Solenn Lefeuvre et Gilles Le Bigot : "Glad"

Chronique publié le 7/03/16 11:53 dans musique par Gérard Simon pour Gérard Simon
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Jaquette du CD "Glad" de Solenn LEFEUVRE et Gilles LE BIGOT
"The green fields of gweedore" (Extrait) - Solenn LEFEUVRE et Gilles LE BIGOT CD Glad - Keltia Musique

« Je me permets de vous adresser « Glad », du duo Solenn Lefeuvre et Gilles Le Bigot, qui vient de sortir chez Keltia Musique.

Je vous souhaite bonne réception et bonne écoute ».

Signé, le 13 janv. 16… Solenn Lefeuvre.

Voici une très heureuse démarche que nous sollicitions, régulièrement, de la part des artistes qui portent haut et pérennisent la culture bretonne, celtique.

Chère Solenn, nous avons bien reçu « Glad » et, comme vous le souhaitiez, notre écoute a été bonne, parce que très attentive… et, rassurez-vous d’entrée, très agréable, même savoureuse.

Pourquoi « Glad » pour titrer cet opus ?

Non pas, par rapport à la signification anglo-saxonne qui, comme chacun sait, peut se traduire par : ravi, joyeux, mais pour son acception bretonne de terroir, territoire… patrimoine.

En l’occurrence, il s’agit ici de mettre en exergue le patrimoine de trois pays celtiques.

En effet, « Glad », ce sont 13 titres, plus de 45 minutes d’un suave voyage, triptyque entre Irlande, Écosse et Bretagne, décliné, vocalement, en gaélique, anglais et breton, sur un lit de chaleureuse guitare, aux multiples couleurs.

« Glad » , c’est le premier opus de ce fort talentueux duo réuni à l’initiative de Solenn Lefeuvre, suite à sa rencontre en décembre 2013, avec Gilles Le Bigot.

Sur les bases du répertoire chanté existant de Solenn, le projet a, véritablement, débuté en janvier 2014.

Rennaise, Solenn Lefeuvre, dès l’âge de 13 ans, a baigné dans un univers musical familial très éclectique : rock, folk, chanson française, musiques du monde, chanson bretonne, jazz, blues, soul et classique.

A cette même époque, elle se découvre une passion pour tous les styles de chant, la danse qu’elle soit, classique, modern jazz, rock, bretonne, irlandaise, chorégraphique et les instruments, par la pratique du tin whistle et de l’accordéon diatonique.

Un peu de théâtre viendra compléter cette très large appétence artistique.

Mais en autodidacte, puis en suivant des cours, le chant occupera toujours la première place.

Vers l’âge de 17 ans, Solenn découvre l’univers des festoù-noz, les chanteurs des années 70, dont, notamment, les écrivains-poètes : le Finistérien Glenmor, le Franco-Américain d’origine bretonne, Youenn Gwernig, ainsi que les Soeurs Goadec, Gilles Servat, et le groupe Dir ha tan. Elle tombe amoureuse de la langue et suit des cours, pendant deux ans, en commençant à s'initier au chant breton.

Un cadeau de Noël lui fera découvrir le premier album de L’Héritage des Celtes, concept musical signé Dan Ar Braz (1994), large fresque celtique à laquelle participent, d’ailleurs, Gilles Le Bigot… et la chanteuse écossaise, Karen Matheson, également leader du groupe folk Capercaillie.

Un titre prémonitoire y est gravé : « Language of the Gaels » (Cànan Nan Gàidheal).

C’est alors, pour Solenn, un double coup de foudre pour la voix de cette sublime chanteuse... et le gaélique !

Solenn s’inscrit à Rennes 2, département breton et celtique, où elle obtient une maîtrise.

En 1997 Solenn commence à se produire en public, au cours de sessions de musique traditionnelle organisées dans les pubs de Bretagne, avec des chants en gaélique, breton et anglais. C'est alors qu'elle décide de se spécialiser en chant gaélique (branche goïdélique) et breton (branche brittonique).

Vivement intéressée et influencée par nombre de courants musicaux, elle crée et participe, au fil des années, à de très nombreuses réalisations :

Meskaj : Chant celtique et chant de marin,

Daonie See : Chant gaélique d’Irlande et d’Écosse,

Scone : Chant gaélique d'Irlande et d'Écosse,

Skilda : Chant celtique,

Biniou en liberté de Christian Anneix : Chants en breton, galicien, français et gaélique,

Seinn O : Chant gaélique écossais et irlandais (Highlands, Hébrides, Donegal) et…

le duo Solenn Lefeuvre et Gilles Le Bigot : Chant et musique d'Irlande, d'Écosse et de Bretagne,

Liviou : spectacle pour jeune public mettant en scène chant, musique et danse d'Irlande, Écosse et Bretagne.

A noter qu’en 2009, Solenn donne la réplique vocale à Alan Stivell dans le titre « Lusk », 2e plage de l'album « Emerald » : (voir le site)

Même si l’intervention paraît, à nos yeux… pardon, à nos oreilles, trop courte et sporadique, d’autant qu’elle est très réussie, cette participation amplifie encore, s’il en était besoin, la reconnaissance certaine de la grande qualité vocale de Solenn, surtout lorsque l’on connaît le perfectionnisme artistique du « harper hero » !

