Trois mille ans d'histoire armoricaine par Claude Champaud

Lettre ouverte publié le 2/02/16 23:47 dans Histoire de Bretagne par frédéric Morvan pour Centre d\'Histoire de Bretagne/ Kreizenn Istor Breizh
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Claude Champaud, professeur d'université

ANTIQUE ET PERENNE ARMOR

Avant, la Bretagne était l'Armorique. Les auteurs grecs et romains attestent de l'existence d'une entité politique confédérale celte dont les peuples occupaient ce promontoire terrestre que le massif hercynien occidental a planté dans la mer aux confins du monde connu des anciens. Nous verrons qu'avant même que la civilisation celtique ait conquis l'Armorique, une brillante civilisation néolithique (pierre polie) puis archéo-métallique (âge du bronze) avait occupé l'ensemble de ces terres armoricaines. Du moins, y a-t-elle laissé les traces monumentales, abondantes et troublantes de son génie propre et de son organisation collective. Ce sont les célèbres mégalithes auxquelles on identifie souvent la Bretagne sans doute parce que ces énigmatiques monuments portent, pour la plupart, des noms celtes dont certains sont incontestablement bretons.

Toutefois, la Bretagne n'a pas le monopole des menhirs chers à Obélix. Pas plus qu’elle n’a l’exclusivité des autres constructions mégalithiques. Bien d'autres contrées rivalisent avec elle sur ce point, il faut en convenir. En outre, même en lui restituant son cinquième département, la Loire-Atlantique, la Bretagne historique, celle des Ducs de Bretagne, ne se superpose pas exactement à l'antique Armorique. Celle-ci débordait légèrement au Sud sur la Vendée actuelle mais, surtout, elle qui incluait l'actuelle Mayenne du Nord et l'Avranchin du Sud de la Manche, ces limites avaient la vertu de lui rendre le Mont St-Michel que "Couesnon en folie mit un jour en Normandie", en changeant de lit.

Formée de quatre départements, le Finistère, le Morbihan, les Côtes d'Armor et l'Ille-et-Vilaine, la Bretagne administrative et politique contemporaine recouvre une superficie de 27 208 km² et compte environ 3 198 000 habitants. Restituée dans les frontières des anciens peuples armoricains, elle atteindrait près de 35 000 Km² et elle compterait plus de 4 500 000 âmes. Cela signifie que de nos jours, l’entité armoricaine couvre plus d’un vingtième du territoire national et que sa population représente près de 7 % de celle de la France. Cela n’est pas rien. Mais surtout, l’Armoricaine britonne est dotée d'une unité ethnique et culturelle et d'une cohérence économique et sociologique constituerait une région d'Europe modèle : ni trop grande ni trop petite, sociétalement homogène et géopolitiquement équilibrée.

Cette entité régionale fut celle des primo-armoricains du millénaire qui précéda l'ère chrétienne. Ce fut celle des celto-romains des premiers siècles de notre ère. Les Bretons n'ont jamais réussi à se réinstaller dans les frontières de cette Armorique naturelle, même si certains de leurs rois les ont parfois fugitivement outrepassées. Beaucoup en cultivent la nostalgie. Réalisme politique ou vision utopique, n'est-il pas frappant que l'image de cette Armorique antique resurgisse dans ce bain révélateur qu'est la construction européenne. Image pertinente d'une Armorique armoricaine et pas seulement bretonne. La Bretagne politico-administrative actuelle assume seule expressément l'héritage armoricain. Ce n'est pas toujours facile pour notre Région, mais elle le conserve et le fait prospérer avec piété, conviction et talent au point qu'Armorique et Bretagne confondent leurs images dans l'esprit des non-Bretons et qu’elle se fond dans les cœurs de ses enfants tant dans ceux des natifs que dans ceux qu’elle a accueillis et qui parfois, lui sont plus passionnément attachés que bien d’autres.

