette grande question, la réponse est bien sûr officiellement l’Etat et ses représentants les préfets, car la Bretagne est comprise dans la République française. Certains parlent de Jean-Yves Le Drian, mais c’est sans doute oublier qu’il n’est que président du Conseil de la Région administrative Bretagne, conseil qui dispose d’un budget bien maigre. D’autres fantasment sur le pouvoir de clubs, d’instituts, de loges, d’obédiences. Bref, on cherche un responsable, un meneur, un homme ou une femme providentielle qui pourrait trouver un remède à une impression, le déclin de la Bretagne. Voyons du côté de l’histoire.

Du Néolithique à l’Antiquité

Il est clair qu’au temps du Néolithique, la péninsule armoricaine disposait d’un système politique organisé, suffisamment pour permettre la construction d’énormes monuments comme le Cairn de Barnenez ou les alignements de Carnac. Faisons un bond dans le temps. Rome conquérante a souvent laissé en place les structures antérieures. C’est ainsi que les peuples armoricains, Osismes, Vénètes, Redones, Nanmètes, Coriosolites sont devenus après la victoire de César au Ier siècle avant JC les cités des Osismes (capitale Carhaix), des Vénètes (Vannes), des Redones (Rennes), des Nanmètes (Nantes) et des Coriosolites (Corseul) ; ces cités dirigées par des aristocrates locaux étant comprises dans la province gallo-romaine de Lyonnaise. L’Empire romain, vers le IVe siècle, pour améliorer son administration déficiente, divisa la Lyonnaise et notre Bretagne fut intégrée dans la Lyonnaise III. La fin de l’Empire, vers le milieu Ve siècle, est une des périodes les plus sombres de l’histoire de l’Europe. En fait, on a du mal à savoir qui dirigeait. Lorsque le dernier empereur romain d’Occident, l’adolescent Romulus Augustule, fut déposé par un mercenaire germain, la Bretagne actuelle appartenait-elle au royaume de Syagrius, un gallo-romain, ou à quelconques généraux britto-romains ? On pense davantage à des petits rois – que certains nomment avec mépris des roitelets – ou à des princes. Il est clair que les saints britto-romains des îles britanniques – et en tête les saints fondateurs des premiers évêchés, tels saint Samson, saint Pol Aurélien, jouèrent un rôle majeur sur le plan politique. Ce sont eux qui imposèrent en Bretagne pour plus d’un millénaire une organisation administrative de type ecclésiastique ; les plous, ces immenses paroisses bretonnes, (plou venant du mot latin plebs), même si au cours des temps elles furent démembrées, leurs création la plupart du temps, devinrent le cadre de vie de la population bretonne… jusqu’à nos jours.

Les rois de Bretagne

Une famille aristocratique ou princière, implantée dans le Centre de la Bretagne, dans la région du Poher, réussit à constituer les armes à la main une entité politique de plus en plus vaste, à tel point que la région d’Angers et le Cotentin actuel se retrouvèrent sous son contrôle. C’est bien sûr l’époque des rois de Bretagne, Salomon, Nominoë, Erispoë, Alain le Grand. Nous sommes alors au IXe siècle. Et même si ces souverains reconnaissaient l’autorité supérieure des empereurs carolingiens, héritiers des empereurs romains, ils gouvernaient avec une grande indépendance d’autant plus que leurs armées parvinrent à repousser les troupes impériales. On estime que la bataille de la Vilaine (ou de Beslé en 851) permit de constituer la Bretagne d’aujourd’hui. Mais comme leurs homologues carolingiens, les rois bretons disparurent sous les coups des querelles dynastiques et des Vikings. Leur héritier finit par fuir et s’exiler en Angleterre chez le puissant roi de Wessex, Athelsthan.

Nord et Sud

Le fils de l’héritier de la maison de Poher, filleul d’Athelsthan, Alain Barbe Torte (mort vers 952), revint en Bretagne et réussit à chasser les Vikings, du moins presque puisque les Vikings installés en Neustrie voisine venaient de fonder le puissant duché de Normandie. Alain n’était plus roi mais seulement duc de Bretagne et son pouvoir était bien limité par les différents comtes bretons, ceux de Rennes, de Nantes, de Vannes, de Cornouaille. Les comtes de Rennes, apparentés aux rois de Bretagne, mais aussi aux puissants ducs de Normandie, supplantèrent à la fin des années 990 les descendants d’Alain qui s’installèrent alors à Nantes. Ils devinrent ducs de Bretagne et étendirent leur autorité surtout dans le Nord de la Bretagne. Au Sud, le comte et évêque de Cornouaille – la fonction d’évêque était alors héréditaire dans la famille comtale – épousa l’héritière du comté de Vannes ; leurs fils, Alain Canhiart, se maria avec l’héritière du comté de Nantes, descendante d’Alain Barbe Torte. La maison de Cornouaille contrôlait alors tout le Sud de la Bretagne. En 1066, un arrangement fut trouvé : Hoël, héritier de la maison de Cornouaille, convola avec Havoise, sœur du duc Conan II et héritière de la maison de Rennes, et le tour fut joué et la Bretagne fut unifiée. Cependant, lorsque Conan II mourut la même année, son oncle paternel, Eudes, qui avait été régent de la Bretagne mais aussi de la Normandie (durant la minorité du fameux Guillaume le Conquérant), ne l’entendit pas ainsi. Il revendiqua le trône breton et constitua une principauté à partir des domaines qu’il avait reçus en héritage dans le Nord de la Bretagne (surtout dans le Trégor, Penthièvre, Goëlo). Même s’il ne parvint pas à s’imposer face à sa nièce, Havoise, et au mari de celle-ci, il vit son autorité et surtout celle de sa descendance s’accroître d’autant plus que ces enfants accompagnèrent leur cousin Guillaume le Conquérant en Angleterre : en récompense, Brien obtint la Cornouaille anglaise et Alain le comté de Richmond, un ensemble de manoirs et de fiefs qui fit de lui un des trois hommes les plus riches d’Angleterre.