Sans nul doute, vous nous pardonnerez cette ample présentation de Solenn Lefeuvre, mais son riche cheminement artistique explique, à lui seul, la quintessence de la création de cet album « Glad ».

Elle souhaitait réaliser un « guitare-voix » avec un musicien breton de tout premier rang… C’est Gilles Le Bigot qui a répondu, car, de son côté, heureuse coïncidence, Gilles envisageait, espérait, un duo !

Peut-être, plus connu du grand public amateur de musiques celtiques, c’est en quelques lignes, seulement, que nous vous présentons cet excellentissime guitariste breton.

Autodidacte, il a, professionnellement, débuté en 1984. Depuis plus de 25 ans il a participé à de nombreuses aventures musicales de premier plan :L’Héritage des Celtes, Kornog, Barzaz, Skolvan et joué avec de nombreux artistes de la scène internationale, dont Karen Matheson, Carlos Nunes ...

C’est un as de « l'accord ouvert », accordage le plus utilisé en musique bretonne.

Reconnu également comme compositeur et arrangeur, Gilles a enregistré sur une trentaine d'albums et a réalisé, en 2002, son premier disque solo, «Empreintes », avec pour voix féminine, Marthe Vassalo.

« Empreintes 2 » parait en 2011 avec, notamment, la participation de Gildas Arzel et Jean-Félix Lalanne.

En février 2013, sort « Oirialla », répertoire de chansons et d'airs traditionnels, où Gilles Le Bigot joue avec Gerry Ó Connor, Nuala Kennedy et Martin Quinn.

Ce sont, donc, ces deux « experts » de la musique celtique qui nous proposent ce CD « Glad » où l’on peut retrouver, entre autres, des effluves de Scone, mais qui ne présente que des « nouveautés » vocales, jusqu’alors, non enregistrées par la chanteuse.

Solenn a choisi le répertoire de cet opus en le proposant, a cappella, à Gilles qui, charmé par la voix de la chanteuse, a choisi, avec elle, les tonalités, en harmonie avec les instruments. Au terme de cette première ébauche commune, chacun a travaillé de son côté, avant de fusionner leurs deux talents.

On retrouve, ainsi, dans ce programme, des airs à danser, des chants de travail et des ballades.

L’album a été enregistré en région rennaise, plus précisément à Cesson-Sévigné, au Studio Altsonik, par Antoine Massot aux qualités humaines égales à ses multiples compétences musicales et artistiques.

Tous les titres de l’album sont, vraiment, intéressants à découvrir :

nous ne vous imposerons pas l’inventaire complet du programme, mais nous arrêterons sur des pièces qui nous ont particulièrement plu.

« Glad » s’ouvre sur un chant traditionnel irlandais « Bheadh buachaillin deas ag sile » qui raconte l’histoire d’un garçon qui essaie de convaincre une fille de l’amour qu’il éprouve pour elle… et surtout à l'endroit de la mère de la désirée, l'injonction de ne pas s’immiscer dans ce déduit amoureux. Une chanson découverte, par Solenn, il y a fort longtemps, avant qu’elle ne dépasse, par l’apprentissage de la langue gaélique, le stade de la prononciation phonétique.

La guitare de Gilles est chaleureuse, limpide et épouse, parfaitement, la voix de Solenn. On apprécie les ponts musicaux qui aèrent le côté répétitif de la composition.

Suit, « Oran na Cloiche » (La chanson de la pierre).

Joyeuse et dansante, cette chanson fait référence à la pierre sur laquelle les rois de l’Écosse ont été couronnés, bien avant l'existence du Royaume-Uni.

En 1296, Édouard Ier d’Angleterre a pris la pierre et l’a emportée à Londres.

Selon la légende, on doit être couronné sur la pierre pour être le roi des Écossais.

Un léger crescendo volumique et rythmique des « deux voix » maintient l’intérêt, jusqu’au terme de la pièce.

Après l’Irlande et l’Écosse, nous voici, à présent, en Bretagne. Nous avons mentionné, plus haut dans cet article, l’intérêt que Solenn portait au groupe Dir ha tan. Il n’est donc pas étonnant de retrouver, en plage 3, une version de « Parrez Kistinid », un hanter-dro vannetais, interprété par ce groupe sur l’album « chants traditionnels du pays vannetais vol. 2 », paru en mai 1995.

Ici, une belle harmonie guitare-voix, fort bien rythmée.

Notre voyage musical, à présent, se poursuit, dans le nord-ouest de l’Irlande, plus précisément, dans le Donegal, berceau de la culture traditionnelle irlandaise et du gaélique, avec « The green fields of gweedore » où l’on retrouve les références des groupes Altan et Clannad, ce dernier par qui, Solenn a appris cette chanson.

La voix de Solenn est, ici, particulièrement, mise en valeur. Nous sommes emportés dans des spires vocales et guitaristiques des plus voluptueuses.