UN DEVOIR DE MEMOIRE

L'Histoire de la Bretagne, son histoire vraie, veux-je dire, est largement ignorée des Français. Pire même, elle n'est pas bien connue des Bretons. Même les historiens bretons l'ont occultée jusqu'à un passé récent. C'est pire qu'ignorance. Ce fut une prétention délibérée, rationnelle, persistante. Seule une volonté idéologique délibérée, collective, et coercitive peut expliquer cette occultation qui tendait à faire tomber l'histoire souvent glorieuse d'un peuple toujours attachant et parfois incroyablement brillant dans les oubliettes des passés disparus.

Fils d'un hussard noir de la République, cultivé, libre d'esprit et curieux, l'auteur de ces lignes a lui-même été victime de cette perte de mémoire collective et délibérée. Malgré une excellente formation supérieure et un goût fort prononcé pour l'Histoire, pas plus que les autres jeunes Bretons de ma génération instruits et cultivés, pendant trente ans, je n'ai soupçonné cette histoire-là. C'est dire si la clef du rayon interdit avait été soigneusement cachée. Sans doute en avais-je eu le pressentiment en touchant à l'archéologie métallurgique armoricaine vers 25 ans mais on ne fait pas un tableau avec un seul morceau de puzzle découvert dans un grenier. C'est au travers de ma participation à l'élan du CELIB et du fait de l'exercice des fonctions de Président de l'Université de Rennes, puis de Président du Comité Economique et Social de Bretagne que je rassemblais personnellement les morceaux d'un puzzle dont je me promis de faire un livre. Il m'a fallu 20 ans pour remplir ce devoir de mémoire.

L’ouvrage par lequel j’ai tenté de remplir ce devoir armoricain [A jamais la Bretagne, PRO Mayenne, 1998 (se procurer chez l’auteur)] fut au premier chef un message d'espoir et un appel au courage de la jeunesse bretonne d'aujourd'hui. Puisse l'émerveillement, qui a parfois illuminé ma découverte personnelle, être partagé par quelques-uns de ceux qui se laisseront emporter par l'esprit avant d'être pris par le cœur, par l'intemporelle mais véridique Bretagne. Cette Histoire pourra surprendre un certain nombre de ceux qui la liront, voire indigner quelques-uns. Elle ne saurait laisser personne indifférent.

Pour nombre de lecteurs d’A jamais la Bretagne, cette histoire des peuples armoricains a pu être une découverte. Pour certains, une révélation. Il n'y a guère, les Bretons souffraient d'un complexe d'infériorité dit "complexe de Bécassine". Ils se croyaient voués collectivement et de tout temps à la misère des baragouins méprisés et moqués. Leur chant national était une berceuse aux accents tristes, de Théodore Botrel, dont les paroles bretonnes disaient en français : "dors ma Bretagne, dors".

N'était-elle pas, il est vrai, tombée en léthargie économique depuis deux siècles lorsqu'une poignée de Bretons la réveilla ? Une aussi longue absence économique la rendit amnésique jusqu'au point d'oublier qu'à trois reprises, au moins, en trois millénaires, l'Armorique avait été l'une des régions les plus riches du monde d'alors, que du temps de Louis XV encore, autant dire avant-hier, les Bretons détenaient 40 % des réserves monétaires de la France et qu'ils furent, peu avant, les principaux banquiers de l'Espagne.

HISTOIRE GEOPOLITIQUE DE BRETAGNE

L'étude d'un pays ou d'un peuple, d'une nation ou d'une région doit toujours être faite en trois dimensions. Ce n'est qu'à cette condition que la perception des destins collectifs prend du relief. Unidimensionnelle, l'Histoire demeure plate. La démarche historique et culturelle inscrit l'aventure humaine dans la dimension du temps. L'approche géographique lui confère celle de l'espace. L'analyse sociétale (économique, politique et culturelle) achève de donner son volume à l'image tridimensionnelle en lui restituant sa profondeur sociétale. Cette approche pourra paraître un peu savante, par trop pédagogique donc un tantinet pédante, sans doute, Mais la Bretagne mérite d'être vue en relief.