De la naissance de la féodalité bretonne

La querelle entre la maison de Cornouaille et la maison de Rennes (dite aussi des Eudonides) profita bien sûr à la féodalité naissante. Des seigneurs châtelains apparurent vers ce XIe siècle, issus de cadets de la maison royale de Bretagne (surtout dans le Sud, avec les seigneurs de Rieux, d’Elven), provenant des auxiliaires des comtes, les vicomtes ou vice-comtes, tel le vicomte de Rennes qui devient le vicomte de Porhoët d’où sortira le vicomte de Rohan, tel le vicomte de Poher, ancien auxiliaire du comte de Cornouaille, tout comme le vicomte de Léon, tel le vicomte de Donges, ancien vicomte de Nantes. Des chevaliers riches en terres et en hommes d’armes se construisirent des châteaux. Certains plus riches que d’autres devinrent les seigneurs de Vitré, de Fougères, de Retz, d’Hennebont. Les neveux du richissime archevêque de Dol furent à l’origine des très fortunés seigneurs de Dinan, de Combourg et de Châteaubriant. Chaque camp favorisa cette féodalité qui lui fournit encadrement militaire, politique et économique. Les Eudonides ne furent ainsi pas en reste car ils créèrent dans leur principauté une importante féodalité.

De Conan III à Arthur de Bretagne

Le duc Conan III de la maison de Cornouaille (mort en 1148) tenta de réorganiser l’administration de son duché en s’appuyant sur une nouvelle vague de moines qui fondaient des abbayes à tour de bras quadrillant d’immenses territoires et encadrant des populations de plus en plus nombreuses. Il nomma abbé de l’abbaye ducale de Saint-Gildas de Rhuys le plus célèbre philosophe de l’époque, un proche de sa famille, le breton Abélard. Ce fut un échec car Abélard, trop individualiste, finit par s’enfuir pour rejoindre en Champagne son Héloïse. Conan III se tourna vers alors d’autres moines issus de la réforme cistercienne. Mais ils étaient des étrangers à la Bretagne et avaient alors des motivations beaucoup plus religieuses que politiques. Conan III, à la fin de sa vie, pour gouverner l’ensemble de son duché, utilisa la méthode classique : là encore un mariage. Sa fille, Berthe épousa le fils de l’héritier de la maison de Rennes, Alain, qui semblait alors être le plus capable de régner sur la Bretagne et de mettre au pas la féodalité bretonne trop indépendante, qui avait bien des fois vaincu les armes à la main le duc de Bretagne. Ce nouveau compromis fut décidé aux prix de beaucoup de sacrifices : Conan III déshérita son propre fils et le père d’Alain interdit à ses autres fils, son fils aîné et son fils puîné, de se marier. Mais ce fut là encore un échec. Si le jeune couple eut un fils, le futur Conan IV, Alain décéda avant Conan III et surtout ses deux frères se marièrent et eurent des enfants. La situation devient si catastrophique sous Conan IV qui avait beaucoup de mal à soumettre les féodaux, surtout le vicomte de Léon, que le roi d’Angleterre Henri II intervint et décida de devenir régent au nom de la très jeune Constance, la fille unique de Conan IV – qui dut abdiquer en 1166. Le pouvoir appartint alors aux Plantagenêts, les princes les plus puissants de l’Occident chrétien : Henri II, roi d’Angleterre et duc de Normandie, puis son 3e fils Geoffroy, époux de Constance. Geoffroy, avec l’aide des mercenaires de son père et de seigneurs du Sud de la Bretagne, s’empara de nombreux territoires appartenant aux frères d’Alain. Il imposa de nouvelles règles à la féodalité bretonne. Le duché était alors intégralement gouverner par lui. Mais duc à part entière en 1181, soit à sa majorité (15 ans), il mourut quatre ans plus tard, laissant une jeune épouse enceinte. A la mort de Constance, qui avait dû accepter le retour de la féodalité bretonne pour faire face à son puissant beau-frère, Richard Cœur de Lion, en 1201, leur fils Arthur devint duc de Bretagne, mais héritier de l’empire plantagenêt, il fut assassiné en 1203 par son autre oncle paternel Jean sans Terre, alors roi d’Angleterre. Les féodaux bretons – qui punirent sévèrement l’assassin en lui faisant perdre son duché de Normandie – mirent alors sur le trône breton la demi-sœur d’Arthur, Alix, fille du troisième mariage de Constance avec le poitevin Guy de Thouars. Une enfant de cinq ans devint alors duchesse de Bretagne sous la régence de son père. Le roi de France, alliés des féodaux bretons pour chasser Jean sans Terre du continent, avait la haute sur la Bretagne, et ne se priva pas de donner domaines et châteaux appartenant aux ducs de Bretagne à ses fidèles (comme Ploërmel ou Guérande). Demeurant en Ile-de-France, pour assurer la paix et la stabilité en Bretagne, il décida en 1209 de réconcilier les deux « familles ducales » bretonnes… par un mariage bien sûr : Alix épousera Henri d’Avaugour, héritier des Eudonides, fils d’Alain de Rennes (le fondateur de l’abbaye de Beauport et fils du dernier frère d’Alain, le père de Conan IV). Guy de Thouars serait co-régent du duché pour le Sud du duché et Alain (Alain V de Bretagne) serait co-régent pour le Nord, là où il disposait déjà du Goëlo, du Trégor et du Penthièvre.