En plage 6, voici à nouveau, un traditionnel breton, en 1973, repris, sur leur 1er album, par Dir ha tan : « Pont er velin ».

Gilles allie rythme et mélodie avec la dextérité qu’on lui connaît, qu'on lui reconnaît !

Suit « Pardon Koloreg », une gavotte des montagnes, bien connue sur laquelle Gilles apporte un son très orignal en « coinçant » un morceau de plastique sous ses cordes, pour retrouver un son de guitare très proche de la Kora. Avec un zeste de percussions de l’est, cette plage est très originale. Belle trouvaille pour cette traditionnelle « peinture pastorale », dont voici le texte traduit :

L'autre jour je suis allé au Pardon de Collorec,

J'ai vu ma maîtresse sur l'escalier du cimetière.

Comme j'allais la saluer, tant elle était belle,

Je lui ai demandé si elle était mariée.

Je ne le suis pas encore, mon galant, je ne suis pas encore mariée,

Mais je suis un bon parti pour celui qui me prendra.

J'ai à la maison chez mon père, quatre charrettes ferrées,

Et des chevaux dans les écuries pour les tirer.

Mais quand je fus arrivé là-bas, je ne vis rien,

Qu'un pauvre vieux petit chat incapable de chasser les souris.

Il y avait aussi deux lits, un de chaque côté du feu,

Et les draps qui étaient dessus n'étaient pas des plus fins.

Et les draps qui étaient dessus n'étaient pas des plus fins,

La première nuit que j'y ai dormi, j'ai écorché mes genoux.

Maintenant je changerai de métier, je serai tisserand

Et je mettrai sur mes lits, des draps de belle toile.

Plage 11 : « Puirt a beul 2 », « mouth music », musique avec la bouche. Une suite de 3 chants.

Ce style de chant a trouvé son origine avant les grandes révoltes du XVIIIe siècle, en Écosse, lorsque les instruments de musique ont été interdits par les Anglais. En fait il s’agit de pièces appartenant à la musique classique écossaise, pour, également, faire danser, jouée, primitivement, à la harpe, par la suite, au violon, puis à la cornemuse écossaise. Privés d’instruments, c’était un moyen, pour les musiciens, de mémoriser les airs, par imitation des sons des instruments, par le jeu vocal des voyelles et des consonnes… en quelque sorte, des onomatopées…

On retrouve cette idée dans la turlute québécoise.

Performance de la chanteuse et du guitariste... vélocités garanties !

En avant-dernière plage, « Mo bhean chomain ». Une version Lefeuvre-Le Bigot, tout aussi attrayante et prenante que le « piano-voix » de Julie Fowlis, distillé sur son album « Mar a tha mo chridhe » (As my heart is), paru en mars 2007.

Encore un très beau moment vocal et musical, harmonieux et paisible.

Il aurait pu conclure, comme un envoi poétique, cet album.

L’album « Glad » est présenté, fort agréablement, sous une jaquette ou figure, au recto, un visuel coloré et esthétique, issu de l’oeil du photographe écossais Tim Winterburn que Solenn a sollicité, après avoir découvert ses oeuvres sur son site Internet, sous-titré « Capturing the Highlands and Islands of Scotland ».

L’esthétique vocale et musicale de cet album est aussi enluminée et séduisante que sa présentation graphique. Faisant référence aux pierres aux rondeurs érodées et colorées du visuel choisi, nous vous engageons à ajouter ce précieux « galet », nous devrions dire, parlant d'un CD, cette « galette », à la collection celtique de votre discothèque.

Un bien beau moment d’évasion celtique patrimoniale !

Merci Solenn pour votre envoi qui nous a charmé… c’est très réussi, un grand bravo à vous deux !

Gérard Simon

CD «Glad»

01 - Bheadh buachaillin deas ag sile (Irlande) - 03:08

02 - Oran na cloiche (Écosse) - 03:10

03 - Parrez kistinid (Bretagne) - 03:03

04 - Puirt a beul, part. 1 (Écosse) - 03:27

05 - The green fields of gweedore (Irlande) - 04:23

06 - Pont er velin (Bretagne) - 02:44

07 - Blackwaterside (Irlande) - 03:17

08 - An distro (Bretagne) - 04:56

09 - Pardon koloreg (Bretagne) - 03:33

10 - A mhic iain ic sheumais (Écosse) - 03:22

11 - Puirt a beul, part. 2 (Écosse) - 03:56

12 - Mo bhean chomain (Écosse) - 04:49

13 - An t-ull (Irlande) - 02:33

CD «Glad»- Solenn Lefeuvre et Gilles Le Bigot

Parution : 27 novembre 2015 - Réf : KMCD 663

Edité et distribué par Keltia Musique - (voir le site)

Le site officiel de Solenn Lefeuvre (voir le site)

Le site officiel de Gilles Le Bigot (voir le site)

© Culture et Celtie

Illustration sonore de la page : «The green fields of gweedore» (Extrait) - Solenn Lefeuvre et Gilles Le Bigot.

D'autres extraits sonores sur «Culture et celtie, l'e-MAGazine» : (voir le site)