La Bretagne occupe en France et dans l'Europe une place particulière. Celle-ci est due à la singularité de sa géographie, à l'originalité de son histoire et au particularisme d'une population qui s'est fondue dans des ensembles géopolitiques plus vastes que son territoire armoricain sans jamais se confondre avec les entités qu'elle rejoignait ; sans jamais renoncer à ses valeurs propres et fortes et à la mystérieuse alchimie d'un être collectif façonné par son terroir et une histoire trimillénaire.

Mieux on connaît le passé de la Bretagne et le présent des Bretons, plus on est tenté de faire crédit à TAINE qui pensait qu'il existe un lien univoque entre le particularisme des traits collectifs d'un peuple et l'histoire d'une nation, d'une part, et la géographie de sa terre d'élection, d'autre part.

Comme toutes les îles et les presqu'îles du Globe, la Bretagne a sa photo d'identité inscrite sur la mappemonde. Frangée de rochers bruns et de sables dorés, c'est un coin enfoncé entre une mer, la Manche, et l'Océan Atlantique. Leurs eaux d'opale et d'émeraude, selon les lieux et le temps, tissent autour de la péninsule armoricaine une couronne crénelée par ses rivages tourmentés et taillée dans l'écume argentée des vagues.

Pour ceux qui viennent du continent, c'est le Finistère : là où la terre finit. Pour les Bretons, c'est le Penn Ar Bed, la "tête du monde", là où commence l'Europe continentale. Sans doute, tous les seuils de toutes les portes sont-ils faits pour entrer et pour sortir. C'est pour cela que les Romains vouaient leurs linteaux au Janus Bifrons. Mais cette ambivalence armoricaine recouvre un dédoublement de personnalité qui est une composante de l'identité de notre région, la source de ses richesses spirituelles et la cause essentielle d'un mystère qui lui est propre que ne dissipe aucune étude. A cet égard, la Bretagne est femme. Ce n'est pas le moindre de ses attraits.

Comme l'humeur de cet adorable moitié de l'Humanité, son climat est d'une grande douceur traversée de courtes mais violentes tempêtes. Réputé humide, il est moins pluvieux que changeant mais la Bretagne lui doit des ciels d'une remarquable pureté. Les rayons du soleil tamisés par de floconneux cumulus, blancs comme neige, n'y brûlent pas les couleurs. Ils les nimbent de teintes pastel. Tout autant qu'à la beauté de ses paysages, c'est à ses ciels exceptionnels que notre région doit d'avoir accueilli tant de peintres et de demeurer immortalisée par de nombreuses écoles dont celle de Pont-Aven s'inscrit au hit-parade des cotes du marché de l'art.

Diverse, la Bretagne l'est d'abord en elle-même. Elle a plus de "pays" que la France ne compte de régions. Il n'y a guère, c'était la province aux cent coiffes. C'est qu'il y a au moins quatre Bretagnes. Traditionnellement, on distingue l’armor et l'argoat, le pays de la mer et de pays des bois. Il est vrai que ces deux Bretagnes là existent et qu’elles s’opposent à beaucoup d'égards, mais chacune de ces parties est elle-même duale. La grandeur et la sévère beauté des côtes de la Manche s’opposent à la voluptueuse et riante joliesse des rives du sud océanique. Quant à l'argoat, elle se divise en une Bretagne centrale et une Haute-Bretagne qui, à l'est de la région, s'agglutine autour d'une capitale opulente, Rennes, riche de ses centres de recherche, de ses activités administratives et tertiaires privées et forte d'un ensemble universitaire à l'échelle européenne. Les autres Bretons lui font parfois reproche. Ecartelée, la Bretagne sait être solidaire quand il le faut, exemplairement souvent. Peut-être même souffre-t-elle moins de cet écartèlement que de la partition qui lui a ravi la Loire-Atlantique au profit d'une région composite née des jeux de la politique et des divisions administratives et non d'une histoire où, durant des millénaires, Nantes et la Basse-Loire firent partie intégrante de l'Armorique celto-romaine puis du duché souverain de Bretagne dont Nantes fut le dernier siège.