Les ducs capétiens de la maison de Dreux

Mais Jean sans Terre débarqua en France en 1213 afin de reprendre ses immenses biens familiaux continentaux alors confisqués par le roi de France. Ce dernier, qui était le grand Philippe Auguste, avait tant besoin des troupes bretonnes qu’il décida qu’elles devaient être conduites par son cousin, Pierre de Dreux, un jeune prince de France, chevalier plein de talents et de promesses (c’est lui qui apporta à la Bretagne les hermines). Pour les conduire, Pierre se devait d’être duc de Bretagne. Qu’à cela ne tienne, le jeune Henri d’Avaugour, orphelin de son père mort en 1212, perdit sa promise, elle aussi orpheline de son père mort au début 1213. Et Alix de Thouars dut se marier à Pierre de Dreux. Les nouveaux duc et duchesse de Bretagne furent à l’origine d’une nouvelle dynastie : les ducs de la maison de Dreux. Quant à Henri, héritier de la maison de Rennes, il créa lui aussi une nouvelle dynastie, celle d’Avaugour, qui conserva le Goëlo et obtint par mariage Dinan, 3e ville de Bretagne, sans compter des fiefs en Normandie et en Ile-de-France. Même si les ducs de Bretagne de la maison de Dreux étaient sans doute parmi les plus riches souverains de l’Occident chrétien, même s’ils parvinrent à contrôler tout leur duché en s’appuyant sur un nouveau personnel administratif, composé de laïcs très spécialisés, qui réorganisèrent la Bretagne en baillis, l’autorité des Avaugour progressa à tel point qu’au début du XIVe siècle, Henri III, conseiller du roi Philippe V de France, parvint à imposer au duc de Bretagne le mariage de sa fille aînée et héritière à Guy de Bretagne, frère cadet et héritier du duc Jean III qui n’avait pas alors d’enfant. Il obtint de Jean III qu’il donnât à Guy le Penthièvre et le Trégor. Ainsi, Henri III, qui gouvernait le destin de son jeune gendre, parvint à reconstituer pour sa fille et son protégé la principauté de ses ancêtres.

La suite en fin de semaine… promis !


Vos commentaires :
Trublet Colette
Vendredi 15 novembre 2024
Et pendant ce temps-là les populations n'étaient pas en reste de pouvoir sédimenter dans les profondeurs de leurs maisonnées et de leurs vies publiques, des récits initiatiques, des réflexions et l'apprentissage oral d'une histoire millénaire musclant une mémoire dont le 20ème siècle pouvait encore témoigner (cf dastum). L'histoire des rois et des élites n'en est que le symptôme et les apparences. Le vrai long et profond travail des peuples survit à leurs organisations politiques et le temps est venu de le mettre en valeur. Le peuple survit dans les profondeurs d'une continuité qui fait d'eux des héritiers dans des lieux géographiques plus sûrs que les braderies organisées par des rois ou des princes. C'est cela le sens de l'histoire et la fondation celtique de notre histoire. La mondialisation renvoie chaque peuple à l'apprentissage des pertinences des frontières. Le respect mutuel des frontières est le plus sur garant de la paix entre les peuples et l'Europe en est le terrain d'expérimentation le mieux placé face aux nations-continents. Nous sommes à un virage de l'histoire où la mondialisation nous renvoie à chacun notre géographie et notre culture propres. L'organisation de l'Europe dans le respect des frontières géographiques de chaque peuple permettra de garantir le nomadisme culturel qui nous est cher. Et c’est l’aventure historique qui nous attend.
Merci pour cet article qui nous permet une vue panoramique de l'épopée qui est la notre.

Luigi Barsagli
Vendredi 15 novembre 2024
La photo en illustration (statue d'Anne de Bretagne devant le Château ducal à Nantes) ne correspond pas à l'article, c'est assez dommageable.

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