PERENNITE DE L'ENTITE GEOPOLITIQUE ARMORICAINE

Plus qu'une région géographiquement et économiquement homogène, la Bretagne, qui n'a jamais été une unité ethnique, a constitué une entité politique à part entière jusqu’au Traité d’Union de 1532 [Certes la nature juridique de droit public des trois édits que recouvre ici le terme de « traité » est l’objet d’une querelle jadis éteinte. Toutefois nul ne saurait nier que depuis les débuts de l’histoire, vers le 3e siècle avant JC, jusqu’à la mort d’Anne de Bretagne en 1514, l’Armorique a bien constitué une entité politique diverse dans ses composantes mais solidaire dans les aspirations de ses peuples].

On risque de ne pas bien comprendre cette réalité armoricaine et les Bretons si on ne prend pas en compte cette caractéristique de leur Histoire. Elle leur a donné une faculté peu répandue dans les régions françaises : celle de savoir unir des volontés individuelles fortes et de se rassembler sur l'essentiel malgré des divergences réelles et parfois apparemment exacerbées qui traduisent une mosaïque géographique et culturelle.

Déjà, aux dires de Jules CESAR, les cinq peuples gaulois qui occupaient le territoire de l'Armorique formaient une puissante confédération autour de l'un d'entre eux, les Vénètes, dont la défaite navale demeure aussi illustre qu'elle semble injuste, puisqu'elle fut due à un calme plat insolite sur ces côtes battues en permanence par le vent. Rarement un peuple dut ainsi sa célébrité et sa réputation de puissance à une aussi sévère défaite.

Vaincue par Rome, l'Armorique devint pleinement gallo-romaine. Exploitées intensivement et rationnellement, ses richesses minières et les savoir-faire technologiques de ses habitants y assurèrent une densité d'habitat et une prospérité dont attestent, chaque année un peu plus, les fouilles archéologiques. Hélas ! Quitte à décevoir les générations qui ont appris l'histoire de la Gaule dans les B.D., aucune d'elles n'a, pour le moment, amené à jour les restes du village d'Astérix et du camp de petit bonum, alors que la fameuse carte d'UDERZO et GOSCINNY a rendu la péninsule armoricaine célèbre dans le monde entier.

L’entreprise de sédation profonde que nos républiques ont opérée sur les esprits armoricains fut un indéniable succès. Pour beaucoup d'entre vous, cette histoire sera une découverte ; pour certains une révélation. Il n'y a guère, les Bretons souffraient d'un complexe d'infériorité dit "complexe de Bécassine". Ils se croyaient voués collectivement et de tout temps à la misère des baragouins méprisés et moqués. Leur chant national était une berceuse aux accents tristes, de Théodore Botrel, dont les paroles bretonnes disaient en français : "dors ma Bretagne, dors".

C’est cette belle endormie depuis trois siècles qu’un prince charmant, le CELIB, éveilla au monde moderne des « Trente glorieuses ». Les Armoricains se laisseront-ils à nouveau glisser dans la torpeur du sommeil et des rêves ou sont-ils prêts à relever le nouveau défi armoricain [Statbreiz, Le nouveau défi armoricain, Ed Institut de Locarn, 2015], telle est la question !

Claude Champaud, Rennes, 29.01.2016


Vos commentaires :
Vendredi 3 mai 2024
Bonsoir à tous, et merci à ceux qui ont pris le temps de lire mes études sur le sujet, car mon souhait réside seulement en la recherche historique, sans parti pris ni a priori.

Citation :

«Si ce fait se confirme dans l'avenir, cela démontre bien que ce territoire, sans le nommer (de la Loire à la Somme) était parti intégrante du bassin économique britannique, dont il était l'une des portes d'entrée pour les continentaux...!»

Pour cela, on n'a peut-être pas encore fait suffisamment attention à l'épisode de Carausius, qui tenait pendant un temps les deux rives de la Manche, et faisait frapper monnaie à Rouen.

Cordialement,

JC Even

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